Gilles BERNHEIM, la bible, le tragique, et le plagiat de Jean-Marie DOMENACH

Posté par Jean-Noël Darde

Le 28 mars  2013, 10h30

Cet article vient à la suite de Non, Jean-François Lyotard n’était pas un plagiaire !

Si l’on s’en tient au communiqué de presse des éditions Stock publié à la sortie en 2011 de Quarante méditations juives, au communiqué publié le 20 mars dernier par le porte parole, Moché Lewin, du Grand Rabbin de France et à l’article signé le 25 mars par André Mamou, Rédacteur-en-chef de Tribune Juive (Le « aleph », méditation 26, est bien de Gilles Bernheim), cette affaire n’en est pas une et se présente ainsi :

Très jeune, Gilles Bernheim donnait des conférences dont il offrait généreusement les textes photocopiés à son auditoire.

Certains étudiants « les passaient à d’autres et ainsi de suite, jusqu’à ce que la source se perde », ou que la photocopie tombe dans de mauvaises mains et soit plagiée, par exemple par le philosophe Jean-François Lyotard.

Longtemps, Gilles Bernheim s’est couché tard et levé de bonne heure pour écrire. Il a établi en 2010-2011 les textes de ces Quarante méditations. Pour sept d’entre elles, dont la 26e « Le aleph », Gilles Bernheim a repris ses anciennes notes de conférences des années 80. Ceci explique que le texte du Jean-François Lyotard plagiaire publié en 1996 dans Questions au judaïsme soit presque identique à la 26e méditation de Gilles Bernheim publiée en 2011.

Nous avons dès le départ eu la conviction de l’invraisemblance de cette fable et avons affirmé : Non, Jean-François Lyotard n’était pas un plagiaire ! Outre ce qui a déjà été dit (voir les commentaires au précédent article d’Henoray, Eizykman, Brossat, Collectif Lyotardien, etc.) nous apporterons prochainement de nouveaux éléments à ce propos (notamment un regard sur la chute du texte en litige :  j’entendrais le aleph comme étant cette touche absolument impalpable comme nous parlions tout à l’heure). [TOUTE DERNIÈRE : discussion déjà réglée ce matin même par le témoignage d’Élisabeth Werner transmis à Jean-Clet Martin : Qu’est ce qu’un auteur? De Lyotard à Bernheim ]

Aujourd’hui, nous pouvons écrire sans crainte d’être contredit : Gilles Bernheim est bien un plagiaire, en atteste la méditation n°30, pages 143 à 146 des Quarante méditations juives.

Le texte de la 30e méditation, Bible et tragique, n’est pas tiré des notes de conférences des années 80 de Gilles Bernheim. Ces quatre pages sont intégralement recopiées depuis le chapitre « Avatars de la tragédie » de l’ouvrage Le retour du tragique publié par Jean-Marie Domenach, en 1967 aux Éditions du Seuil.

Dans la 30e méditation, on notera qu’à trois reprises, Gilles Bernheim, semble prêter, entre guillemets, au rabbi David Lelov (1746-1813) les mots mêmes de Jean-Marie Domenach écrits en 1967.

Ceci, à moins que, hypothèse très peu probable, Jean-Marie Domenach ait lui-même oublié de citer ses sources et de placer des guillemets. Jean Nehoray et Benoît Hamon qui se sont déjà penchés sur le cas Bernheim/Lyotard nous diront si ces phrases peuvent être attribuées au rabbi Lelov. On en doute…. Pour le reste, à moins d’une explication extraordinaire de Gilles Bernheim, le plagiat servile est constitué.

Gilles Bernheim est non seulement le plagiaire de Jean-Marie Domenach, mais aussi, dans son introduction, de Jean Grosjean, Élie Wiesel et Charles Dobzynski… et  probablement d’autres.

Avec Gilles Bernheim, auteur plagiaire, il y a un Grand Rabbin de France plagiaire. En effet, c’est l’auteur Gilles Bernheim qui a pris l’initiative d’afficher sa fonction de Grand Rabbin pour lancer dans un communiqué une accusation infamante à l’un de ses éminents plagiés, Jean-François Lyotard, traitant implicitement le philosophe de plagiaire.

Gilles Bernheim est plagiaire des auteurs cités dès lors qu’il accepte de signer cet ouvrage, de se prévaloir de sa rédaction, de laisser dire qu’il se couchait tard et se lever tôt pour le rédiger,  et qu’il le  présente comme le fruit de son travail devant des journalistes et sur les plateaux de télévision. Il reste plagiaire même si, c’est l’hypothèse la plus vraisemblable, il est un plagiaire à la Mgr Gaillot qui s’était plaint du manque de scrupules et des plagiats de son nègre (La dernière tentation du diable, Éditions n°1).

Bien qu’en toute connaissance de cause, pour porter son accusation contre Jean-François Lyotard, Gilles Bernheim n’a pas craint de faire rédiger un communiqué  invraisemblable à son porte parole, le rabbin Moché Lewin, puis a laissé André Mamou, Rédacteur-en Chef de Tribune juive, mettre en ligne un article tout aussi invraisemblable.

Le Grand Rabbin de France doit des explications : Le rabbi David Lelov (1746-1813) parlerait comme Jean-Marie Domenach en 1967, le rabbi Menahel Mendel de Rymanov (1745-1813) comme Jean François Lyotard en 1996…

Et les 38 autres rabbis cités par Gilles Bernheim dans les Quarante méditations juives ?

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8 réponses to “Gilles BERNHEIM, la bible, le tragique, et le plagiat de Jean-Marie DOMENACH”

  1. Cette fois ci nous ne demanderons pas où se trouve cette citation du Rabbi David Biderman de Lelov, qui n’a écrit aucun ouvrage. Il ne nous reste qu’a espérer ne pas retrouver les paroles du Rabbi de Berditchev dans les mémoires de Thierry Roland ou dans une chanson de Rabbi Jean-Jacques (« Encore une rabbin… un rabbin pour rien… »)
    J. Nehoray

    http://www.theoria.fr/gilles-bernheim-plagiaire-de-lyotard-du-nouveau-dans-laffaire/

     

    J. NEHORAY

  2. Dans la catégorie de la « citation déguisée », telle que j’en ai fait une petite typologie dans mon dernier ouvrage, on aurait donc avec cette nouvelle affaire un parfait exemple qui correspond à la sous catégorie de la « citation posthume » : celle-ci « consiste à attribuer une citation à un auteur mort plutôt qu’au vrai plagié, vivant, afin de ne pas l’alerter sur un recopiage abusif en exhibant son nom » (page 83 de la Petite enquête sur le plagiaire sans scrupule, éd. Léo Scheer).

    Certes, dans le cas présent, Jean-Marie Domenach est aussi mort que le rabbi Lelov prétendument cité, mais depuis 1997 seulement, trop récemment pour ne pas laisser des traces fraîches dans les mémoires de ses lecteurs. Il y a une hiérarchie parmi les morts et les plus anciens sont les plus susceptibles d’être convoqués dans les citations posthumes.

    A titre de curiosité, ma typologie de la citation déguisée comprend aussi la citation « composite », la citation « cachée », et encore « coulée », et enfin « écran ». Se reporter à l’ouvrage pour le détail du descriptif.

    Finalement, rien de nouveau sous le soleil… Les techniques sont bien rodées.
    Hélène MAUREL-INDART

    JND
    Et çà : Longtemps, Gilles Bernheim s’est couché tard et levé de bonne heure (…) ?

     

    Hélène MAUREL-INDART

  3. Hélène INDART-MAUREL dans ses ouvrages remarquables a relevé plusieurs fois le cas vraiment pendable du plagiaire qui accuse le plagié d’être un plagiaire.
    Jacques BODY
    (Gallimard)

    JND :
    * Rappelons que Jean Grosjean, auteur Gallimard, a été membre du comité de rédaction de La NRF. Il est le premier des plagiés de Gilles Bernheim dans l’introduction des Quarante méditations.

    * Les ouvrages d’H. Maurel-Indart sont présentés à cette page de son site http://leplagiat.net/, par ailleurs riche en exemples.

    *On trouve aussi une belle figure du vrai plagiaire pseudo-plagié dans ces deux articles mis en ligne sur ce blog et consacrés au même cas, celui d’un plagiaire « plagié » qui a pu compter pendant près de longues années sur le soutien inconditionnel d’universitaires… spécialistes reconnus de l’éthique du Droit. Jusqu’à un président d’université.
    TROP D’ÉTHIQUE TUE L’ÉTHIQUE [1], l’Université Lille 2 et une thèse TGV :
    jamais écrite, mal lue

    et
    TROP D’ÉTHIQUE, TUE L’ÉTHIQUE [2], blanchiment de plagiat et de plagiaire à l’ombre de l’université Paris 8

     

    Jacques BODY

  4. Félicitations pour vos excellents articles sur l’invraisemblable affaire Lyotard plagiaire de Bernheim !
    J’ai moi aussi un peu connu Jean-François Lyotard, j’ai surtout lu beaucoup de ses textes, et l’accusation de plagiat est la plus saugrenue de toutes celles qu’on pourrait formuler à son encontre : c’était un véritable philosophe, soucieux d’éclaircir sa pensée sur toutes les questions qui le sollicitaient, et pas assez faiseur de livres pour avoir recours même occasionnellement à la gonflette plagiaire.
    Bien cordialement,
    Étienne CORNEVIN

     

    Étienne CORNEVIN

  5. 1) Un article de Pascal Riché (Rue 89), mis en ligne ce 1er avril.
    Plagiat : la très fragile défense du Grand Rabbin Gilles Bernheim
    http://www.rue89.com/rue89-culture/2013/04/01/plagiat-tres-fragile-defense-grand-rabbin-gilles-bernheim-241052

    2) À propos de la typologie évoquée par Hélène Maurel-Indart dans son commentaire ci-dessous. Les trois fausses citations du Rabbi Lelov, présentées par Gilles Bernheim dans « sa » 30e méditation (mais peut-être produite par un tiers : la piste du nègre est vraisemblable, ce qui n’enlève rien à la responsabilité du donneur d’ordre et bénéficiaire, Gilles Bernheim) a des caractéristiques et un mode de fabrication très particuliers. On a à faire, si j’ose dire, à un plagiaire original. En effet, dans un texte qui est entièrement du Domenach, le faussaire s’est limité à imposer trois fois la présence du rabbi Lelov –  » Comme le rappelle opportunément le rabbi David Lelov  » ,  » rabbi Lelov l’affirme très fortement » et « reprend le rabbi « , sans même avoir à importer les trois « citations » qu’il prête à Lelov puisqu’elles sont déjà là, en place, dans le texte de Domenach. Le plagiaire n’a pas même eu à les déplacer.

    3) L’analyse des compte-rendus publiés au moment de la sortie de cet ouvrage en librairie apportera aussi quelques éléments intéressants et d’intérêt général sur les effets du plagiat. Que dit un critique, ou un simple lecteur, du texte de « Bernheim » quand il lit en contrebande du Lyotard, du Domenach, du Dobzynski ou du Grosjean ? Citons à cet égard ce premier exemple, matière à un article en cours de rédaction :
    Dans La Croix du 7 décembre 2011, Martine de Sauto titre son compte-rendu de l’ouvrage de Gilles Bernheim :
    « Dans ce livre écrit à la manière des maîtres hassidiques, le grand rabbin de France aborde les questions qui préoccupent l’homme d’aujourd’hui »
    On lit dans le corps de ce compte-rendu : « À leur manière [celle des maîtres hassidiques] mais avec son langage propre, Gilles Bernheim interroge (…)« . Ou encore, en conclusion : « Gilles Bernheim souhaitait (…) qu’il soit un « vrai » livre, simple mais dense, dont la brièveté recoupe la diversité de nos expériences. De toute évidence, il y est parvenu. Gilles Bernheim a l’art de dire beaucoup en peu de mots. Et de le dire bien. »
    Un « vrai » livre ? Martine de Sauto en fait elle même une contre-démonstration éclatante dès la première phrase de son compte-rendu où elle cite un passage qui lui apparaît significatif du message délivré par le Grand Rabbin de France :
    Être juif, explique Gilles Bernheim en introduction de ces Quarante méditations juives, « c’est être un miroir de tout l’homme ».
    À ceci près que, comme nous l’avons vu, cette phrase de l’introduction des Quarante méditations juives, n’est pas de Gilles Bernheim mais volée à Charles Dobsynski, dans son ouvrage Le miroir d’un peuple (Éditions du Seuil, 1988).
    Certes bien involontairement, on s’en doute, et à petite dose, la journaliste de La Croix a fait, ni plus ni moins, du recel de plagiat.
    Il reste à découvrir des textes qui auraient fait, sur la base de la méditation 30, l’éloge de Gilles Bernheim pour son ouverture au catholicisme… alors qu’il ne faisait que répéter mot pour mot quatre pages de Jean-Marie Domenach, penseur du catholicisme par excellence.

     

    Jean-Noël DARDE

  6. Je rejoins effectivement tout ce qui a pu être formulé, et appuie plus encore ce que dit Jean Nehoray : toutes les citations sont tronquées, à ce point tel que le Rabbi David Bidermann de Lelov n’a, effectivement, rien écrit.
    B. HAMON

     

    Benoît HAMON

  7. Giraudoux, dont Jacques Body a justement publié chez Gallimard la grande biographie de référence, disait : « Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d’ailleurs est inconnu. ».
    J’espère que cette citation qui trouve tout sens dans une conception dynamique de la création ne servira pas d’excuse dans cette affaire ! D’autres ne s’en sont pas privés, se faisant passer pour d’authentiques écrivains…
    H. Maurel-Indart

     

    Hélène MAUREL-INDART

  8. Longtemps, Gilles Bernheim s’est couché tard et levé de bonne heure, ce ne serait pas un plagiat (inversé) de la première phrase de la Recherche du temps perdu, par hasard ?
    B. LAURENS

    JND : Aucun hasard du tout. Mais dans ce contexte, plutôt un pastiche.

     

    Béatrice laurens