NON, JEAN-FRANÇOIS LYOTARD N’ÉTAIT PAS UN PLAGIAIRE !

Posté par Jean-Noël Darde

(Mis en ligne le 24 mars. Quelques précisions de détail ajoutées le 26 mars)

(suite de cet article : Gilles BERNHEIM, la bible, le tragique et le plagiat de Jean-Marie DOMENACH)

Avant-propos

Comme me le fait remarquer un ami de Jean-François Lyotard « Pour l’avoir bien connu, cette prétention de Bernheim l’aurait porté à rire. Il aurait même peut-être été heureux de cette publicité post-mortem… ».

Dans la journée du 20 mars 2013, le rabbin Moché Lewin, porte-parole de Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France, a publié un communiqué pour faire cesser des rumeurs malveillantes qui se répandaient sur Internet. Ce communiqué affirmait faire la  preuve que Gilles Bernheim n’avait jamais plagié le philosophe Jean-François Lyotard, tout au contraire.

Deux semaines auparavant, Jean-Clet Martin, philosophe et universitaire, avait sur son blog Strass de la Philosophie, sous le titre « Gilles Bernheim ou Jean-François Lyotard ? » mis à la suite d’une introduction d’une ironie mordante de Pierre Girardey deux textes jumeaux : la 26e des Quarante méditations juives (ouvrage publié en 2011 par Gilles Bernheim aux éditions Stock),  « Le aleph » (pages 128 à 131 de ce  livre) et un entretien avec Jean-François Lyotard publié en 1996 aux éditions Desclée De Brouwer sous le titre : Questions au judaïsme (entretiens avec Élisabeth Weber : Pierre Vidal-Naquet, Jacques Derrida, Rita Thalmann, Emmanuel Levinas, Léon Poliakov, Jean-François Lyotard, Luc Rosenzweig).

Sauf à prendre à la lettre la théorie de Pierre Bayard sur « Le plagiat par anticipation », tout lecteur de bonne foi du site de Jean-Clet Martin était conduit à croire, du fait de l’antériorité de l’entretien avec J.F. Lyotard (entretien enregistré en 1991 et publié en 1996) sur la publication de la 26e méditation du Grand Rabbin (Stock, 2011) que Jean-François Lyotard avait été plagié.

Le Grand Rabbin de France affirme dans le communiqué officiel mis en ligne sur son site que dans les années 80, alors aumônier des étudiants et jeune professeur, il avait l’habitude de distribuer les notes de ses conférences sous la forme de photocopies à son auditoire. Gilles Bernheim soutient que c’est une de ces photocopies que Jean-François Lyotard se serait appropriée et dont il aurait nourri, presque au mot près, sa réponse lors de son entretien avec Élisabeth Weber. Gilles Bernheim, sans rien savoir des mauvais procédés de Lyotard en 1991-1996, aurait recyclé un texte photocopié et distribué à ses étudiants il y a 30 ans pour rédiger sa 26e méditation…

Prétendre que Jean-François Lyotard aurait signé de son nom un texte qu’il n’a pas rédigé de sa main, c’est sans la moindre ambiguïté l’accuser de plagiat; ceci quelles que soient les conditions dans lesquelles Jean-François Lyotard aurait pris connaissance de ce texte. Une fois son accusation portée, le Grand Rabbin, magnanime, conclut ne pas souhaiter ouvrir une polémique « sur l’utilisation qui a été faite à son insu de ce texte ».

Tous ceux qui ont connu Jean-François Lyotard, ou connaissent ses travaux, auront peine à croire au scénario présenté par le Grand Rabbin de France. On imagine donc que pour faire cesser les doutes, Gilles Bernheim rendra public rapidement un exemplaire de ces fameuses photocopies datées des années 80 dont François Lyotard aurait servilement récité le texte en 1991 devant le magnétophone d’Élisabeth Weber.

Aujourd’hui, l’éditeur du site Strass de la Philosophie, Jean-Clet Martin, peut-être soumis à d’amicales pressions, a commencé par battre en retraite. Son article « Qui est Lyotard ? » qui a suivi la diffusion du communiqué du Grand Rabbin répond d’abord et avant tout à la question Qui est Bernheim ? :

« Notre site a pris connaissance du communiqué de Gilles Bernheim dont l’intégrité est au-dessus de tout soupçon. De cette intégrité, nous ne pouvons douter en tant que telle ».

Jean-Clet Martin poursuit de manière assez confuse : cette affaire pourrait être le simple résultat de l’attitude « d’intermédiaires nombreux » (c’est très aimable pour eux, notamment pour Élisabeth Weber et les éditions Desclée De Brouwer) ou même, semble-t-il suggérer, de la complexité de la pensée de Lyotard et de son rapport « postmoderne » au texte.

Interrogé par Louis Blanchard et Grégoire Leménager, du forum BibliObs, Jean-Clet Martin avance aussi cette hypothèse :

« (…) on ne peut pas affirmer qu’il y a plagiat, mais seulement noter l’identité rigoureuse entre deux textes espacés de dix ans. Bernheim et Lyotard auraient pu tous deux se référer à un texte plus ancien, une source commune ».

Se refuser à dire qu’il y a plagiat, puis dans la foulée proposer une solution qui compterait non pas un plagiaire, mais deux plagiaires  – Bernheim comme Lyotard auraient repris le texte d’une même source commune sans que l’un et l’autre ne la citent – paraît manquer singulièrement de cohérence. Mais Jean-Clet Martin, qui n’a peut-être pas dit son dernier mot, poursuit :

« Ce qui est cependant très étrange est que [le texte] de Bernheim a procédé à des modifications minimales, qui donnent parfois lieu à des invraisemblances. »

Certains problèmes ont déjà  été évoqués par Jean Nehoray et Benoît Hamon sur le site Theoria :

Jean-François Lyotard est mort, mais il doit pourtant répondre d’une accusation de plagiat venant de M. Gilles Bernheim. Nous autres vivants, avons donc le devoir de répondre à la place de celui qui ne peut répondre. Il ne s’agit pas là d’une polémique, mais de l’honneur d’un homme condamné au silence.

Les arguments érudits développés par Nehoray et Hamon dans Gilles Bernheim plagiaire de Lyotard ? Du nouveau dans l’affaire (notamment, Lyotard cite sa source, Sholem, alors que Bernheim cite, semble-t-il à tort, le rabbi Mendel de Rymanov comme source directe) semblent d’ailleurs avoir suffi pour convaincre le rabbin Moché Lewin, porte-parole du Grand Rabbin, d’effacer sa signature, son numéro de portable et son adresse mail du Communiqué mis en ligne sur le site du Grand Rabbin. Pour ma part, j’attends de faire une dernière vérification avant d’ajouter une remarque supplémentaire qui conforterait l’hypothèse d’un texte de Gilles Bernheim « repris » de celui de Lyotard.

S’il était prouvé que l’honneur de Jean-François Lyotard était sauf, ce qui paraît assez probable, ce serait alors l’honneur de Gilles Bernheim qui serait en question. Ceci d’autant plus que Gilles Bernheim a eu l’imprudence dans cette affaire d’intervenir non comme un simple auteur mais d’abord en sa qualité de Grand Rabbin de France, comme l’atteste la forme de son communiqué. De mauvais esprits pourraient alors même penser que l’auteur Gilles Bernheim a tenté de se protéger en faisant valoir sa fonction.

Jean-François Lyotard n’est pas le seul auteur que Gilles Bernheim pourrait être tenté d’accuser d’avoir plagié ses notes de conférences des années 80… ou des années 70… ou même des années 60 (Gilles Bernheim est né en 1952).

Charles Dobzynski, Jean-Marie Domenach, Jean Grosjean, Élie Wiesel et d’autres…  ont-ils plagié Gilles Bernheim ?

Une démarche rigoureuse incite à explorer toutes les voies, à vérifier toutes les hypothèses, même celles qui peuvent paraître à première vue heurter le sens commun.

Nous adopterons donc provisoirement l’hypothèse « Bernheim« . Son « intégrité au-dessus de tout soupçon » dont « nous ne pouvons douter en tant que telle » (sic) conduit en cas de similitudes observées dans son ouvrage publié en 2011 à expliquer celles-ci par une appropriation plus ancienne par des tiers des notes de ses conférences photocopiées et diffusées antérieurement à son auditoire.

Il se fait que les similitudes se bousculent dès l’introduction de Quarante méditations juives. Comme Gilles Bernheim l’affirme dans le cas de la 26e méditation, ces similitudes désigneraient-elles des plagiaires qui auraient nourri leurs ouvrages respectifs des notes des cours dispensés par G. Bernheim au Centre Edmond Fleg dans les années 80 et dont, comme il est affirmé dans le communiqué de presse à propos de Lyotard, il s’est resservi pour la rédaction de son ouvrage Quarante méditations juives ?

Gilles Bernheim, Grosjean comme devant

Jean Grosjean (1912-2006), était un poète et écrivain, ancien prêtre, très inspiré par la Bible. Il était éditeur chez Gallimard.

Toute la première partie de l’introduction de l’ouvrage de Gilles Bernheim comporte de nombreuses « similitudes » avec des passages d’Araméennes.

Ce livre de J. Grosjean est le résultat de conversations avec Roland Roland Bouhéret
, Dominique Bourg et Olivier Mongin (Paris, Éditions du Cerf, 1988).

Attardons-nous sur l’exemple, ci-contre dans sa version « proche » de Bernheim (à cheval sur les pages 11 et 12 des Quarante méditations) et ci-dessous dans sa version « soluble » de Grosjean, page 71 des Araméennes.

« Un livre, qu’on le lise ou qu’on l’écrive, doit être proche [soluble] dans la vie. On doit pouvoir à chaque page lever les yeux sur le monde ou se pencher sur un souvenir pour vérifier le texte. J’entends par là que lire n’est pas un loisir, c’est un labour. Chaque phrase doit retourner l’âme du lecteur pour y semer, au profit des racines qui dorment en nous ».

Roland Bouhéret est aujourd’hui décédé, mais Olivier Mongin pourra témoigner si cette réponse de Jean Grosjean a une question de Roland  Bouhéret a été spontanée, ou réécrite postérieurement à l’entretien.

Certes l’intégrité de Gilles Bernheim, un homme honorable, est « au-dessus de tout soupçon », mais on conviendra que l’intégrité de Jean Grosjean l’était tout autant…

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Élie Wiesel, un plagiaire par anticipation ?

Une bonne part du texte de 4e de couverture de Célébration hassidique d’Élie Wiesel, ouvrage publié au Seuil en 1976, se retrouve dans l’introduction des Quarante méditations. L’hypothèse du plagiat par anticipation écartée, on s’interroge… Le jeune Bernheim avait en 1976 tout juste 24 ans et ne distribuait pas encore ses notes de conférences à la volée.

Élie Wiesel, prix Nobel de La Paix, avait eu à se plaindre de Jacques Attali (affaire Verbatim, en 1993). L’emprunt repéré serait ici plus léger… Il n’empêche… D’autant plus que nous pensons que quelques autres phrases de cette introduction doivent probablement aussi à Élie Wiesel.

Notons que dans son communiqué, Gilles Bernheim avance comme principal argument contre Lyotard sa connaissance directe des textes hassidiques auquel le philosophe n’avait pas accès. On comprend donc d’autant plus mal qu’un tel spécialiste ait eu besoin de « reprendre » la 4e de couverture de l’ouvrage de Wiesel pour nous présenter l’hassidisme.

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Gilles Bernheim est-il « autres » ?

Les similitudes « Charles Dobzynski« , auteur d’une Anthologie de la poésie yiddish parue en 1987 (Le miroir d’un peuple, Le Seuil), sont encore plus étranges.

« Être juif, précisément, c’est atteindre en soi ce qui vous fait autre et semblable à tous les autres » : cette phrase énoncée par son véritable auteur a un sens, mais elle deviendrait dérisoire reprise par un éventuel « plagiaire » qui serait « autres »… à la fois Charles Dobzynski, Jean Grosjean, Jean-François Lyotard, Élie Wiesel, et bien « d’autres » encore…

Un autre exemple tiré des méditations ?  La formule « Le  christianisme retourne le tragique et le vide de son contenu » (p. 145, 2e §. méditations n° 30, Bible et tragique) n’est pas du Grand Rabbin de France, mais de Jean-Marie Domenach (Le retour du tragique, Éditions du Seuil, 1967 – G. Bernheim avait 15 ans et ne donnait pas encore de conférences). Cette formule a d’ailleurs été considérée comme suffisamment originale en soi pour être citée par Guy Bocquet dans un compte-rendu de ce livre en 1969 dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations.

Ce que personne ne contestera au Grand Rabbin de France, c’est son ouverture aux autres églises, et notamment à l’Église catholique. En témoigne cette introduction en forme de Méditation n° zéro où Gilles Bernheim écrit comme Jean Grosjean parle (ou l’inverse) ou ces accords parfaits avec la pensée de Jean-Marie Domenach (ou l’inverse).

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On se souvient qu’en 1998, un autre homme d’église, Mgr Gaillot, accusé de plagiat, avait d’abord rejeté la faute sur son « documentaliste », en réalité son nègre. Mgr Gaillot avait ensuite pris l’initiative de demander à son éditeur, les éditions n°1 (Hachette), le retrait de la vente de l’ouvrage contesté, La dernière tentation du diable. Un précédent à méditer… le diable est partout.

* * *

DERNIÈRE !

25 mars, LA TRIBUNE JUIVE : André Mamou, rédacteur en chef, développe l’explication proposée par Moché Lewin dans le communiqué publié le 20 mars sur le site du Grand Rabbin de France.

Le « aleph », méditation 26, est bien de Gilles Bernheim

(Texte intégral, format pdf)

(…)

Explication ! En 1980 , Gilles Berheim, aumônier des étudiants juifs au Centre Fleg, écrivait à la main des textes qu’il photocopiait et qu’il distribuait à ses auditeurs. Certains d’entre eux enregistraient également les cours de Bernheim sur leur magnétophone. « Il s’est révélé que certains les passaient à d’autres et ainsi de suite, jusqu’à ce que la source se perde« .

Conclusion ! Pour certaines méditations de son ouvrage, le Grand Rabbin a repris certains de ses textes anciens qu’il avait généreusement offerts à ses étudiants et il n’a commis que le plagiat de ses propres écrits.

André Mamou

C’est limpide comme l’eau fraîche « jusqu’à ce que la source se perde ». Mais le texte n’est pas perdu pour tout le monde puisqu’il est récupéré puis récité par Jean-François Lyotard à Élisabeth Weber…

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15 réponses to “NON, JEAN-FRANÇOIS LYOTARD N’ÉTAIT PAS UN PLAGIAIRE !”

  1. Jean-Clet Martin a ajouté ce soir un post-sciptum à son article « Qui est Lyotard ? » sur le site Strass de la Philosophie.

    Comme Olivier Mongin et Roland Bouhéret dans le cas Grosjean/Bernheim, Elisabeth Weber qui s’est mise en rapport avec Jean-Clet Martin est en effet bien placée pour informer sur les conditions dans lesquelles s’est déroulé l’entretien avec Jean-François Lyotard en 1991 et les conditions de son édition en 1996.
    JND

     

    Jean-Noël Darde

  2. La méditation est un art difficile et un genre exigeant. Elle engage un auteur et une subjectivité au plus intime d’eux-mêmes. Qu’en serait-il aujourd’hui de la réputation philosophique de Descartes s’il s’était avéré au cours des siècles que les Méditations métaphysiques sont en vérité un pot-pourri de citations non référencées de Gassendi, Mersenne et autres acteurs intellectuels de ce temps?
    Le problème est mal posé, objectera-t-on: Descartes ne vivait pas au temps de la photocopieuse et du papier à en-tête.
    J’en conviens – ça change tout.

    Alain BROSSAT

     

    Alain BROSSAT

  3. J-N. porte le coup de grâce aux tentatives amusantes de G. Bernheim, qui ne veut pas ouvrir une polémique, on le comprend.

    A défaut d’un communiqué cette phrase du quatrième de couverture des quarante méditations, devrait au moins être modifiée:

    Très tôt le matin, ou très tard dans la nuit, lorsque ses charges de grand rabbin de France se font moins pressantes, Gilles Bernheim écrit.

    Je propose une phrase plus réaliste:

    Très tôt le matin, ou très tard dans la nuit, lorsque ses charges de grand rabbin de France se font moins pressantes, Gilles Bernheim dort.

    Jean NEHORAY

    JND : Jean Nehoray a signé avec Benoît Hamon : Gilles Bernheim plagiaire de Lyotard ? Du nouveau dans l’affaire.

     

    Jean NEHORAY

  4. Une accusation de plagiat ne peut dépendre d’une opinion, ni d’une sentence immédiate, fût-ce la mienne. Elle demande la constitution d’une enquête comme le propose ma requête en direction d’Elisabeth Weber. Je ne vois nulle part de confusion.
    Pour qui sait lire mon texte sur Lyotard -qui m’intéresse plus que Bernheim- la chose est très claire et se place au-delà de toute doxa déclarative qui cherche à valoir hâtivement comme vérité prescriptive.
    Il conviendrait, en ce sens, de dépoussiérer votre propos des intentions qui me sont attribuées de façon un peu divinatoire. Je n’ai pour le moment rien de probant de la part d’Elisabeth Weber.
    Jean-Clet MARTIN

    JND :
    Réponse modifiée après le commentaire de Pierre Girardey
    Pour qui relit le premier article paru sur votre blog, signé Pierre Girardey, Gilles Bernheim ou Jean-François Lyotard ?, c’est Bernheim qui, comme éventuel clone de Lyotard, paraissait le personnage principal. C’est bien sur lui seul que s’exerçait la mordante ironie de Girardey.
    Vous ne posez la question « Qui est Lyotard ? » qu’après le communiqué du Grand Rabbin de France.
    Pour ma part, une fois lus, sans hâte, Dobzynski, Domenach, Grosjean et Wiesel, je « devine » à peu près qui est Bernheim en tant qu’auteur.
    Si les éléments que j’apporte sur la relation entre les textes de Dobzynski, Domenach, Grosjean et Wiesel d’une part et Bernheim d’autre part ne vous paraissent pas probants, vous risquez de vous interroger longtemps… sur Lyotard.

    Vous nous avez parlé « d’invraisemblances » à propos du texte de Bernheim… vous laissez vos lecteurs sur leur faim.

     

    Jean-Clet MARTIN

  5. L’ironie dont vous parlez dans votre commentaire ne peut en aucun cas être attribuée à Jean-Clet Martin puisque le premier article est de moi (voir la signature à la fin).
    Jean-Clet Martin a eu l’amitié de relayer sur son site cette découverte!
    Je crois que sa prudence est justifiée et honorable sa réserve.
    Pierre GIRARDEY

    JND :
    Dont acte, désolé de mon erreur et bravo à vous pour cette découverte et cette introduction. C’est plus cohérent ainsi. Je viens de corriger ma réponse à Jean-Clet Martin dans ce sens.
    Je suis moi aussi prudent, on ne l’est jamais assez. Et si j’ai envisagé un problème d’honorabilité – vous conviendrez que d’éventuels plagiats mettent en cause l’honneur de leurs auteurs –, ce n’est en aucun cas à propos de JCM. Vous ne l’ignorez pas.
    La piste Élisabeth Weber n’est pas la seule à suivre, celles ouvertes par Jean Nehoray et Benoît Hamon sont aussi prometteuses : Sholem/Mendel de Rymanov, les « paroles voisées » etc.
    De votre côté, pensez-vous que les tests de paternité sont encore nécessaires pour les créations littérairement assistées de l’introduction des Quarante méditations juives ?.

     

    Pierre GIRARDEY

  6. En tout cas les résultats sont troublants…!
    P. G.

     

    Pierre GIRARDEY

  7. Comme l’écrit Jean-Noël Darde, « tous ceux qui ont connu Jean-François Lyotard, ou connaissent ses travaux » n’ont pas cru une seconde que, dans les années 80, le philosophe, auteur déjà d’une œuvre considérable, ait pu emprunter une seule ligne – sans citer son auteur – à un jeune rabbin devenu par la suite Grand Rabbin de France.
    Ne connaissant pas M. Bernheim, mais connaissant un peu Jean-François Lyotard, je me suis dit, en découvrant la similitude des cinq pages entre leurs deux textes révélée sur le blog de Jean-Clet Martin, que la probabilité d’un plagiat de Gilles Bernheim sur Jean-François Lyotard était très forte.
    C’est pourquoi, quand a été diffusé le communiqué du Grand Rabbin qui renverse l’accusation et sous-entend que Lyotard est le plagiaire de Bernheim, j’ai été choqué par ce procédé qu’utilisent parfois comme échappatoire éphémère, malgré l’évidence des faits, certains plagiaires, avant que la réalité ne les rattrape.
    Quand, dans ce communiqué, il est souligné que le Grand Rabbin « s’est référé …. aux ouvrages suivants en langue hébraïque : Torat Menahem et Divrei Menahem de Rabbi Menahem Mendel de Rymanov, dont il n’existe aucune traduction en langue française », j’ai bien compris que Lyotard, qui ne lisait que le latin, le grec, l’allemand, l’anglais et l’italien (j’en oublie peut-être), était subrepticement dénoncé comme plagiaire puisque lui, n’avait pas dû avoir accès aux textes hébraïques. Mais dans les cinq pages incriminées, Lyotard cite Scholem comme référence, ce dont le Grand Rabbin de France ne tient pas compte. Un tel oubli suffit à rendre suspect ce communiqué.
    Le texte particulièrement probant de Jean Nehoray publié le 22 mars (http://www.theoria.fr/gilles-bernheim-plagiaire-de-lyotard-du-nouveau-dans-laffaire/) démontre plus longuement la « fragilité » de ce communiqué.
    J’ai été choqué également par la mise au point de Jean-Clet Martin après la publication du communiqué du grand Rabbin de France : « Notre site a pris connaissance du communiqué de Gilles Bernheim dont l’intégrité est par ailleurs au-dessus de tout soupçon. » Le « par ailleurs » est étrange et déplacé.
    C’est après les vérifications qui en l’occurrence s’imposent qu’on pourra affirmer que l’intégrité de M. Bernheim reste au-dessus de tout soupçon. Jean-Clet Martin voulait sans doute dire : l’intégrité d’un Grand Rabbin de France doit être au-dessus de tout soupçon. Il aura confondu l’homme et la fonction, le souhaitable et le tangible.
    À partir du moment où Jean-Noël Darde montre, après une recherche rapide et également probante, que l’introduction des Quarante méditations juives est en bonne partie plagiée sur Jean Grosjean, Élie Wiesel et Charles Dobzynski, l’accusation portée contre Lyotard apparaît, si c’était nécessaire, comme une manœuvre dérisoire, et le philosophe retrouve la paternité de son texte qu’il n’avait perdu que dans ce communiqué problématique. On attend la suite de « l’épluchage » du livre de Gilles Bernheim.
    BORIS EIZYKMAN

     

    Boris EIZYKMAN

  8. La question de l’antériorité reste entière en effet pour les similitudes avec Lyotard. Il semble donc impératif de clarifier ce point dans la mesure où Lyotard deviendrait le plagiaire de l’affaire, si l’on s’en tient aux explications scrupuleuses de M. Bernheim.
    Le problème, c’est que cette question de l’antériorité qui fait preuve en cas de contrefaçon ne semble plus tenir, pour ce qui concerne les similitudes avec les autres œuvres analysées par M. Darde.
    Ces nouveaux éléments de comparaison remettent, si je puis dire, le compteur à zéro. Et comme nous ne sommes pas dans un livre de fiction où l’on pourrait « s’amuser », ainsi que l’a fait Umberto Eco dans le Cimetière de Prague avec des personnages imaginaires, il est urgent que tous ces passages communs retrouvent rapidement leur filiation.
    Où est le père, le vrai ? combien de pères pour tous ces rejetons qui se ressemblent ?
    Après tout, l’échange des idées entre intellectuels ne dispense pas de mettre des guillemets.
    Jusques à quand faudra-t-il le redire ?
    Hélène MAUREL-INDART

    JND :
    Si j’ose dire, Hélène Maurel-Indart s’y connaît en plagiat (Du plagiat (2e édition), Gallimard 2012).
    Sa « Petite Enquête sur le plagiaire sans scrupule » sortie en janvier 2013 n’a donc rien à voir avec cette affaire.

     

    Hélène Maurel-Indart

  9. @ Boris Eizekman : Non justement. Je parle du « communiqué ». C’est noir sur blanc. Le communiqué est celui du Grand Rabbin. Ce n’est pas moi qui ait fourni le papier à en tête.
    Cette fonction est intègre et ne me pose aucun problème. Aucun !
    Dites l’inverse si cela vous chante. En revanche, pour l’homme, qui n’est pas la fonction, il reste bien un chemin à clarifier. J’ai parlé d’invraisemblances ! C’est également noir sur blanc.
    Vous avez lu tout le texte que j’ai écrit ?
    Si vous lisez avec les mêmes lunettes toute cette affaire, on risque en effet de confondre bien des choses.
    J’attends la version d’Elisabeth Weber à qui cet entretien a été donné.
    Jean-Clet MARTIN

     

    Jean-Clet MARTIN

  10. Cette affaire est totalement grotesque de la part de Bernheim. Lyotard en quelques lignes citant Scholem rappelle ce que le peuple d’Israël a entendu au pied du mot Sinaï, la lettre aleph.
    Bernheim de son côté ne se revendique pas de Scholem mais du rabbin de Rimanov qui raconte strictement la même histoire que Scholem : n’est-on pas là dans l’ordre de la tradition orale et donc des différentes sources toujours à interpréter et à répéter ?
    Heureusement, pour l’un comme pour l’autre, le peuple d’Israêl entend le même message.
    Bref, sur cette affaire là, les Lyotard comme les Bernheim ne peuvent que raconter des histoires comme on les a toujours racontées. Sur ces quelques lignes qui engagent la croyance des Hébreux, on ne peut pas parler de plagiat.
    Dans la tradition orale et ce que Lyotard appelait le savoir narratif, l’appropriation des récits des autres s’impose, surtout sur de tels sujets ! »

    Martine Lefeuvre-Déotte (MCF à la retraite, en sociologie, Université de Caen) et Jean-Louis Déotte (professeur des Universités à P8 en philosophie).

     

    Martine DEOTTE, Jean-Louis DEOTTE

  11. UN COLLECTIF LYOTARDIEN S’EST MIS À LA TÂCHE. SON TOUT PREMIER COMMENTAIRE CONCERNE LA PISTE PROPOSÉE PAR JEAN NEHORAY : « VOISER »

    « La voix », le « voiser » et « le timbre » se trouvent élaborés dans les textes des années 90 (cf « Voix : Freud » in Lectures d’enfance 1991 ; Chambre sourde, chapitre « Voix perdue », 1998). « Voiser » est effectivement la preuve lexicale de ce que Lyotard est l’auteur du texte.

    La question de « l’aleph » imprononçable et donc d’un texte sans voix, sans présence du Dieu (sans incarnation d’aucune sorte) est déjà soulevée dans Oedipe juif (1968) in Dérives à partir de Marx et Freud (10/18, 1973, p.166-188).
    Lyotard y prend appui sur les Quatre Lectures talmudiques de Levinas (Minuit, 1968, p.130 ; que Lyotard cite p.176 du 10/18).
    Cette question de l’ « aleph » reprise trente ans plus tard dans le chapitre « Voix perdue » de Chambre sourde, Galilée, 1998, p.35.

    Par ailleurs : le 3ème § sur « la foule de petites histoires ordinaires et invraisemblables… » correspond à toute la réflexion de Lyotard sur les « petits récits païens » (cf Rudiments païens, 1979 ; Au juste, 1979) par opposition au « grand récit » d’émancipation.

     

    COLLECTIF LYOTARDIEN

  12. DU NOUVEAU : Élisabeth Weber, l’éditrice en 1996 de Questions au judaïsme a précisé ce 28 mars à Jean-Clet Martin les conditions dans lesquelles la version définitive du texte de Jean-François Lyotard avait été établie. Elle exclut totalement le recours aux notes de Gilles Bernheim par le philosophe.
    Lire http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/03/quest-ce-quun-auteur-de-lyotard-bernheim.html

     

    Jean-Clet MARTIN

  13. Bonjour,
    Je viens de prendre connaissance de la polémique qui s’est développée à propos du plagiat présumé d’un texte de JF Lyotard commis par Gilles Bernheim. Etant le dernier survivant des personnes interviewées par Elisabeth Weber dans « Questions au judaïsme », je peux témoigner des méthodes de travail d’Elisabeth Weber.
    Elle procédait à un long entretien enregistré au magnétophone. On revenait, parfois, sur des sujets abordés au début de la conversation, ce qui donnait un produit brut, je suppose, assez décousu. Quelques semaines plus tard, EW vous adressait une mise en forme de votre entretien, qui en ce qui me concerne était réalisée de manière remarquable, donnant à ces échanges décousus une cohérence parfaite.
    Je ne peux imaginer que JF Lyotard, que j’ai bien connu, ait débité devant Elisabeth un texte appris par coeur d’un cours délivré en 1980 par GB…
    Cela me navre d’autant plus que ceux qui connaissent mes interventions publiques actuelles peuvent constater que sur nombre de sujets (mariage gay, Israël) je suis en parfait accord avec les prises de position du Grand Rabbin…

    Luc ROSENZWEIG

     

    Luc ROSENZWEIG

  14. Certes, mais je pose une question : tout travail d’écriture, surtout en sciences humaines, n’est-il pas fait à partir de notes de lecture ?
    N’est-il pas illusoire de vouloir traquer la citation cachée, non dite ?
    Où finit l’insertion d’une note de lecture et où commence le plagiat ?
    Un plagiat me semble être clair : c’est le fait de faire passer une œuvre faite par un autre pour la sienne. Mais peut-on assimiler une source manquante à du plagiat ?
    Dans ce cas l’ensemble de la communauté des sciences humaines peut être passible de plagiat. Peut-on reprocher de ne pas systématiquement référencer ses notes de lecture ?
    .
    Quant à l’Aleph imprononçable, il s’agit d’un lieu commun de la Sagesse juive, de même pour « voiser » qui est souvent utilisé par les chantres des synagogues en même temps que « vocaliser ».
    À rechercher les sources des sources on peut ainsi remonter à Héraclite. On peut ainsi reprocher à Hüsserl de plagier Dilthey, à Heidegger de plagier Hüsserl et Nietzsche, à Marx de plagier Hegel, etc…
    Or ce qui importe n’est-il pas l’originalité du texte qui devient une pensée propre justement par appropriation de l’oeuvre inspiratrice ? Molière a plagié Aristophane et Plaute, pour en faire du Molière. Freud a plagié Hartmann et Janet, pour en faire de Freud, etc… Quelle est la limite de l’inspiration et du plagiat ?
    Bernard BOTTURI

    JND : Bernard BOTTURI, traducteur de Lao-Tseu, est ici au meilleur de sa forme. Il n’est pas certain que ses arguments, eu égard aux faits avérés, servent beaucoup le Grand Rabbin de France qu’il prétend défendre au delà du raisonnable.

     

    Bernard BOTTURI

  15. Désastreux et éminemment triste !
    F. MICHAELIS

     

    Françoise MICHAELIS