* TROP D’ÉTHIQUE TUE L’ÉTHIQUE [1]

Posté par Jean-Noël Darde

SUR MEDIAPART  (10 octobre 2011) : Quand des universitaires protègent un plagiaire, une enquête de Louise Fessard sur l’affaire de thèses-plagiats traitée ci-dessous.

JUIN 2011 :

l’Université Lille 2 et une thèse TGV :

jamais écrite, mal lue

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AVANT PROPOS

Membre du Séminaire Le plagiat de la recherche, nous avons été invité par la direction de l’Université Rennes 2 à intervenir le 18 mars 2011 dans une « Journée de réflexion autour du plagiat ». Cet article est le complément annoncé lors de notre intervention à Rennes («Le plagiat universitaire en général et les réactions qu’il suscite au sein des instances universitaires») au cours de laquelle nous avons évoqué un cas de thèse-plagiat qui, bien que soutenue en 2000 à l’Université Lille 2, continue à faire l’actualité. Ce travail montre non seulement l’incohérence, jusqu’à l’absurdité, des réactions des autorités académiques face au plagiat universitaire, mais aussi l’engrenage de graves dérives au regard de la déontologie et de l’éthique universitaires que les situations de plagiat entraînent.

Rappelons la position du Ministère face aux plagiats de la professeure Louise Peltzer, Présidente de l’Université de la Polynésie française : « le plagiat d’un livre doit être jugé par la justice civile et non une commission de discipline » (Le Monde, 25.01.2011). Peu après cette défausse sur le plagié et sur des instances juridiques extérieures à l’Université, la Ministre choisissait à propos des plagiats du sociologue Ali Aït Abdelmaleck (Université Rennes 2) une voie différente. Elle écrivait dans un courrier où elle précisait sa position quant à la résolution de ce cas : « Le pouvoir disciplinaire sur les enseignants-chercheurs appartient à la section disciplinaire du conseil d’administration de l’établissement auquel ils sont affectés ».

Le Conseil d’administration de Rennes 2, utilisant un argument démarqué de celui du Ministère dans l’affaire Peltzer, a refusé la convocation d’une commission disciplinaire au mauvais prétexte que les plagiés ne s’étaient pas plaints des plagiats dont ils avaient été les victimes… Cela dit, la direction de Rennes 2 a cependant imposé au plagiaire sa démission du Conseil d’Administration de l’Université et du CNU. Dans un contexte où règne l’impunité totale, il s’agit d’une décision significative.

Le cas de la thèse-plagiat de Lille 2 présenté ci-dessous illustre ce qui peut attendre un plagié quand il se plaint de l’avoir été, qu’il demande à l’Université du plagiaire d’engager une procédure d’annulation de la thèse et qu’il ne l’obtient pas. Les lecteurs de cet article jugeront probablement qu’il aurait été sage que le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ait pris depuis longtemps la mesure de l’affaire exposée ci-dessous, ait décidé d’enquêter, et en ait tiré les conséquences ; ceci, bien avant l’arrivée en 2007 de Madame Valérie Pécresse au Ministère de l’Enseignement supérieur.

Il n’est pas trop tard pour le faire. C’est pourquoi nous avons communiqué la copie d’une première version de cet article à la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche le 4 avril 2011 et avons proposé de mettre à la disposition d’une commission spécifique toutes les informations, éléments et documents que nous avons rassemblés sur ce cas. Rappelons qu’en 2009, la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche avait, après avis favorable du CNESER, confié à une « commission disciplinaire du conseil d’administration de l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) compétente à l’égard des enseignants-chercheurs » le soin de juger une affaire  de « graves irrégularités » qui touchait le président de l’Université du Sud Toulon-Var. Plus récemment, la Ministre a effectué une démarche de même nature vis-à-vis de l’Université de Bretagne occidentale.

Le Cabinet de la Ministre nous a fait savoir que notre courrier et cet article avaient été transmis à Claudine Tiercelin, philosophe et professeur au Collège de France, a qui a été confiée le 30 mars 2011 une mission sur l’éthique et la déontologie universitaires et qui devrait déposer d’ici la prochaine rentrée universitaire « des propositions visant à garantir éthique et transparence à toutes les étapes de la carrière des enseignants-chercheurs, qu’il s’agisse de leur recrutement et de leurs promotions, du fonctionnement des équipes dirigeantes, du problème du plagiat accru par l’usage d’Internet, ou encore des risques de conflit d’intérêts ».

Il nous aurait paru souhaitable que ce dossier soit aussi confié, dès maintenant, à l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (I.G.A.E.N.R.). À ce jour, nous ne l’avons pas obtenu. Dans cette affaire Le Borgne, le plagiat et le plagiaire représentent un problème très secondaire en comparaison du problème principal : les manœuvres et pressions de quelques universitaires pour convaincre l’universitaire plagiée de ne pas exiger l’annulation des thèses de son plagiaire et de ne pas porter plainte en contrefaçon, suivies de nouvelles manœuvres, elles aussi planifiées par des universitaires, pour blanchir le plagiaire. Ces manœuvres étaient dans une première phase destinées à protéger la carrière d’un universitaire et dans une deuxième phase destinées à protéger la carrière du plagiaire. Cette affaire engage des champions universitaires de l’éthique et du droit. L’Université Lille 2 Droit et Santé (1), où a été soutenue la thèse, mais aussi d’autres établissements, notamment l’Université Paris 8, y ont joué un rôle clef.

INTRODUCTION

Cette affaire des thèses-plagiats d’Edmond Le Borgne est à la fois ancienne et récente. Ancienne, parce que les deux thèses-plagiats dont il s’agit ont été soutenues en 1998 et  2000, avant d’être signalées en tant que plagiats en mai 2002. Mais c’est une affaire récente parce que ce n’est qu’en juin 2010 qu’un arrêt de la Cour de cassation a donné une conclusion juridique définitive à cette affaire. Ces décisions judiciaires ont force de chose jugée et on peut donc aujourd’hui traiter plus librement de cette affaire, dans des conditions où on n’imagine plus les anciens soutiens universitaires du plagiaire continuer à soutenir les versions fantaisistes et extravagantes du condamné.

Pour les instances de la Faculté de médecine d’Angers et l’Université Droit et Santé de Lille 2, c’est aussi une affaire très récente : à la suite de la mise en ligne sur ce blog Archéologie du copier-coller de l’article Angers & Lille 2, en novembre 2010, et aussi après diverses interventions, elles se sont décidées à convoquer Edmond Le Borgne en 2011 dans la perspective d’une annulation de ces deux thèses, ce qu’elles s’étaient abstenues de faire pendant près de 10 ans !

Malheureusement, le choix de l’Université Lille 2, bien qu’informée du plagiat dès 2002, de ne pas convoquer aussitôt une commission disciplinaire et de ne pas annuler la thèse incriminée risque de disqualifier les instances de cette université pour se saisir aujourd’hui de cette thèse-plagiat. Au point où en sont les choses, toutes les décisions prises maintenant à Lille 2 au sujet de cette thèse seront en effet entachées de soupçons : quelles responsabilités ces instances ont-elles refusé d’évoquer ?

Ce dossier a déjà été introduit sur ce blog à travers la mise en ligne d’arrêts et d’un article sur la radiation d’E. Le Borgne de l’ordre des avocats. Il est aujourd’hui complété par la mise en ligne, ici, du jugement en première instance dont la lecture est utile pour mieux comprendre l’article ci-dessous. On notera la peine de 3 ans de prison, une sanction exceptionnelle pour une affaire de plagiat-contrefaçon, même si pour 30 des 36 mois, elle était assortie du sursis. Cette condamnation très sévère s’explique par l’ampleur des plagiats et l’attitude du prévenu tout au long de la procédure, notamment sa tentative, activement soutenue par certains universitaires, de faire porter à sa victime la responsabilité de ses propres méfaits. La peine sera réduite en appel à 2 années d’emprisonnement avec sursis, une sanction qui reste néanmoins exceptionnelle pour un cas de thèses-plagiats.

Nos recherches se poursuivent. La suite de « Trop d’éthique tue l’éthique »* est en cours de rédaction et sera mise en ligne à la prochaine rentrée universitaire, en octobre 2011. Ces études sont l’occasion d’exposer des problèmes d’intérêt général relatifs au monde universitaire et plus particulièrement au respect de l’éthique et de la déontologie dans l’enseignement supérieur et la recherche. L’étude détaillée de ce cas permettra aussi aux participants du colloque « Le plagiat de la recherche », qui se tiendra le 20 et 21 octobre 2011 au Sénat, de mieux appréhender certains aspects des problèmes qui y seront traités.

Le sujet abordé ci-dessous pourrait aussi se résumer à cette  modeste question :  dans un contexte universitaire, quelle est la réponse à apporter dans le respect de l’éthique et la déontologie universitaires à une situation de thèse-plagiat ?

On ne pouvait mieux traiter ces questions d’éthique et de déontologie qu’à travers le cas d’une thèse-plagiat soutenue à l’Institut du Droit et de l’Éthique de l’Université Droit et Santé Lille 2.

Cet Institut est dirigé par Xavier Labbée, auteur de l’Introduction générale au droit – Pour une approche éthique (première édition, 2002. Presses universitaires du Septentrion). Xavier Labbée a aussi été le directeur de la principale des deux thèses-plagiats dont il sera question dans cette étude.

Jean-Jacques Taisne, auteur de l’ouvrage « La déontologie de l’avocat » (1ere édition en 1995), était le Président du jury. Dans sa préface à l’ouvrage de Xavier Labbée cité plus haut, Jean-Jacques Taisne rappelle aussi que le propos de Pascal « Que la justice soit forte. Que la justice soit juste » est  la devise de la faculté de droit de Lille.

Ainsi ce cas de thèse-plagiat, soutenue dans un lieu qui a la justice pour horizon et devant des spécialistes de l’éthique et de la déontologie, s’impose comme un terrain d’étude privilégié sur le plagiat universitaire.

Dans le cadre de cette étude, nous avons eu l’occasion de prendre contact avec plusieurs dizaines d’interlocuteurs — aussi bien certains qui ont soutenu en toute connaissance de cause soit la plagiée, soit le plagiaire, que d’autres dont la confiance a été à un moment donné abusée par ce dernier ou ses soutiens. À quelques exceptions près, ces interlocuteurs ont répondu très volontiers et longuement à nos questions et nous ont considérablement aidé à comprendre tous les aspects et les ressorts de cette affaire de plagiat universitaire. Monsieur Edmond Le Borgne avec qui nous avons été brièvement en contact n’a pas souhaité communiquer par mail comme nous lui avons proposé.

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Madame Bénédicte Bévière, actuellement Maître de conférences à l’Université de Franche-Comté (Besançon), a soutenu un mémoire de DEA de sociologie «Les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale», sous la direction de Jean Cochin et Claude Nières à la faculté de Lettres de Rennes (Rennes 2). En 1996, B. Bévière a soutenu sa thèse de doctorat en droit : « La protection de la personne dans la recherche biomédicale » sous la direction du professeur Francis Kernaleguen à la Faculté de droit de Rennes (Rennes I).

Le jury de soutenance était composé de Francis Kernaleguen, professeur à la Faculté de droit de Rennes 1; Brigitte Le Mintier, professeur à la Faculté de droit de Rennes 1, François Magnin, professeur à la Faculté de droit de Besançon et Philippe Pedrot, maître de conférences à l’Université de Toulon. Le jury comptait un cinquième élément en la personne d’Edmond Le Borgne «Docteur en radiologie et biophysique, chargé de mission», participant à ce jury pour, affirmait-il à l’époque, avoir travaillé au Ministère de la santé dans le domaine des recherches biomédicales. À l’issue des délibérations, Bénédicte Bévière a obtenu le diplôme de « Doctorat en droit privé » avec la mention Très honorable, et félicitations du Jury.

En 2001, la qualité reconnue de la thèse de Bénédicte Bévière lui vaut d’être publiée aux éditions « Les études hospitalières » (2), éditeur spécialiste du droit hospitalier et médical. Cette publication est décidée à l’initiative du professeur Mémeteau, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Poitiers, personnalité reconnue dans le domaine de la bio-éthique et directeur de la collection « Thèses » de ce catalogue.

CE QUE PLAGIER VEUT DIRE

En mai 2002, soit six ans après avoir soutenu sa thèse, Bénédicte Bévière découvre à l’occasion de nouvelles recherches sur la bio-éthique, les plagiats serviles, copies grossières de sa thèse (soutenue en 1996) et de son mémoire de DEA (soutenu en 1994) par Edmond Le Borgne (personnage cité plus haut comme membre de son jury de soutenance de thèse), dans deux thèses rédigées et soutenues par ce dernier :

1) Une thèse de médecine légale : «Adaptation de la loi du 20 décembre 1988 modifiée qu’impose le Code de la santé publique sur la protection des personnes qui se prêtent aux recherches biomédicales», Thèse soutenue par Edmond Le Borgne le 3 juillet 1998 à la Faculté de médecine d’Angers, sous la direction du professeur Serge Fanello, médecin de santé publique et  praticien hospitalier. Le jury comprenait en outre, le professeur Herbert Geschwind, président du Comité d’éthique de la recherche de l’Université Paris XII, le professeur Alain Pineau, de la faculté de pharmacie de Nantes, le Docteur Eric Viguier, de l’École vétérinaire de Maisons-Alfort et Marc Duriez, économiste en santé publique.

2) Une thèse de droit privé : «Le corps du Cobaye humain, objet de contrat», soutenue le 13 mai 2000 par E. Le Borgne à L’Université Lille 2 Droit et Santé, École doctorale n° 74), sous la direction de Xavier Labbée, directeur de l’Institut du droit et de l’éthique à l’Université Lille 2 et avocat. Participaient aussi au jury : André Catros, professeur d’ophtalmologie de l’Université de Rennes, le professeur Daniel Furon (Lille 2), président de l’Institut de santé au travail du Nord de la France (ISTNF); et à nouveau le professeur Alain Pineau de la Faculté de pharmacie de Nantes, futur doyen, ainsi que le professeur Jean-Jacques Taisne de l’Université Lille 2, également avocat.

Les plagiats qui figuraient dans ces deux thèses n’étaient pas anodins :

* En ce qui concerne la thèse de médecine légale soutenue en 1998 par M. Le Borgne à la Faculté de médecine d’Angers, 87 des 126 pages ont été copiées sur la thèse de Bénédicte Bévière et 2 pages reprennent l’essentiel d’un développement présenté dans le mémoire de DEA de cette même chercheuse.

* Selon la comptabilité précise  des juges (Cour d’appel de Paris, 30 avril 2009), 148 des 284 pages de la thèse de droit privé soutenue par E. Le Borgne ont été servilement empruntés à la thèse de Bénédicte Bévière, et 34 pages avaient pour origine le mémoire de DEA de cette dernière, rédigé et soutenu l’année universitaire 1993-1994. Ces emprunts, 182 pages donc des 284, touchaient tous les aspects de la thèse et du mémoire plagiés : textes, titres, schémas, annexes, bibliographie, jusqu’au « choix » d’abréviations originales…

Il faut préciser que le plagiaire, à supposer qu’il ait vraiment lu tous les documents qu’il a copiés, ne les a assurément pas compris. Ainsi « certains passages ont été recopiés sans aucune suite logique » (cf. arrêt de la cour d’appel). Le plagiaire ne s’était pas rendu compte qu’en inversant un certain nombre de paragraphes, ou même de pages, du texte original, pour établir ses thèses-plagiats, il avait rendu de larges parties de son « travail » incohérentes, voire incompréhensibles. À plusieurs reprises, il inversera des titres de parties de la thèse copiée qu’il associera à des parties plagiées dont le contenu n’avait aucun rapport. Tout cela aurait pu retenir l’attention de ses deux directeurs de thèse ainsi que celle des rapporteurs et autres membres des jurys de soutenance.

Dans la bibliographie de la thèse de droit rédigée sous la direction de Xavier Labbée, les ouvrages d’auteurs dont les patronymes commencent par la seule lettre « A » occupent à eux seuls plus de la moitié de la bibliographie. Ce taux frise les 70% si on considère les auteurs dont les noms commencent par les seules lettres A, B ou C. De toute évidence, E. Le Borgne n’a plagié que la première page de plusieurs unités bibliographiques qui ont constitué la matière de la « bibliographie » de cette thèse-plagiat. D’où cette « ségrégation » alphabétique qui n’a laissé passer, à quelques exceptions près, que les auteurs aux patronymes commençant par les lettres A, B, ou C… « L » étant la lettre butoir au-delà de laquelle il n’existait alors, semblait-il, plus aucun spécialiste de l’éthique médicale, pas même le professeur Mémeteau passé à la trappe parce que son nom commence par un « M ».

Si 182 des 284 pages de la thèse de droit de M. Edmond Le Borgne ont été en quelque sorte « écrites » par Bénédicte Bévière, il est exclu que le solde, soit 102 pages, ait été rédigé par l’auteur en titre de la thèse. De nombreuses traces d’emprunts du plagiaire à d’autres sources de plagiat ne passent pas inaperçues, ainsi cette incise que nous reproduisons et soulignons ici en rouge : «  (Cf. rèf. Dans notre étude : L’embryon législatif : D. 1994, chron. P. 355) ». En 1994, 6 ans donc avant cette soutenance, Edmond Le Borgne qui n’avait jamais suivi d’études de droit avant son inscription en thèse, ne pouvait avoir écrit la moindre ligne de « L’embryon législatif ». Cet article, très connu dans le milieu éthique-santé, était paru à cette date dans le recueil Dalloz signé par le professeur Gérard Mémeteau, directeur du Centre de droit médical de la Faculté de droit de l’Université de Poitiers. Dans cette partie de sa thèse, Edmond Le Borgne avait pillé les travaux du professeur Mémeteau. Notons aussi qu’il peut être quasiment exclu que Xavier Labbée, directeur de l’Institut du droit et de l’éthique de l’Université Lille 2 et directeur de cette « thèse », ne sache pas que le fameux « L’embryon législatif » devait être attribué au professeur Mémeteau.

Nous nous sommes limité à deux exemples — la bibliographie foldingue et le vol d’embryon législatif — qui ne pouvaient qu’alerter les lecteurs de cette thèse si elle avait été vraiment lue. Le plagiaire ayant agi sans la moindre précaution — affichant ainsi un mépris certain vis-à-vis de ses directeurs de thèses et des membres des  jurys — les indices de ses plagiats étaient multiples et si explicites, tout particulièrement dans la thèse soutenue à Lille 2, que nous pourrions aussi facilement en citer  non pas 2, mais plus de 100. Beaucoup de ces indices étant facilement repérables par un lecteur n’ayant aucune connaissance du domaine traité.

Bévière, Mémeteau, et d’autres plagiés…, c’est une véritable polyphonie qui est à l’œuvre dans la thèse d’Edmond Le Borgne soutenue à Lille où seule la voix de ce dernier est difficile à distinguer, sinon à travers une quantité considérable d’incohérences manifestes, d’erreurs, fautes et coquilles du copiste.

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SOUTENANCES TGV

Edmond le Borgne a été inscrit un an à la Faculté de médecine d’Angers pour préparer  sa thèse-plagiat de santé publique. Cela, à la faveur d’une dispense imprudemment accordée par son futur directeur de thèse, le professeur Fanello. Ce dernier a été convaincu d’accorder cette « facilité », au vu d’un courrier de recommandation signé par le Sénateur Huriet que lui avait montré Edmond Le Borgne. Plus tard, devant le juge d’instruction, le professeur fera l’hypothèse que cette lettre qu’on lui avait fait lire sans en lui laisser la version originale pouvait être un faux.

À L’Université Lille 2 Droit et Santé, tout va plus vite encore, Edmond Le Borgne demande son inscription en thèse auprès des services de l’École doctorale le 11 novembre 1999, elle lui est accordée le 4 janvier 2000. Il la soutient moins de 5 mois plus tard, le 13 mai 2000. Un record en la matière. C’est une thèse à Très Grande Vitesse.

Les qualités de pédagogue de Xavier Labbée sont tout autant appréciées à l’Institut du droit et de l’éthique (Lille 2) qu’il dirige qu’à l’Institut catholique de Lille où il enseigne le droit et l’éthique funéraires. Ces qualités reconnues ne pouvaient cependant expliquer la rapidité avec laquelle son doctorant, Edmond Le Borgne, s’était découvert les compétences pour rédiger une thèse de droit alors que selon les juges de la Cour d’appel : « le prévenu n’était pas juriste et n’a jamais suivi d’études de droit ».

Peut-on reprocher à Xavier Labbée, aux rapporteurs de pré-soutenance et aux autres examinateurs du jury d’être restés aveugles à des plagiats aussi grossiers ? À vrai dire, compte tenu de ce que nous avons constaté, ce serait faire une double injure, à leur intelligence et à leur compétence, d’imaginer un seul instant que les membres de ce jury auraient pu ne pas s’être aperçus des plagiats s’ils avaient vraiment lu la thèse de droit d’Edmond Le Borgne. Pour cette thèse « écrite » à très grande vitesse, il a probablement semblé convenable aux membres du jury, par un souci logique et respectable de cohérence, qu’elle soit également lue à très grande vitesse…

Notons aussi que les deux rapporteurs avaient été choisis avec un certain sens de l’absurde : le premier, André Catros était professeur d’ophtalmologie, spécialiste d’optique, aussi éloigné du droit qu’une marmotte de la mer et le second était Alain Pineau, pharmacien, spécialiste es-Edmond Le Borgne – il a siégé dans les jurys de ses trois thèses —, mais sans compétence très affirmée en droit. Notons que la désignation des deux rapporteurs est de la responsabilité du Président du jury. Mais l’usage veut que le Directeur de thèse donne aussi son avis. Dans ce cas, il est probable que c’est le doctorant, Edmond Le Borgne, qui a suggéré les noms d’André Catros, d’Alain Pineau et de Daniel Furon, des connaissances de longue date.

Cette « thèse » a été d’autant plus rapidement lue par certains qu’ils faisaient confiance à Xavier Labbée, spécialiste de l’éthique, pour l’avoir dirigée de manière attentive. Le déroulement de la soutenance de cette thèse a donné l’impression que le professeur Taisne a été l’unique membre du jury à l’avoir lue de bout en bout. Il est le seul à avoir consulté cette bibliographie qu’il juge obsolète et qualifie de « squelettique », sans pour autant en repérer l’incohérence alphabétique signalée plus haut. Il note aussi les fausses annonces de plan et la « présentation disparate des notes », en réalité liées au méli-mélo de plagiats dont la source principale est la thèse de B. Bévière mais qui recours aussi à d’autres sources secondaires. Même si une meilleure attention aurait permis au professeur Taisne de faire l’hypothèse du plagiat dont de nombreux indices sautaient aux yeux, il reste que le président du jury de soutenance n’a pas été enthousiasmé par cette thèse, contrairement à André Catros, le professeur d’ophtalmologie, qui y voyait « une belle thèse qui mérite d’être publiée » et aurait certainement mérité les félicitations. Edmond Le Borgne emportera quand même la mention « très honorable ».

Aussitôt docteur de troisième cycle en droit, Edmond Le Borgne fait valoir sa thèse-plagiat pour bénéficier de la procédure accélérée qui lui permet d’embrasser la carrière d’avocat. Le temps de faire figurer son nom en couverture d’un mémoire sur « la responsabilité civile médicale » (un plagiat ?) remis au Centre régional de formation professionnelle, le C.R.F.P.A de LILLE, il prête serment et revêt la robe le 12 décembre 2000. Et intègre en avril 2001 le Cabinet Cahen & associés à Paris où il restera jusqu’en 2003.

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ÉTHILISME ,  ÉTHILIQUE

Dans un premier temps, la découverte de l’importance des plagiats dont ses travaux avaient été l’objet a dû laisser Bénédicte Bévière effondrée. C’est la première réaction des plagiés. Probablement a-t-elle repris espoir quand elle s’est rendu compte que l’ampleur et la nature même des emprunts faits à sa thèse et à son mémoire de DEA ne pouvaient que jouer en sa faveur. Cela ne pourrait que faciliter un règlement rapide et une annulation, « TGV » elle aussi, par les instances de l’Université Lille 2 Droit et Santé et de la Faculté de médecine d’Angers des deux thèses-plagiats.

Peut-être a-t-elle été d’autant plus rassurée par les profils de certains de ces universitaires membres des jurys dont l’éthique était le souci quotidien, et même, pour une part d’entre eux, la profession, le pain quotidien en quelque sorte.

Rappelons en effet que Xavier Labbée, directeur de la thèse-plagiat, est le directeur de l’Institut du Droit et de l’Éthique de Lille 2. Le Président du jury de Lille 2, Jean-Jacques Taisne, professeur d’université et avocat, est l’auteur de l’ouvrage La déontologie de l’avocat aux Éditions Dalloz (première édition en 1997, la neuvième édition est sortie en 2010). Enfin, le jury d’Angers comportait parmi ses membres le professeur Herbert Geschwind, président du Comité d’éthique de la recherche de l’Université Paris XII. Ces spécialités « éthique » ou « déontologie » ostensiblement affichée par trois des membres des jurys de soutenance pouvaient apparaître comme des garanties supplémentaires d’une solution rapide.

Qui plus est, un des autres plagiés par E. Le Borgne n’était autre que le professeur Mémeteau, éminent spécialiste de l’éthique médicale. Il avait remarqué les qualités du travail de Bénédicte Bévière et venait de publier sa thèse, en décembre 2001, dans la collection qu’il dirige aux éditions Les Études hospitalières (voir plus haut).

Des contacts sont pris avec l’Université Lille 2 Droit et Santé et la faculté de médecine d’Angers, contacts aussi avec le professeur Mémeteau, directeur de la collection Thèses des Études hospitalières et lui-même plagié par Edmond Le Borgne, prise de contact enfin avec la direction de la maison d’édition… D’abord surprise, puis inquiète de l’absence des réactions qu’elle attendait, Bénédicte Bévière n’aura d’autre issue que de prendre conseil auprès de Maître Sylvain Coat-Rolland : ils devront se battre pendant plus de 8 ans, en se gardant des pièges tendus par Edmond le Borgne et ses soutiens universitaires.

Le comité de soutien du plagiaire rassemble pour l’essentiel des universitaires en exercice, dont une majorité sont des spécialistes de l’éthique et du droit médical, auxquels s’ajoutent quelques autres personnages eux aussi pétris d’éthique.

Le 10 juin 2010, la Cour de cassation met un point final à cette affaire. Edmond Le Borgne est définitivement condamné, lourdement condamné, pour ce qu’il est, un plagiaire et un imposteur. Entre temps, le Barreau de la Rochelle avait aussi réagi et décidé de la radiation d’Edmond le Borgne de l’ordre des avocats pour « faits contraires à l’honneur et à la probité, comportements non déontologiques et le vice [sa thèse-plagiat] entachant ses modalités d’accès à la profession d’avocat ».

En mai 2002, quand cette affaire éclate, ni Bénédicte Bévière, et pas même Maître Coat-Rolland ne connaissaient les termes « éthilisme » (l’excès d’éthique) et « éthilique » (se dit de celui qui a sombré dans l’éthilisme). Ils ne savaient pas encore que, parfois, « trop d’éthique, tue l’éthique ».

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UN FUMISTE À MATIGNON

Edmond Le Borgne n’a pas seulement soutenu deux thèses — de Santé Publique en 1998 à Angers et de Droit en 2000 à Lille 2 —, il avait  déjà soutenu avec succès, en 1994, une première thèse de troisième cycle en Médecine, sans être médecin pour autant, à la même Université Lille 2 Droit et Santé. Cette thèse, enregistrée comme telle dans le fichier en ligne du SUDOC (voir ici), avait été dirigée par le professeur Daniel Furon (spécialiste de la médecine du travail que l’on verra réapparaître comme membre du jury de la thèse-plagiat de droit en 2000). Le jury, curieusement présidé par Daniel Furon, le directeur de thèse, comprenait déjà Alain Pineau, le professeur de Pharmacie, et Herbert Geschwind que l’on croisera à nouveau dans le jury d’Angers.

La thèse était intitulée Imagerie par résonance magnétique : principes et applications en angiographie, intérêt de l’agent de contraste. Si ces trois thèses dûment homologuées donnaient à Edmond le Borgne le titre de docteur, il a toujours joué sur l’ambiguïté liée à ce titre associée à une thèse soutenue à la Faculté de médecine de Lille 2 Droit et Santé. Depuis 1994, il s’est systématiquement fait passer aux yeux de ses interlocuteurs comme un médecin et même professeur de médecine, ce qu’il n’a jamais été. Dans de nombreux articles scientifiques en langue anglaise où il réussit à caser son nom parmi les co-signataires, il fait systématiquement suivre son patronyme du sigle MD (Medical Doctor) qui ne souffre d’aucune ambiguïté.

L’épisode suivant se passe au début de l’année 1996. E. Le Borgne, après trois ans passés à la DGS (Direction générale de la santé) et tout juste remercié pour son comportement, s’était présenté « comme professeur de médecine et détenteur de brevets importants en matière de recherche médicale » à un élu breton bien en cour et avait persuadé ce dernier de lui ouvrir les portes de Matignon. Cet élu séduit l’avait ainsi accompagné faire sa demande de « financements pour des recherches absolument exceptionnelles » auprès de Monsieur Édouard Bridoux, professeur des universités, alors conseiller du Premier ministre Alain Juppé pour l’enseignement supérieur et la recherche. « Tout ceci est de la fumisterie ! » avait glissé Édouard Bridoux à l’élu à la fin de l’entretien. La perspicacité du professeur Édouard Bridoux manquera quelques années plus tard aux soutiens inconditionnels, au-delà de toute prudence et de toute décence, d’Edmond Le Borgne.

C’est donc sous les traits d’un quadruple docteur — une fois faux docteur en médecine et trois fois vrai-faux docteur-thésard — qu’Edmond Le Borgne prête serment le 21 décembre 2000, et adopte son nouveau travestissement, la robe d’avocat. Moins de 18 mois plus tard, le temps écoulé entre son serment et la découverte par Bénédicte Bévière de l’ampleur de ses plagiats, en mai-juin 2002, qu’est devenu le frais émoulu avocat ?

Edmond Le Borgne est maintenant un avocat « spécialiste » du droit et de la santé, « LE » spécialiste dont la faconde et les talents indiscutables d’affabulateur et de comédien lui ont rapidement ouvert les portes du succès. Edmond Le Borgne ne bénéficie pourtant pas d’une réputation particulière pour avoir gagné des causes difficiles, on rechercherait en vain lesquelles. Tout au contraire, il deviendra vite, avant d’être radié du barreau en 2006 pour abus de confiance vis-à-vis de ses clients, l’avocat que l’on souhaite à sa partie adverse.

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EDMOND LE BORGNE AU SALON DE L’AVOCAT ET DU DROIT

Moins d’un an après avoir prêté serment, E. Le Borgne est déjà un avocat en vue parmi ses collègues de la Confédération nationale des avocats. La CNA, « certainement le syndicat d’avocats le plus important en France » selon un de ses anciens présidents, donne chaque année rendez-vous à la profession à l’occasion du « Salon de l’avocat et du droit ». Le 27e du genre, a lieu le 7 et 8 décembre 2001. Son directeur, désigné par la CNA, est le Bâtonnier Thierry Cahn, avocat à la Cour d’appel de Colmar.

C’est à l’initiative de Maître Cahn, que sont confiées à Edmond Le Borgne la direction et l’organisation de « La première journée du Droit de la Santé » au 27e Salon de l’avocat et du droit. Cette « Session spéciale l’évolution du droit de la santé« , est présentée dans un dépliant de 6 pages inséré dans la revue trimestrielle de la C.N.A., « Le barreau de France ». Comme il en est fait mention au bas de ce document, cette cession est organisée « avec le soutien de l’association nationale des docteurs en droit, ANDD » qui a elle aussi fait d’Edmond le Borgne son « Monsieur droit de la Santé » dès 2001.

Non seulement Maître Le Borgne a la charge de l’organisation et de la Présidence de cette cession, mais à l’issue de l’assemblée générale de la CNA réunie pendant le Salon, Maître Jean de Cesseau, nouveau Président de la C.N.A., le désigne à la tête d’une des 6 « délégations spéciales du président », celle du Droit de la Santé et de l’environnement avec fonction « d’observatoire et organe de propositions ».

Comment Edmond Le Borgne, qui porte la robe depuis si peu de temps, moins d’un an, a-t-il pu si vite séduire ce milieu ? Comment a-t-il réussi à s’imposer comme le « Monsieur droit de la santé » de la CNA ? Maître Cahn nous a expliqué que la direction de la CNA appréciait la qualité du réseau social d’Edmond Le Borgne et sa capacité à mobiliser et convoquer médecins, experts et magistrats dans ses colloques et ses cours. Ce rôle de « Monsieur Droit-et-santé » de la C.N.A, Edmond Le Borgne va le tenir pendant près de cinq ans — malgré le dépôt de la plainte en contrefaçon en mai 2003, les convocations au tribunal, la mise en examen, la mise sous contrôle judiciaire — jusqu’à sa première radiation du Barreau en 2006 pour « faits contraires à l’honneur et à la probité »; radiation qui sera confirmée après appel.

Peut-on cependant, en décembre 2001, déjà reprocher à la CNA, à Maître Jean de Cesseau et au Bâtonnier Cahn un aveuglement manifeste ? La Confédération nationale des avocats n’assure pas la promotion d’un plagiaire et d’un affabulateur, elle accueille Edmond Le Borgne, un « docteur puissance 4 » auteur de trois thèses, dont la dernière ointe par Xavier Labbée, Directeur de l’Institut du droit et de l’éthique de Lille 2, avocat, et partisan affiché de « l’approche éthique du droit », et par Jean-Jacques Taisne, Président du jury de soutenance, lui aussi avocat, et connu pour être l’auteur d’un ouvrage déjà réédité « La déontologie de l’avocat ». Qui plus est, ni Jean de Cesseau (spécialiste du droit immobilier, du droit public et du droit des mesures d’exécution), ni le Bâtonnier Thierry Cahn, le Président du salon, aussi spécialiste de la déontologie (il est aujourd’hui membre du Conseil de l’ordre) ne sont particulièrement versés dans le droit médical et de la santé.

On observera ci-contre et ci-dessous, dans le programme de cette première journée du Droit de la Santé diffusé par les soins de la
Confédération nationale des avocats, que les invités d’Edmond Le Borgne n’ont, dans leur majorité, pas de raisons particulières de refuser les invitations lancées par un avocat si bien couvé par des universitaires et manifestement apprécié par la direction de la C.N.A.

Président de séances : Maitre Edmond LE BORGNE, Avocat à la Cour de Paris, Directeur du cours, Docteur en droit et santé publique, Directeur de la section Nationale du Droit et de la santé de l’ANDD, Président de la section régionale ANDD des Pays de la Loire, Dirige la section Droit et Éthique Santé, Faculté de Pharmacie de Nantes et en présence de :

Monsieur Jacques GONDRAN de ROBERT, Premier Vice-Président du Tribunal de Grande Instance de Paris,

Monsieur le Docteur Jean POUILLARD, Vice-Président du Conseil National de l’ordre des Médecins

Professeur Alain PINEAU, Doyen de la Faculté de pharmacie de Nantes,

Professeur Christine GRAPIN, Chirurgien des hôpitaux de Paris, Docteur en droit, Directeur du diplôme d’université Droit médical, Faculté de médecine de Paris,

Professeur Pierre LECOCQ, Agrégé des facultés de Droit, Vice-Président honoraire de l’Université de Lille II, Directeur de l’IRIED, Expert de l’Union Européenne.

Professeur Jean-Jacques TAISNE, Agrégé des facultés de Droit, Professeur des Universités, Doyen honoraire, Avocat au barreau de Cambrai

En Collaboration avec l’Association Nationale des Docteurs en droit, représentée par sa présidente, Madame Corinne LEPAGE, Avocat à la Cour de Paris, ancien Ministre de l’Environnement.

Des sept personnalités citées ci-dessus, quatre sont professeurs d’Université. La présence d’un magistrat, du Vice-président du Conseil de l’ordre des médecins et d’une ancienne Ministre ajoutant encore du lustre à cette cession de cours.

Les « en présence de » présentés, même en leur absence, suivent les intitulés des 10 interventions proposées et planifiées par Edmond le Borgne et les noms de leurs auteurs respectifs.

On y note les noms de Xavier Labbée, et du professeur Taisne déjà présentés comme directeur de la thèse de Lille 2 et président du jury de cette thèse ; celui de Maître Michèle Cahen, épouse de Bernard Cahen dont le cabinet  s’est acquis depuis avril 2001 les services d’Edmond le Borgne. Parmi les autres intervenants, on compte un contingent significatif venu de Lille.

Dans la première « liste de présence », Edmond Le Borgne montrait de la gratitude vis-à-vis de ces bienfaiteurs : on notait le nom du professeur Taisne, mais aussi celui du professeur Pineau, membre assidu des jurys de soutenances  de thèses de Le Borgne. Figurait aussi Pierre Lecocq, Vice-président Honoraire de l’université de Lille 2, où Le Borgne a suivi ses études éclair qui l’ont conduit à sa thèse TGV. Edmond Le Borgne prononce la dernière intervention, clôture ainsi la journée et par là même le salon de l’avocat 2001.

Le rappel des propres fonctions d’Edmond le Borgne dans ce programme du 27e salon de l’avocat et du droit de décembre 2001 offre quelques informations supplémentaires, toutes aussi intéressantes que celle de la place éminente qu’il a occupée lors de ce salon :

E. Le Borgne est « Directeur de la section Nationale du Droit de la Santé de l’ANND, Président de la section régionale ANDD des Pays de la Loire ». L’ANDD, l’Association nationale des docteurs en droit, deviendra en 2002, l’AFDD, Association française des docteurs en droit. C’est une association puissante et influente. Son Conseil d’administration en 2001 était présidé par Madame Corinne Lepage, avocate et ancienne Ministre, citée ci-dessus dans le programme d’E. Le Borgne.

Edmond Le Borgne deviendra vite, ici encore, le « Monsieur droit de la santé » de l’association et le restera jusqu’en janvier 2011 ! Il figure aussi, dès juillet 2001, comme « Président » de la section ANDD des Pays de la Loire, région où il enseigne à l’Université de Nantes. E. Le Borgne doit ces positions flatteuses à l’appui et la confiance de Corinne Lepage, présidente de l’AFDD, et de la secrétaire générale de l’association. Ni la radiation du plagiaire du Barreau, ni sa condamnation en première instance, ni sa condamnation en appel, ni l’arrêt de la Cour de cassation, n’y feront rien ; la mention d’Edmond Le Borgne comme délégué au Droit de la santé de l’AFDD subsistera jusqu’à l’arrivée d’un nouveau Président, Daniel Tricot, président honoraire de la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation. Informé par la plagiée de cette incongruité, il fera supprimer fin 2010 le nom du plagiaire de l’organigramme de l’association.

Edmond Le Borgne n’enseigne pas seulement à l’occasion du Salon de l’avocat et du droit, il « dirige la section Droit et Éthique Santé [à la] Faculté de Pharmacie de Nantes ». Faculté dont le professeur Alain Pineau, qui a participé au jury des trois thèses d’Edmond Le Borgne, est le doyen.

Insistons encore sur l’absence, à ce moment, de signification particulière de la présence de noms respectables du monde universitaire et judiciaire au côté du nom d’Edmond le Borgne, futur radié du Barreau. La relation entre le nom d’Edmond le Borgne et les autres noms se fait dans un seul sens : c’est Edmond Le Borgne, le plagiaire et affabulateur, qui a choisi ses invités avec soin et fait en sorte que son nom figure en bonne place auprès de ceux de personnes reconnues et honorables. À ce stade de l’affaire Le Borgne, on ne peut reprocher à aucune de ces personnalités — si l’on excepte les membres des jurys des thèses dont le travail aurait dû consister précisément à dévoiler l’imposture — d’avoir méconnu qu’ils avaient à faire à un avocat-docteur plagiaire et affabulateur. On peut seulement s’étonner que parmi les nombreuses personnalités qui ont assuré sa promotion, si peu aient pris la véritable mesure de ce personnage que le professeur Édouard Bridoux, le conseiller d’Alain Juppé, avait su jauger en quelques minutes.

* *

RETOUR À LILLE 2

Le numéro du premier trimestre 2002 de la revue Synergie, « Journal de l’Université du Droit et de la Santé – Lille 2″, introduit par un éditorial du professeur José Savoye, Président de Lille 2, annonce la tenue d’un colloque « La vie humaine sur le marché ? » organisé par « Xavier Labbée, Institut du Droit et de L’Éthique, Université du Droit et de la Santé – Lille2″

Après les questions et débats soulevés par l’arrêt Perruche, c’est sur une problématique complexe et d’actualité que se pencheront les Premières Journées de l’Institut du Droit et de l’Éthique de Lille 2, le 8 mars 2002, en Faculté de Droit (Place Déliot à Lille), sous le haut patronage du Pr. Jean Bernard (Académicien et ancien Président du Comité Consultatif National d’Éthique) et de M. Jack Lang (Ministre de l’Éducation Nationale) et sous la Présidence d’Honneur de Mme Martine Aubry, Maire de Lille.

Une réflexion collective…

Les Professeurs Catherine Labrusse-Riou et Philippe Malaurie (Paris I), Jean Hauser (Bordeaux IV), Gérard Mémeteau (Poitiers), Bernard Soinne, Jean-Jacques Taisne, Charles-Emmanuel Claeys, Pascal et Xavier Labbée, Pierre Lecocq (Lille 2) et Edmond Le Borgne (Avocat, ingénieur biomédical) y échangeront autour de deux questions centrales : “La vie humaine est-elle un bien ?” et “Peut-on exiger une vie de qualité ?”.

Et c’est Xavier Labbée, Directeur de l’Institut du Droit et de l’Éthique de Lille 2, et grand spécialiste de ces questions (il a signé la définition du “corps humain” dans le Dictionnaire de Culture Juridique à paraître aux Presses Universitaires de France, la définition de “l’enfant conçu” pour le Juris-classeur Civil, et le commentaire des lois bioéthiques pour le Juriscode LITEC), qui introduira réflexions et débats

… sur un sujet complexe.

[…]

Ce colloque, organisé en partenariat avec l’Ordre des Avocats au Barreau de Lille et le Centre de Formation à la Profession d’Avocat de Lille, permettra une synthèse et des échanges de haut vol autour de notions juridiques et éthiques rendues toujours plus incontournables par l’accélération des progrès de la Science, car “science sans conscience n’est que ruine de l’âme” (François Rabelais).

[les gras sont du texte original]

Les parrainages sont prestigieux, les intervenants choisis, le rappel à l’éthique — « science sans conscience n’est que ruine de l’âme — presque à sa place ; quoique l’on puisse sourire du fait qu’en la présence du professeur Mémeteau, qui, sensible à sa qualité, vient tout juste (décembre 2001) de faire éditer la thèse de Bénédicte Bévière aux Éditions Les Études hospitalières, Xavier Labbée a préféré, pour participer à ces « échanges de haut vol », inviter Edmond Le Borgne, le plagiaire calamiteux plutôt que l’auteur du texte original. Reconnaissons qu’à ce moment Xavier Labbée, même si cet argument ne plaide pas en sa faveur, ne s’était pas encore rendu compte que la thèse d’E. Le Borgne n’était que du plagiat.

Cette fois-ci, la liste des intervenants a été dressée par Xavier Labbée, qui a eu l’initiative de ce colloque et le dirige. Notons, outre les noms de Mémeteau et Le Borgne déjà évoqués, à nouveau ceux des professeurs Taisne et Lecocq dont la présence ici est assez naturelle dans un colloque qui se tient à Lille 2, comme celle de Pascal Labbée, avocat, qui enseigne aussi à l’Institut du droit et de l’éthique de Lille 2 dirigé par son frère ou de Françoise Dekeuwer-Défossez qui aura à réagir en tant que doyenne de la Faculté de droit de Lille 2 quand les plagiats seront découverts.

L’OBSERVATOIRE ONEDSE

Enfin, le 22 avril 2002, quelques jours avant la découverte de ses plagiats par B. Bévière, la plagiée, Edmond Le Borgne réunit l’assemblée générale constitutive d’une association, l’Observatoire national et européen du droit de la santé et de l’environnement (ONEDSE). Le Conseil d’administration compte cinq membres. Outre Le Borgne lui même : Alain Pineau, le fidèle Doyen de la faculté de Pharmacie de Nantes qui n’a manqué aucun des trois jurys de thèses du plagiaire, Christine Grapin, Chirurgien des hôpitaux de Paris et professeur au CHU Saint-Antoine ; Patrice Bodenan, médecin anesthésiste et Sandra Bellier, avocat au Barreau de Lyon. Les deux premiers mettront beaucoup de temps à prendre la mesure d’Edmond le Borgne, malgré les évidences qui s’accumulent.

* *

LE PACTE DE SILENCE

Le salon de l’avocat en décembre 2001, le colloque de Lille 2 en mars 2002, comme la facilité avec laquelle il a trouvé en avril 2002 des personnalités pour participer au Conseil d’administration de son association témoignent de la notoriété qu’Edmond le Borgne a su acquérir dans le milieu des avocats comme dans le milieu universitaire de l’éthique du Droit et de la Santé. Il est vrai que ces deux milieux sont en contacts étroits, poreux, et se mêlent notamment dans la double fonction de nombreux universitaires-avocats et avocats-universitaires. Les conditions particulières de soutenance de la thèse-plagiat de Lille 2, de même que des événements comme le Salon de l’avocat  et du droit ou des colloques comme celui de Lille 2 — ont en quelque sorte défini une mini-communauté, à forte composante universitaire, dont les membres se sont laissés abuser par le plagiaire.

Une fois le plagiat découvert, il est donc assez prévisible, à défaut d’être éthique, que l’on observe la mise en place par une partie de ces universitaires d’un pacte tacite : limiter au maximum la publicité à ce sujet, même dans le strict cadre universitaire où ce problème de thèses-plagiats aurait dû trouver une solution rapide et radicale sous la forme de convocations de commissions disciplinaires et d’annulations des deux thèses-plagiats dénoncées par Bénédicte Bévière. Ce pacte n’exige a priori pas grand chose de ceux qui y ont intérêt : seulement des réponses dilatoires aux demandes qui ne sauraient manquer de la part de la plagiée, jusqu’à ce qu’elle se lasse et abandonne.

L’entêtement de Madame Bévière, d’abord le résultat de sa probité et de son courage, mais aussi celui d’une certaine dose d’innocence et d’inconscience et de son incapacité à imaginer que des professionnels de l’éthique puissent avoir une autre attitude qu’éthique, va bouleverser les plans et obliger à l’escalade. Les chemins vont en être tortueux.

Face à la détermination de Bénédicte Bévière soutenue par un avocat avisé, on verra certains universitaires et spécialistes de l’éthique aller d’échec en échec et s’embourber dans « le droit chemin » (3). Certains universitaires iront jusqu’à adresser des témoignages écrits au juge d’instruction pour donner corps à un scénario extravagant que le plagiaire-affabulateur, oulipien sans le savoir, va rapidement proposer, envers et contre tout, comme seul moyen de défense : le véritable plagiaire, c’est la plagiée ! La thèse de Bénédicte Bévière, soutenue en 1996 à Rennes, ne serait qu’un plagiat de la thèse d’E. Le Borgne soutenue en 2000 à Lille !

Edmond Le Borgne, mais cette fois sans le moindre humour, tentait ainsi d’imposer avec la complicité d’universitaires la notion de « plagiat par anticipation », proposée dans les années soixante par les membres de l’Oulipo et plus récemment développée par Pierre Bayard (4).

Les détails d’une succession de manœuvres concertées d’universitaires ayant en réalité pour objet, à travers la protection du plagiaire, celle de ses « inventeurs », sera l’objet des prochains chapitres de « Trop d’éthique tue l’éthique ». On aura un premier aperçu de ces manœuvres à la seule lecture de documents publics : jugement, arrêts et décision de radiation de l’avocat plagiaire, déjà mis en ligne sur ce blog.

* * *

* Cette formule, « Trop d’éthique tue l’éthique », choisie comme titre de cette étude, n’est pas originale. C’est notamment le titre d’une partie d’un ouvrage de Ruwen Ogien, La panique morale (Grasset, 2003). On nous pardonnera cette redite, si pertinente dans le contexte de notre travail.

(1) Récemment, l’Université Lille 2 a été à nouveau confrontée à une affaire de thèse-plagiat (sur les droits d’auteur…) et s’est fait priée avant d’engager une procédure d’annulation. Nous reviendrons sur le cas de cette dernière thèse-plagiat une fois obtenu le jugement en contrefaçon récemment rendu.

(2) Cette maison d’édition, Les Études hospitalières, a été créée en octobre 1995 par Jean-Marie Clément, ancien membre de l’IGAS (oct. 1991- sept. 1996), professeur associé (droit de la santé) à l’Université Paris 8 jusqu’en 2006. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont la plupart publiés aux Études hospitalières. Jean-Marie Clément a confié à son fils Sébastien Clément la direction des Études hospitalières ; son fils Cyril Clément a suivi ses études (DEA et thèse) dans la formation de droit de la santé de Paris 8 où enseignait son père. Il a été nommé ATER puis maître de conférences dans ce même département où il a commencé à enseigner à l’ombre de son progéniteur. Cyril Clément est l’auteur de nombreux articles et ouvrages aussi publiés par l’entreprise familiale.

(3) « le chemin du Droit, le droit chemin », formule utilisée par le professeur Jean Bernard, figure tutélaire de l’éthique médicale, pour introduire, en quatrième de couverture, l’ouvrage de Xavier Labbée : Introduction générale au droit – Pour une approche éthique (2002, Éditions universitaires du Septentrion).

(4) Pierre Bayard 2009. Le Plagiat par anticipation. Paris, Les Éditions de Minuit (Collection « Paradoxe »).

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Avis : nous tenons toujours compte des demandes faites de bonne foi de modifications, rectifications ou précisions, quand elles sont fondées. Nous procédons alors sans délai à ces corrections. Ce blog est aussi naturellement ouvert au droit de réponse.
Par contre tous les mails et courriers accompagnés de « mises en demeure », tentatives d’intimidation ou menaces seront désormais mis en ligne et commentés sur ce blog à la rubrique « Pressions et procès ». Il en sera prochainement ainsi d’un curieux courrier (recommandé AR) que nous a adressé Pascal Binczak, président de l’Université Paris 8.
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Rappel : la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH, 23 juin 2009, Sorguc c. Turquie, n° 17089/03) a souligné à propos d’un probléme liéee à une université turque “l’importance de la liberté universitaire, qui comprend la liberté des universitaires d’exprimer librement leurs opinions au sujet de l’institution ou du système dans lequel ils travaillent et la liberté de diffuser sans restriction le savoir.

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twitter.com/ArcheoCopCol

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2 réponses to “* TROP D’ÉTHIQUE TUE L’ÉTHIQUE [1]”

  1. Michel ABHERVE (Professeur associé à l’université de Paris Est Marne la Vallée) :
    Passionnant : ça se lit comme un polar.
    La notion de « plagiat par anticipation » est proprement stupéfiante.
    Continuez votre traque à la triche et à ses complices.
    Michel ABHERVE
    http://blog.educpros.fr/michelabherve

     

    Michel ABHERVE

  2. Bravo pour cet article que je trouve très bien détaillé. Malgré la gravité des faits, je n’ai pu m’empêcher de rire aux larmes par moment devant l’histoire rocambolesque de ce monsieur Le Borgne et consort. Je n’ai pu m’empêcher de penser aux pieds nickelés. Le ridicule à ce niveau, c’est de l’art. Mais on atteint vraiment le sommet avec le concept novateur de « plagiat par anticipation ». Là c’est « top of the top, class Man », vraiment de la SF, mais malheureusement encore un emprunt à P.K.Dick. Plagiaire on est, plagiaire on reste…
    Vraiment très bon. Continuez.

     

    Stéphane GACHET