La Commission permanente du Conseil national des universités, le « vide juridique » et la tolérance au plagiat

Posté par Jean-Noël Darde

14 janvier 2013

Le problème du plagiat universitaire est un problème d’enseignants-chercheurs avant d’être celui des étudiants. On serait en effet mal venu de reprocher à des étudiants de plagier alors que des instances universitaires (présidences d’université et conseils centraux, sections du CNU, CP-CNU et  Ministère), en toute connaissance de cause, le tolèrent sans réagir chez des enseignants-chercheurs plagiaires avérés. Les faits et documents qui suivent en attestent.

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Contrairement à ce qu’avait annoncé Frédérique Faudot, présidente de la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU), le 6 décembre 2012 (voir ci-dessous), aucun communiqué sur le « vide juridique » concernant le plagiat d’enseignants-chercheurs n’a été rendu public à la suite de la réunion de la CP-CNU du 14 décembre.

Par ailleurs, et comme j’en avais déjà exprimé la crainte, malgré les engagements aucune démarche ne semble avoir été entreprise par le bureau de la CP-CNU pour trouver une issue décente aux cas de thèses plagiaires et d’enseignants-chercheurs plagiaires, objets d’alertes circonstanciées de ma part. Le site de la CP-CNU continue de diffuser la « notice biographique » (voir ci-contre) qu’elle a éditée à propos d’un membre du CNU plagiaire où s’affichent plusieurs articles aux plagiats grossiers  – pour ajouter au ridicule, le plagiaire avéré et récidiviste a été retenu pour bénéficier de la Prime d’Excellence Scientifique (PES).

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Enfin, l’acharnement à ignorer le témoignage du Professeur Jean-Hugues Chauchat (lire ci-contre), transmis aussi bien à la Présidente de l’Université Paris 8 et à ses conseils centraux, au Président et au Bureau de  la 71e section du CNU, à la Présidente et aux Vice-présidents de la CP-CNU, et à la Ministre, confirme le refus des instances universitaires de faire face à des situations où des enseignants-chercheurs sont directement et gravement impliqués dans des affaires de plagiat.

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On trouvera plus bas un compte-rendu de ma réunion avec la CP-CNU et un mail aux membres de la 71e section, dont copies avaient été adressées en décembre 2012 aux signataires du texte Refusons de fermer les yeux sur le plagiat dans la recherche. Ils sont suivis des principaux commentaires qu’ils ont suscités : Hélène Maurel-Indart, dont la Petite enquête sur le plagiaire sans scrupule vient de sortir en librairie, soutient que plus qu’un « vide juridique » il y a « un refus d’agir ». Catherine Cremieu-Petit ne craint pas de parler de « corruption » à propos du plagiat universitaire. Andreas Pfersmann demande qu’une « instance indépendante [soit] autorisée à s’autosaisir des cas de plagiats commis par des enseignants-chercheurs ou des chercheurs et à les sanctionner« , Jean-Hugues Chauchat appuie cette demande et Ricardo Saez suggère que les professeurs émérites – qui n’ont plus à craindre de représailles – soient représentés dans une telle instance.

On conviendra qu’il est particulièrement grotesque de prétexter un « vide juridique » pour justifier le maintien sur le propre site de la CP-CNU des mentions d’articles plagiaires, dont l’un à 100% !

Dans les cas que j’ai soulevés, que ce soit auprès de l’Université Paris 8 (présidence et conseils) ou de la 71e section du CNU (présidence et bureau), on observe une action concertée pour soutenir les enseignants-chercheurs impliqués dans ces affaires de plagiat. Tout s’enchaîne… aujourd’hui, il s’avère que ni au niveau de l’université (présidence et conseils centraux), ni à celui de la section du CNU, et pas même au niveau du bureau de la CP-CNU, il n’est possible de traiter sereinement du cas d’enseignants-chercheurs plagiaires. En effet, les enseignants-chercheurs plagiaires plagient, d’autres enseignants-chercheurs s’acharnent à protéger les plagiaires, d’autres encore s’acharnent à sauver la face des protecteurs des plagiaires, d’autres instances sont conduites à défendre les protecteurs… des protecteurs des plagiaires… ainsi va la chaîne qui permet au plagiat universitaire de s’épanouir en toute impunité.

La mise sur pied d’une commission nationale dont la composition garantirait l’indépendance s’impose d’autant plus.

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Premier mail, adressé le 11 décembre 2012 à tous les signataires du texte Refusons de fermer les yeux sur le plagiat dans la recherche. Copie « cc » aux membres de la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU), de la 71e section du CNU et des conseils centraux de l’Université Paris-8) :

Compte-rendu rencontre CP-CNU

Chers Collègues,

J’ai rencontré jeudi dernier, le 6 décembre, Dominique Faudot, présidente de la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU), Olivier Nay (4e section) et Gilles Denis (72e section), vice-pésidents, et Yves Jeanneret, président de la 71e section du CNU.

Je ne suis pas en mesure de vous faire un compte-rendu détaillé de cette réunion sur le thème du plagiat universitaire dans la mesure où j’ai dû m’engager, condition de sa poursuite, à ne pas rendre public le détails de nos échanges. Disons seulement que ce sont mêlés attitudes bienveillantes, attitudes hostiles, interventions constructives et dénis purs et simples.

Il reste qu’il a été reconnu un « vide juridique » : ni les sections du CNU, ni la CP-CNU ne sauraient s’intéresser aux plagiats des membres des CNU, elles ne pourraient pas même porter un avis à ce propos. Ce qui vaut pour la 71e section, dont le président était présent à cette rencontre, vaudrait pour les 51 autres.

Aussi curieux que cela puisse paraître, la CP-CNU n’aurait pas même la possibilité d’arrêter la diffusion depuis son propre site internet de notices biographiques de membres du CNU qui y afficheraient des publications plagiaires [problème posé à l’occasion de la présentation d’un cas avéré (voir fichier joints)].

Il a aussi été reconnu qu’aucune instance universitaire n’est pour le moment en mesure de prendre en charge l’évaluation et le traitement équitable, à l’abri des conflits d’intérêts, d’affaires de plagiats qui concernent des enseignants-chercheurs et ont été l’objet de plusieurs de mes alertes.

[On arrive donc à la situation, curieuse et même choquante, où le CNESER disciplinaire peut décider l’exclusion pendant 3 ans de tout établissement public de l’Enseignement supérieur de l’auteur d’un simple mémoire de master avec plagiats (décision du 12 juin 2012, « avec circonstances atténuantes », publiée au BO n° 42 du 15/11/2012), alors que des enseignants-chercheurs, plagiaires avérés et récidivistes, mais protégés à la fois par leur université et leur section du CNU, se voient toujours confier… des tâches d’évaluation. Des tâches qui concernent non seulement les thèses mais aussi, directement ou indirectement, la carrière de leurs collègues à travers leurs fonctions et leur influence dans des Conseils d’écoles doctorales, des Conseils scientifiques, des sections du CNU ou comme experts de l’AERES].

On notera que dans une affaire de plagiat dont le journal Libération s’est récemment fait l’écho (Le vice-Premier ministre hongrois accusé de plagiat,) la Présidente de l’Université Lorand Eötvös (ELTE) de Budapest n’a pas prétexté un « vide juridique » pour ne pas dire les faits.
Tout au contraire, dans un contexte où elle prend les risques de sévères représailles, Katalin Tausz a fait savoir que l’impuissance juridique des instances universitaires ne justifiait en aucun cas qu’elle se taise sur les faits et leur qualification. La dépêche de l’AFP, reprise par Libération le 7 décembre, précise :

«Le vice-Premier ministre Zsolt Semjén a commis une grave violation de l’éthique scientifique dans le cadre de sa thèse de sociologie en 1992», a indiqué l’Université vendredi à des journalistes. L’examen de l’Université ELTE a démontré que «de très nombreuses parties» de ce travail d’étude de Zsolt Semjén étaient «identiques» aux écrits de son directeur de recherches. «Nous ne sommes pas une autorité, et nous ne pouvons lancer de procédures, car les réglementations de l’époque n’étaient pas assez détaillés pour le permettre. Il n’y aura donc aucune conséquence légale de notre part, mais les transgression morales perdurent», a ajouté Katalin Tausz, la présidente de l’université. Elle a souligné qu’ELTE ne pouvait rien faire en raison «d’une absence de dispositions procédurales».

La CP-CNU devrait à nouveau évoquer le problème du plagiat lors de sa réunion du 14 décembre prochain et publier à la suite un communiqué sur les moyens de combler ce « vide juridique ».

Par ailleurs, il m’a été assuré que des démarches seraient entreprises par le bureau de la CP-CNU auprès du Ministère pour trouver une façon de régler rapidement et de manière équitable les cas que j’ai soulevés. J’ai quelques raisons de ne pas être très optimiste à ce propos, mais je serais ravi d’être détrompé.

Cordialement,

Jean-Noël Darde, MCF – Université Paris 8

À ce mail étaient joints ces quatre fichiers qui concernent les cas avérés d’articles plagiaires présentés sur une notice biographique éditée par la CP-CNU et présentée sur son site :

Imad SALEH www.cpcnu.fr

Meziani-SALEH.OUARZAZATE 2011.COULEURS.pdf

Meziani-MAGALHAES.LISBONNE 2009.COULEURS.pdf

SALEH-MEZIANI.iiWAS2010.COULEURS.pdf

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Second mail, adressé le 14 décembre 2012 aux membres de la 71e section du CNU (Sciences de l’information et de la communication). Copie aux membres de la CP-CNU et des Conseils centraux de l’Université Paris 8 :

Il appartient à tout enseignant-chercheur ou chercheur qui constaterait un fait de copillage ou de plagiat, c’est-à-dire l’utilisation dans un texte a prétention scientifique d’un extrait de texte d’un autre auteur, in extenso ou faiblement modifié, sans mise en exergue ni mention d’origine, de signaler ce fait à son équipe de recherches ou à ses autorités universitaires de tutelles.

(communiqué du Conseil d’administration de la Société Française des Sciences de l’information – SFSIC–, 6 novembre 2011).

Chers Collègues,

Yves Jeanneret a annoncé que le problème du plagiat devrait être à l’ordre du jour d’une prochaine réunion de la 71e section du Conseil national des universités.

Comme m’y invite la déclaration du Conseil d’administration de la SFSIC rédigée à l’initiative de notre collègue Christian Le Moënne (Rennes 2),  je souhaite apporter quelques précisions à propos de différentes affaires de plagiats dont je me suis déjà fait l’écho et qui ont secoué, et secouent, la 71e section.

Tout le monde s’accordera sur la nécessité de clore rapidement ces dossiers et de tourner la page pour « aller de l’avant ». Mais vous conviendrez aussi que cela ne peut se faire que dans la transparence, le respect de la vérité, de la déontologie et de l’éthique; et après avoir tiré les leçons de ces tristes épisodes.

I – Le cas I. Saleh, membre de la 71e section du CNU

J’ai déjà à plusieurs occasions fait état d’attitudes non déontologiques de notre collègue Imad Saleh au regard de pratiques plagiaires. Les tout derniers cas que j’ai soulevés concernent ses « publications caractéristiques des domaines de spécialité [sic] » telles qu’elles apparaissent dans la notice biographique que la CP-CNU a éditée et diffuse sur son propre site Internet (voir Imad Saleh – www.cpcnu.fr).

Vous avez déjà reçu ce mardi des documents qui concernent cette affaire où le plagiat a sa place.

II – Le cas K. Zreik

Kaldoun Zreik est ce candidat malheureux aux élections du CNU d’octobre 2011 (liste Ensemble pour la valorisation et la promotion des SIC) que certains de ses colistiers avaient maladroitement encouragé à déposer plainte à mon encontre (cf. Paris 8, Procès et Plagiats).

La direction de la 71e section du CNU veut à tout prix se convaincre, et convaincre, que notre collègue Khaldoun Zreik a seulement été la victime d’un doctorant plagiaire indélicat, Majed Sanan. Khaldoun Zreik aurait été conduit à signer à l’insu de son plein gré des articles grossièrement plagiaires.

Cette présentation ne respecte pas la vérité. On peut même dire qu’elle est mensongère car ceux qui tentent de la diffuser ont été informés et savent parfaitement à quoi s’en tenir.

En effet, Khaldoun Zreik a lui même confirmé sa condition de co-auteur de plein exercice de cette batterie de six articles plagiaires. Il l’a fait à de multiples occasions, sous de multiples formes :

a) en ayant fait figurer ces six articles grossièrement plagiaires dans son curriculum vitae (voir fichier joint, Publications CV Khaldoun Zreik.20.09.2011).

b) en incluant en octobre 2011 trois de ces six articles plagiaires dans une version courte de son curriculum vitae communiqué au juge de la 17e chambre correctionnelle (pièce n°1 des 21 pièces communiquées par K. Zreik au tribunal). Il s’agissait, avec le « meilleur » de ses publications, de convaincre le juge de ses compétences d’enseignant-chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication.

c) en se revendiquant à nouveau comme co-auteur de plein exercice de ces articles plagiaires dans une interview de la journaliste Anne Mascret diffusée le 3 novembre 2011 par l’agence AEF. À cette occasion, Khaldoun Zreik a à nouveau explicitement revendiqué ces articles comme co-auteur, a nié leur caractère plagiaire et a défendu leur qualité d’articles scientifiques.

d) en s’acharnant, aujourd’hui encore, à faire diffuser ces six articles plagiaires, soit en ligne – à l’occasion sur des pages internet des propres colloques qu’il a organisés (par exemple site du CIDE 10) –  soit en laissant ces articles disponibles (http://dl.acm.org/) ou en vente en ligne (//ieeexplore.ieee.org/search, /www.emeraldinsight.com/),  soit en continuant à en faire la promotion et à les faire diffuser par sa propre maison d’édition, Europia.

Ces six articles sont :

– Arabic documents classification using N-gram(2008), dans un ouvrage édité et diffusé par Europia-productions. Cet article figurait dans le CV court que K. Zreik a communiqué au juge de la 17e chambre correctionnelle.

– Arabic supervised learning method using N-gram (2008). Cet article figurait dans le CV court que K. Zreik a communiqué au juge de la 17e chambre correctionnelle. Voir sa version « coloriage en chantier » en fichier joint (Arabic supervised…)

– Internet Arabic Search Engines Studies (2008). Cet article figurait dans le CV court que K. Zreik a communiqué au juge de la 17e chambre correctionnelle.

– L’accès Multilingue à l’information scientifique et technologique : limitations des moteurs de recherche en langue Arabe (2008). Article toujours en ligne sur le site d’un colloque organisé par Khaldoun Zreik et son entreprise « Europia-productions ». Voir sa version « coloriage en chantier » en fichier joint (Accès multilingue…). – Improving Arabic Information Retrieval System using n-gram method (2011) – Utilisation de N-Gramme dans la recherche d’information arabe (2009) Dans un ouvrage édité et diffusé par Europia-productions.

À titre d’exemples, nous avons placé en fichiers joints deux de ces articles plagiaires (coloriage toujours en chantier) :

Arabic supervised… Emerald_Zreik and co. version couleur et Acces Multilingue à l’information scientifique… K. Zreik and Co version couleur. Le premier est un article communiqué par Khaldoun Zreik au tribunal et le second un article toujours en ligne sur le site du colloque CIDE.10. Les quatre autres articles sont  à l’avenant.

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Dans le second article, on repérera, surlignés en bleu, les emprunts aux travaux d’Ahmed Abdelali (New Mexico State University) dont ce dernier se plaint qu’ils soient toujours en ligne (voir premier commentaire de la pétition Refusons de fermer les yeux sur le plagiat dans la recherche).

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Le bureau de la 71e section du CNU que j’ai tenté d’alerter par courrier recommandé AR en 2011 n’a pas servi les intérêts de la 71e section en se refusant de réagir aux situations que j’évoquais.

J’ajoute que dans le cas de notre collègue Khaldoun Zreik, le témoignage de Jean-Hugues Chauchat [lire ci-contre], directeur d’une thèse copiée-collée (près de 40 pages d’un seul bloc !) par Majed Sanan, doctorant de K. Zreik, est particulièrement accablant.

Khaldoun Zreik s’est en effet prévalu de manière insistante et répétée – devant les instances de l’Université Paris-8, devant ses co-listiers aux élections du CNU, devant le tribunal, et dans une interview diffusée par l’AEF – de sa totale ignorance de l’existence de cette thèse pour justifier son aveuglement aux plagiats de son doctorant.

C’est un scénario différent, et on en conviendra plus inquiétant, que suggère la lecture du témoignage que Jean-Hugues Chauchat m’a autorisé à rendre public (fichier joint).

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À travers l’exemple de certaines des listes qui se sont présentées aux dernières élections de la 71e section du CNU, l’exemple de Comités de sélection de la 71e chargés du recrutement, l’exemple de la revue R.I.H.M (dernière des revues « qualifiées » par les experts CNU/AERES), ou l’exemple de la maison d’éditions Europia et les colloques qu’elle gère, je montrerai dans un prochain article comment la culture du plagiat a progressé au cœur même de la 71e section et soulignerai certains des facteurs de cette progression.

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Les simples déclarations contre le plagiat sont inefficaces, donc inutiles – même nos collègues plagiaires, Khaldoun Zreik et Imad Saleh, ont fait des déclarations pompeuses sur la nécessité de sanctionner sévèrement les plagiaires ! En outre, croire que les logiciels anti-plagiat vont régler le problème est une illusion dangereuse. Ce peut être un alibi facile de ceux qui ne souhaitent pas traiter le problème au fond.

Cordialement,

Jean-Noël Darde, MCF – Université Paris 8

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DES COMMENTAIRES

12/12/2012, Hélène Maurel-Indart :

L’exemple de la présidente de l’université de Budapest en dit long sur nos propres pratiques en France et notre faible réactivité quant au plagiat universitaire. On verra bien les retombées de ce texte collectif très argumenté. J’espère qu’il va faire réagir.

Je pense qu’il n’y a pas de vide juridique pour sanctionner ce type de plagiat, mais un refus d’agir. Quand le Président de l’université de Toulon a dû être sanctionné pour trafic de thèses, une commission disciplinaire a été réunie à Paris 4.

Hélène Maurel-Indart (Pr Université de Tours, membre suppléante du CNU, section 9)

12/12/2012, Jacques Grober :

Bonjour et merci pour ce compte rendu. Plagiat et fraude scientifique sont les maux de nos métiers , et comme vous je regrette le silence de la majorité de la communauté scientifique sur ce sujet. On se demande bien pourquoi ?

Ne serait il pas possible dans un premier temps de dénoncer ce plagiat auprès des revues sans lesquelles ces travaux ont été publiés ? Car, elles, des recours juridiques elles doivent en avoir.

Cordialement, 
Jacques Grober [MCF, Université de Bourgogne].

13/12/2012, Paulo de Carvalho :

Cher collègue,

Non, l’ajout fait à l’objet du présent message, ce n’est pas le titre d’une encyclique pontificale. C’est tout de même, comme vous savez, la parole d’un pape —  le début d’un adage attribué à Boniface VIII  (vous savez, celui qui a eu maille à partir avec Philippe IV Le Bel, et qui l’a payé cher) et qui me paraît convenir remarquablement à la situation que vous nous avez exposée : Qui tacet consentire videtur, ubi loqui et debuit et potuit “Celui qui se tait paraît approuver, alors qu’il a, de parler, et le devoir et le pouvoir”.

Toujours est-il qu’on est, que je suis effaré, sidéré, choqué, devant :

• D’abord, les nombreux faits de plagiat que vous présentez et analysez depuis longtemps sur votre blog et dans vos courriers, maintes preuves à l’appui (dont le témoignage de notre collègue plagié, Rodrigo Magalhães, en réponse au courriel que je lui avais adressé le 28 novembre dernier).

• Puis, et peut-être plus encore, devant cette sorte d’apathie, frisant la complicité, dont font preuve certains de nos collègues, pourtant élus, donc investis de responsabilités dans le fonctionnement de l’Université, parfois au plus haut niveau, comme c’est le cas dans la vôtre. Lire, ici, qu’une élue n’apprécie pas les attaques contre « l’institution dans laquelle (elle) travaille », et que ce n’est pas ainsi qu’on « règle les problèmes entre collègues » (c’est bien de cela qu’il s’agit, franchement…), ou là, sous la plume semble-t-il d’un vice-président de Conseil scientifique, que « les thèses plagiées ne seraient que le petit bout de la lorgnette face aux mécanismes d’emprunts involontaires (sic), de cécité (re-sic) du doctorant, et de l’enseignant », voilà qui laisse pantois : mais où sont les aveugles dans cette histoire ? Et qu’on ne vienne surtout pas me parler de « vide juridique » : aucune loi n’a jamais tout prévu. Du reste le plagiat est régulièrement condamné par les tribunaux, comme des exemples récents l’ont montré. On ne voit pas pourquoi l’Université devrait ou pourrait s’exempter de sanctionner les pratiques plagiaires, et pas seulement au niveau des doctorants.

On ne peut pas croire non plus que la CP-CNU n’ait pas même la possibilité d’arrêter la diffusion depuis son site internet de notices biographiques de membres du CNU qui y afficheraient des publications plagiaires.

• Et, enfin, devant l’incompréhension  —  pour rester aimable —, pire, l’hostilité à peine feutrée qu’on vous manifeste ici ou là. En l’occurrence, vos détracteurs oublient  —  ou font semblant d’oublier — que tous les cas de plagiat que vous avez dénoncés dans votre blog ont d’abord été soumis à toutes les instances universitaires dont on aurait pu espérer qu’elles soient en mesure d’y trouver une solution interne, “en famille”, mais dans le respect de l’éthique. Ce n’est qu’une fois constaté que ces instances refusent d’assumer leurs responsabilités que ces affaires ont été rendues publiques  —  publicité, au demeurant, qui n’a visé que des“œuvres”, si l’on peut dire, déjà publiques : thèses, par définition publiques, articles et ouvrages. Il est d’ailleurs pour le moins curieux que des “auteurs”, et ceux qui les soutiennent, osent se plaindre de ce qu’on critique publiquement leurs “créations”, qu’ils se sont évertués à faire connaître, par exemple en les mentionnant dans leur cv ou dans leur “notice biographique” et en les éditant.

Voilà, mon cher collègue, ce que je tenais à vous dire, pour vous soutenir dans votre travail sur le plagiat dans la recherche universitaire. Il y a quelques mois encore, je ne vous connaissais pas, et c’est le souvenir d’une expérience fort pénible —  une expérience d’impuissance, en tant que membre d’un jury dont les autres membres faisaient semblant de ne pas voir ce que je leur mettais sous les yeux — qui m’a rapproché de vous et de vos initiatives.

Alors, je vous en prie, ne laissez pas tomber, allez de l’avant. D’autres collègues, j’en suis certain, sauront se manifester en vous apportant leur soutien explicite. Il y a ceux qui n’osent pas, qui ne parlent pas. Par indifférence, par timidité, par crainte de représailles, voire, ne l’excluons pas, par intérêt. Et il y a ceux qui osent, et qui parlent. Alors, laissez-moi terminer comme j’ai commencé, avec un peu de latin : Audaces fortuna“ceux qui osent, la fortune [= le cours des événements] <les seconde.>”.

Bien cordialement vôtre,

Paulo de Carvalho, Professeur émérite [Bordeaux 3, linguistique et grammaire latine].

13/12/2012, Andreas Pfersmann :

Cher Jean-Noël Darde,

Je me félicite que la CP-CNU prenne enfin la mesure des problèmes du plagiat et je remercie Dominique Faudot de s’en inquiéter. La France est hélas très en retard pour lutter contre ce fléau, surtout lorsqu’il est commis par nos propres pairs.

De toute évidence, la propriété intellectuelle n’est pas suffisamment protégée dans notre pays et l’élaboration d’instruments législatifs visant explicitement le plagiat constitue une urgence d’un point de vue juridique. Par ailleurs, les commissions de déontologie, quand elles existent dans les universités, ont manifestement encore beaucoup de mal à fonctionner à l’abri des conflits d’intérêt. La complaisance, fréquente dans notre milieu, voire la complicité avec les collègues plagiaires est particulièrement choquante et je partage entièrement l’analyse de Paulo de Carvalho.

C’est pourquoi la mise en place d’une instance indépendante, autorisée à s’autosaisir des cas de plagiats commis par des enseignants-chercheurs ou des chercheurs et à les sanctionner, serait vivement souhaitable. L’impunité, dans ce domaine, est néfaste pour notre travail (je pourrais citer des exemples…).

Il est particulièrement douloureux, pour le membre du CNU que je suis, de penser que des collègues plagiaires aient réussi à se faire élire dans nos instances. Le CNU doit être exemplaire dans la défense de l’intégrité et de la déontologie scientifiques. Il doit pouvoir casser systématiquement les qualifications obtenues de matière frauduleuse et les promotions de collègues plagiaires. Je fais confiance à la CP-CNU pour réussir à interdire que des travaux plagiés puissent figurer sur les notices biographiques des membres élus du CNU.

Je ne saurais terminer ce message, cher Jean-Noël Darde, sans rendre hommage au travail exemplaire que vous menez pour défendre la dignité et l’honnêteté dans l’exercice de notre profession.

Andréas PFERSMANN, MCF HDR de littérature générale et comparée à l’Université de la Polynésie française
. Directeur adjoint de l’EA « Sociétés traditionnelles et contemporaines en Océanie »
. Membre titulaire élu du CNU (10e section).

14/12/2012, Jean-Hugues Chauchat :

Chers collègues,

Ma lettre dénonçant le plagiat dont a été victime un de mes doctorants d’informatique étant citée, je vous diffuse le message ci-joint.

La question du plagiat en recherche concerne toute notre communauté ; il a été évoqué lors des Assises de l’Enseignement Supérieur ; la Commission Permanente du CNU va, je l’espère, proposer la création d’une comission indépendante d’examen des cas de plagiat.

Notre collègue Jean-Noël Darde, auteur du message ci-dessous, est quelque fois accusé d’en faire trop, mais il est un des rares universitaires français en exercice à être courageux sur ce sujet ; son blog <http://archeologie-copier-coller.com/> décrit en détail des cas de plagiat universitaire flagrant dans différentes disciplines.

Bien à vous,

Jean-Hugues Chauchat, professeur émérite à l’Université Lyon 2

14/12/2012, Catherine Cremieu-Petit :

Je ne trouve pas du tout que JN Darde en fasse trop mais que nous tous n’en faisons pas assez, notre Université croule sous le poids du « plagiat » qui a bien trop duré, cette « corruption » est inadmissible. J’ai moi même assisté à une soutenance où le Directeur de thèse était complice du Doctorant ainsi que le Président de jury et les membres du jury.

Cela me révolte car à côté de cela de jeunes étudiants scrupuleux et autrement compétents ne parviennent pas à s’imposer à cause de cette corruption.
Catherine Petit [Enseignante (retraitée) à l’Université Paris 5. Ancienne attachée parlementaire (Assemblée nationale, puis Sénat)]

7/01/2013, Ricardo Saez :

Je me permets de verser modestement au débat sur le plagiat, les réflexions suivantes,  complémentaires d’autres points de vue.

1) Le premier constat relève directement de l’existant, de ce qui est matériellement appréhendable : le plagiat existe au sein de la société, l’université qui en fait partie étant, à son tour, contaminée. Cette donnée me semble difficilement contestable. Comme disait Goethe : « l’extérieur est à l’intérieur ».

2) Comment faire barrage au plagiat ? Au même titre qu’il existe des campagnes contre la faim, des campagnes antitabac, il faut que l’institution lance une vaste campagne antiplagiat s’inscrivant dans une démarche laïque et citoyenne. Il ne peut y avoir de véritable production scientifique sans éthique intellectuelle. Pour ce faire, il faut associer les présidents d’université, les directrices et directeurs d’U.F.R. et, j’insiste, les syndicats à une volonté manifeste de lutte contre des pratiques qui dénaturent les valeurs de l’esprit et de la recherche défendues par la communauté universitaire.

3) Aussi, me semble-t-il de bonne méthode, d’introduire dans les cursus une information/formation au plagiat, à ses dérives, risques et sanctions encourues par les contrefaçons ou le « copié-volé », pudiquement appelé « copié-collé ». Toutes les universités sont dotées d’une commission disciplinaire, émanation directe du C.A., s’appliquant aussi bien aux membres titulaires de l’enseignement supérieur qu’aux étudiants. Cette commission, dont l’échelle des sanctions est assez étendue, a un rôle de vigilance qui se veut le plus souvent éducatif.

4) Certaines universités ont inscrit dans leur programme de politique et de gestion une réflexion et une action visant à faire prendre conscience du fléau actuel du plagiat, soit sous la forme des journées intitulées « Halte au plagiat » afin de sensibiliser le monde universitaire aux dangers de la fraude, soit en demandant aux surveillants de rappeler aux étudiants les règles qui doivent présider à tout partiel ou examen.

5) En dépit de toutes ces précautions, force est de constater que les résultats sont loin de porter tous leurs fruits. Á cet égard, on ne peut que saluer l’action impulsée par Jean–Noël Darde, tant celle-ci répond à des situations proprement scandaleuses qui ont cependant droit de cité par complaisance et lâcheté ou réseau d’intérêts communément partagés. L’Université a tout à perdre si elle n’engage pas des sanctions contre ses enseignants-fraudeurs qui font carrière ayant usurpé la propriété intellectuelle de leurs travaux. Face à cet état de fait et vu des difficultés éprouvées par les universités pour intervenir efficacement dans les cas de plagiat, il faut amener Madame Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, s’appuyant pour cela sur la CPU, à constituer une commission nationale composée de PREM, PR et MCF, indépendante et idéologiquement plurielle, pour sortir du vide juridique actuel qui permet de prospérer à des enseignants-chercheurs en totale inadéquation avec le socle déontologique sur lequel repose le service public. Il est urgent que les plagieurs ne puissent pas être candidats à des fonctions de direction administrative et scientifique au sein de l’enseignement supérieur et de ses instances. Il est aussi d’une totale justice qu’ils soient condamnés à hauteur de leur faute.

Ricardo Saez (Professeur émérite, Université Rennes 2).

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REFUSONS DE FERMER LES YEUX SUR LE PLAGIAT DANS LA RECHERCHE

Plus de 200 universitaires, dont des universitaires plagiés, invitent les enseignants et chercheurs à signer et poursuivre la diffusion de ce texte.

2013 : ce texte reste ouvert aux signatures et commentaires

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3 réponses to “La Commission permanente du Conseil national des universités, le « vide juridique » et la tolérance au plagiat”

  1. Salah BOUHLEL est Professeur des Sciences Géologiques, à la Faculté des Sciences de Tunis.

    Bien que je sois sur l’autre rive de la Méditerranée, j’adhère complètement à l’analyse présentée ci-dessus par Jean-Noël Darde et m’associe à ce combat. La lutte contre le plagiat doit toucher également certains pays du Sud.
    C’est un problème aggravé par le laisser-aller des instances universitaires à toutes les échelles et l’absence dans plusieurs pays de comités d’éthiques et de textes juridiques clairs.
    Pr. Salah BOUHLEL

    Rép. JND : Mais gardons nous des « comités d’éthiques » qui n’ont d’éthique que le nom ! Dans mon université (Paris 8), c’est à une « Commission déontologie » qu’on a confié le soin de valider… des plagiats grossiers et défendre… des plagiaires.

     

    Salah BOUHLEL

  2. Marie-Domitille PORCHERON est Maître de conférences en Histoire de l’art moderne et contemporain, Université Picardie Jules-Verne.

    Ces démonstrations sont implacables.
    Confrontée depuis des années dans mon UFR à un grave problème de plagiat par un enseignant, malgré l’implacabilité de la démonstration du plagiat par deux enseignants de l’UFR, malgré une sanction discutable, malgré le déni, malgré l’éthique, l’université traite de ces problèmes – quand elle accepte de les traiter, forcée qu’elle y est – avec fort peu de conviction… quand elle n’accuse pas les découvreurs de plagiat de « harcèlement », de briseurs de cohésion collégiale, le plagiaire devenant victime, ou bien encore qu’elle les prie « d’aller de l’avant », d’oublier…
    Les combats contre le plagiat doivent être impérativement soutenus par l’ensemble des enseignants-chercheurs pour lesquels éthique n’est pas qu’un mot.
    Marie-Domitille Porcheron

     

    Marie-Domitille PORCHERON

  3. Alain LELU est Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Franche-Comté. Ancien enseignant-chercheur à Paris 8, il a été membre du laboratoire Paragraphe de 1992 à 1999.

    Cette saga est incroyable : passer de « seul contre le consensus du département Hypermédias » à « seul contre le consensus de Paris 8 », puis « seul contre le consensus de la section 71 », et enfin, semble-t-il, « seul contre le consensus du ministère », avec des preuves aussi indiscutables !
    Toutes proportions gardées, ça rappelle ce qui s’est passé pendant des décennies dans le cyclisme international ! Et encore j’ai appris qu’un des premiers lanceurs d’alerte français, reconverti dans le VTT, s’est fait sanctionner récemment pour « non-présentation au contrôle anti-dopage » à une arrivée, alors qu’il avait abandonné l’épreuve !

    Je ne vois pour l’instant que deux pistes pour continuer :
    – engager une action de très longue haleine pour qu’une instance nouvelle vienne combler le vide juridique. Avec la pétition, un mouvement a été créé, des juristes pourraient certainement faire des propositions.
    – exposer, tenter d’expliquer et situer cette saga en élargissant à ce qu’est devenue l’Université en général. Malheureusement, le vécu, les anecdotes, qu’on aurait tous à raconter par centaines, ça ne suffit pas ! Allez, quand même une pour la route : un collègue se fait proposer des heures d’enseignement par le responsable d’une filière bien remplie. Il lui propose 9h de TP par groupe de 18, avec contrôle par « projets ». Le collègue objecte que c’est bien lourd pour 9h car il faut leur faire faire une soutenance si l’on veut s’assurer que c’est bien eux qui ont réalisé le projet (et non pas un grand frère, voire un ami secourable ?). L’autre répond que ce n’est pas la peine, que ce qui compte c’est qu’ils sachent se débrouiller, on ne veut pas savoir comment !
    Alain Lelu

    JND :
    Ce « vide juridique » tient de la mystification. L’article 40 du Code de procédure pénale stipule que « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
    Un plagiat devrait donc non seulement toujours faire l’objet d’un traitement disciplinaire interne à l’université mais devrait aussi être l’objet d’une information transmise au procureur par les instances universitaires s’il est susceptible, ce qui est le plus souvent le cas, de constituer une contrefaçon, un délit dans l’orde judiciaire.

     

    Alain LELU