* L’ÉCHO D’ECO (*) Des langues, des hommes et du travail de la citation

Posté par Jean-Noël Darde

31 MARS 2011 : DÉMISSION DE LOUISE PELTZER, PRÉSIDENTE DE L’UNIVERSITÉ DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

Janvier 2011

Peut-être que parfois il a manqué des guillemets, mais l’éditeur voulait absolument mon texte et il n’a peut-être pas fait son travail. L. Peltzer (Libération, 19/01/2011)

J’ai pu oublier quelques guillemets, mais franchement on ne va pas en faire toute une affaire ! L. Peltzer (Le Monde, 26/01/2011).

INTRODUCTION

Dans ce sous-titre, « Des langues, des hommes » renvoie à l’ouvrage de Louise Peltzer L’expression « du travail de la citation » outre qu’il réfère au contenu de cette étude, est aussi un emprunt au titre du livre d’Antoine Compagnon « La seconde main ou le travail de la citation » (1).

Ce sont des enseignants et chercheurs de l’Université de la Polynésie française, lecteurs de ce blog, qui ont attiré notre attention sur le texte de L. Peltzer dans la mesure où, sous certains aspects, ils y voyaient une illustration de différents articles déjà parus sur Archéologie du « copier-coller ».

Cet ouvrage de L. Peltzer édité en 2000 est la version imprimée de la « Leçon inaugurale », Des langues et des hommes, prononcée le 5 novembre 1998 pour « la rentrée solennelle » de l’Université française du Pacifique (aujourd’hui Université de la Polynésie française). Cette leçon était donnée par L. Peltzer, en sa qualité de Professeur. Mais elle était déjà, depuis quelques mois, Ministre de la Culture et de l’Enseignement supérieur du gouvernement Flosse.

L. Peltzer est une spécialiste connue des langues polynésiennes. Parmi ses publications, Des langues et des hommes est une des celles que l’actuelle présidente de l’Université de la Polynésie française (2) cite le plus fréquemment.

Embrassant un sujet aussi vaste que celui des langues et des hommes on ne sera pas surpris que L. Peltzer se soit entourée de linguistes comme Claude Hagège, Jean-Louis Calvet, Umberto Eco, Antoine Meillet et Marcel Cohen, André Martinet et Maurice Olender, les  sept auteurs cités dans la bibliographie qui conclut le texte de cette leçon inaugurale. Mais totalement immergée dans ces lectures pour préparer cette leçon, L. Peltzer, s’en est imprégnée au point de parfois faire sienne les idées, et même les phrases, de ces auteurs.

Nous nous sommes arrêté aux seules traces de l’influence d’Umberto Eco dans cet ouvrage. Ce choix tient à ce que ce célèbre auteur cité dans la bibliographie de L. Peltzer a aussi la réputation  d’être parmi les plus scrupuleux quand il s’agit de citer ses sources dans ses travaux universitaires. Il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir l’ouvrage de cet érudit : La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne, édité en français en 1994 aux éditions du Seuil (toujours disponible chez le même éditeur dans la collection Points-Essais). Nous citons ce livre en exemple dans la mesure où c’est précisément celui qui figure dans la bibliographie de L. Peltzer. À part avec l’intitulé de cet ouvrage, qui figure dans la bibliographie de cette Leçon sans que le nom de l’éditeur soit cependant précisé, le nom d’Umberto Eco n’est jamais cité, ne serait-ce qu’une seule fois, dans le texte.

Afin de pouvoir attester du  sérieux de ce travail, nous tenons à disposition, sous forme de fichier pdf, le texte intégral de cette leçon inaugurale. Chacun pourra y reconnaître les siens. Nous imaginons mal l’éditeur de cet ouvrage, ou son « auteur », lancer une procédure légale… au nom de la protection du droit d’auteur contre notre décision de communiquer ce texte à qui en fait la demande dans le cadre de recherches universitaires.

LE TRAVAIL DE LA CITATION

Il s’agit ici de mettre en regard les passages de la « Leçon » de l’ancienne Ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du gouvernement Territorial de la Polynésie Française,  présidé par Gaston Flosse, avec les passages de l’ouvrage d’Umberto Eco qui paraissent les avoir inspirés.

Ce sont les enseignants-chercheurs de l’Université de la Polynésie française qui ont fait l’essentiel du travail — un travail d’autant plus fastidieux qu’ils n’étaient guidés que par les seules intuitions qu’apporte une lecture attentive des textes, du papier au papier, sans aucune aide d’outils numériques.

Notre intervention, outre la mise en ligne de ce travail, s’est limitée au coloriage des textes à comparer afin de mieux faire apparaître l’influence d’Umberto Eco et les mécanismes de citation. Nous avons aussi, le cas échéant, commenté certains aspects de ce « travail de la citation ».

Des très nombreux passages du texte de L. Pelzer  « influencés » par  le livre d’Umberto Eco et relevés par nos collègues, nous n’avons retenu ci-dessous que les seuls pour lesquels un simple coloriage suffisait à signaler l’importance des similarités. De même, nous avons laissé de côté, dans l’attente d’une étude plus approfondie de cet ouvrage, d’autres critères de similarité (ordre des emprunts, articulations identiques, etc.).

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Le gras, en couleur, signale des passages identiques au texte d’Umberto Eco.

Le maigre, d’une couleur différente du gras, signale  des variantes  minimales du texte original, ou des paraphrases.

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Copie, et oubli des sources signalées par Umberto Eco

L. P., p. 20 (demi-page bas) et p. 21 (haut de page).

Il a la conviction que cette concorde universelle devra se réaliser sous l’égide du roi de France, qui peut légitimement aspirer au titre de roi du monde parce qu’il descend en ligne directe de Noé, étant donné que Gomer, fils de Japhet, serait le fondateur de la souche celtique et gauloise.

Postel prend en compte une étymologie, traditionnelle à l’époque selon laquelle gallus signifierait en hébreu « celui qui a dépassé les vagues » et qui a donc échappé aux eaux du déluge.

N’ayant pas réussi à convaincre François 1er qui le prend pour un exalté; il se rend à Rome auprès d’Ignace de Loyola.

Umberto Eco, p. 97 (milieu de page) :

Elle s’accompagne de la conviction que la concorde universelle devra se réaliser sous l’égide du roi de France, qui peut légitimement aspirer au titre de roi du monde parce qu’il descend en ligne directe de Noé, étant donné que Gomer, fils de Japhet, serait le fondateur de la souche celtique et gauloise (voir en particulier Les raisons de la monarchie, c. 1551)

Postel (Thresor des Propheties de l’Univers, 1556) prend en compte une étymologie, traditionnelle (voir par exemple, Jean Lemaire de Belges, Illustrations de gaule et Singularitez de Troye, 1512-1″, F. 64r) selon laquelle gallus signifierait en hébreu « celui qui a dépassé les vagues » et qui a donc échappé aux eaux du déluge (voir Stephens 1989, 4).

Postel cherche d’abord à convaincre de ses idées François 1er qui le considère comme exalté; ayant perdu la faveur de la cour il se rend ensuite à Rome pour gagner à son utopie Ignace de Loyola.


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Création d’une citation de Richard Simon

Sur une courte citation, « chacun s’expliquât à sa façon », L. Peltzer greffe trois autres lignes d’une citation créée à partir du texte d’Umberto Eco qui rend compte du point de vue de Richard Simon.

L. P., p. 23 (haut) :

La critique de l’origine divine de l’hébreu avait déjà commencé. Richard Simon l’écarte également dans son Histoire critique du Vieux testament en reprenant les arguments de Gégoire de Nysse :

« La langue est une invention humaine et puisque la raison n’est pas la même chez tous les peuples, cela explique la différence entre les langues. Dieu lui-même a voulu que les hommes parlassent des langues différentes pour que chacun s’expliquât à sa façon ».

Umberto Eco, p. 106 (bas) :

Richard Simon, qui est considéré comme le rénovateur de la critique testamentaire, dans son Histoire critique du Vieux testament (1678), écarte désormais l’hypothèse des origines divines de l’hébreu, en reprenant les arguments pleins d’ironie de Grégoire de Nysse. La langue est une invention humaine et, puisque la raison n’est pas la même chez tous les peuples, cela explique la différence entre les langues. Dieu lui-même a voulu que les hommes parlassent des langues différentes, que « chacun s’expliquât à sa façon ».

La citation exacte de Richard Simon figure ci-dessous (on la retrouve facilement par google par la requête, mise entre guillemets, « parlassent differens ». Elle conduit à un fac-similé du texte orignal dans books.google.fr) :

Saint Gregoire de Nysse dont nous avons parlé ci-dessus, pousse encore plus avant son sentiment (…).

[IL] dit qu’on ne voit point dans la même Ecriture, que Dieu ait enseigné aucune Langue aux hommes, ni que les hommes étant partagés en differentes Langues, il ait ordonné de quelle Langue chacun parleroit. Mais Dieu, qui voulut que les hommes parlassent differens langages, permit que selon le cours ordinaire de la nature, chacun s’expliquât à sa maniere.

La citation de R. Simon faite par Umberto Eco « chacun s’expliquât à sa façon », au lieu de « sa manière » du texte original, s’explique probablement par la traduction de Jean-Paul Manganaro qui serait parti du texte italien d’Umberto Eco pour revenir au français, plutôt que de citer le texte original de Simon Richard qu’Umberto Eco avait traduit du français vers l’italien. Un problème courant dans les traductions évoqué par Umberto Eco lui même dans Dire presque la même chose / Expériences de la traduction (Grasset, 2007).

On retrouve cette fausse citation, prêtée à Richard Simon par L. Peltzer et à l’évidence reprise du texte de cette dernière, dans un texte mis en ligne en 2003, rédigé par un autre auteur à l’occasion d’une conférence de la francophonie…

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Création d’une citation de Battista Geli

Création de la citation et effacement des sources signalées par Umberto Eco

L. P., p. 25 (haut) :

« Le Toscan dérive de l’étrusque et celui-ci de l’araméen noachique » prétend Battista Gelli.

Umberto Eco, pp. 116 (bas) et 117 (haut) :

L’idée que le Toscan dérive de l’étrusque et celui-ci de l’Araméen noachique est développée à Florence par Battista Gelli (D’ell’ origine di Firenze, 1542-1544) et par Pier Francesco Giambullari (Il gello, 1546).

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Effacement de la citation

La copie servile mise à part (ce qui n’est pas rien), le discours indirect produit par L. Peltzer  dans l’exemple suivant pour rendre compte du contenu d’une citation présentée par Umberto Eco n’a rien d’anormal en soit C’est le cheminement inverse qui l’est, dont plusieurs cas sont présentés ci-dessus et ci-dessous.

L. P., p. 26 (haut) :

– Le hollandais, et plus précisément le dialecte d’Anvers par les Cimbres, descendait de Japhet, n’était donc pas concerné par Babel, et avait la langue la plus pure, ce que confirmait l’étymologie bien sûr et le fait que le hollandais a le plus grand nombre de mots monosyllabiques, qu’il dépasse toutes les autres langues par la richesse de ses sons et les possibilités exceptionnelles d’engendrer des mots composés. Cette théorie sera reprise en 1868 par le baron Ryckholt qui affirmera que seul le flamand peut être considéré comme une langue, toutes les autres, mortes ou vivantes, n’étant que des dialectes ou des jargons plus ou moins déguisés.

Umberto Eco, p. 118 :

(…) ce rapport est montré de façon exemplaire dans le hollandais, dans le dialecte d’Anvers précisément. Les aïeux des Anversois, les Cimbres, descendent directement des fils de Japhet, qui ne se trouvaient pas sous la Tour de Babel, et qui ont donc échappé à la confusio linguarum. Aussi ont-ils gardé la langue adamique, ce qui est prouvé par des étymologies claires… (…)

le fait que le hollandais a le plus grand nombre de mots monosyllabiques, qu’il dépasse toutes les autres langues par la richesse de ses sons et les possibilités exceptionnelles d’engendrer des mots composés. (…)

Dans son ouvrage La Province de Liège… Le Flamand langue primordiale, mère de toutes les langues, de 1868, le baron de Ryckholt soutiendra encore que « le flamand est la seule langue parlée à côté du berceau de l’humanité » et que « lui seul est une langue et que toutes les autres, mortes et vivantes, n’en sont que des dialectes, des jargons plus ou moins déguisés » (voir Droixhe 1990 : 145, et, en général, à propos des délires de grandeur linguistique, Poliakov 1990).

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Patchwork et  fantaisie : la création d’une citation composite de Luther

L. Peltzer fait un curieux patchwork d’éléments empruntés à l’ouvrage d’Umberto Eco qu’elle attribue au seul Luther. Cette longue « citation » est un montage composite.

Il est la somme d’une citation recopiée chez Umberto Eco, attribuée par Eco lui-même à G. P. Harsdöffer, à laquelle s’ajoute la copie à l’identique d’un passage d’Umberto Eco concernant Harsdöffer, puis une paraphrase d’un autre passage d’Eco, pour finir par une phrase aussi attribuée à Luther, « L’allemand est la langue qui, plus que tout autre, rapproche de Dieu », à la suite d’un contresens de L. Peltzer sur une remarque d’U. Eco.

Nous n’avons trouvé aucune trace, et pour cause, de cette citation de Luther, hormis dans cette leçon inaugurale.

Cette citation « inventée » a pour origine un contresens de L. Peltzer sur les propos d’Umberto Eco (« dans le monde protestant allemand il s’avère nécessaire de défendre la langue allemande, car elle est celle dans laquelle a été traduite la Bible de Luther… »). Si on y regarde de près, non seulement Luther n’a jamais tenu les propos que lui prête L. Peltzer, mais cette fausse « citation » va même à l’encontre de ses positions. Luther a traduit la Bible depuis le latin pour en faciliter l’accès à tous; vers l’allemand donc, parce qu’il la souhaite accessible et compréhensible des  germanophones sans qu’ils aient à passer par l’intermédiaire du clergé catholique. Pour les mêmes raisons, Luther souhaitait que les Suédois puissent lire la Bible en version suédoise,  et  que les Français aient accès à la Bible en français…  L’idée que  l’allemand, comme langue, rapprocherait de Dieu « plus que tout autre langue » est étrangère à Luther. Il faut cependant être reconnaissant à L. Peltzer d’ouvrir ainsi de nouvelles perspectives aux études sur Martin Luther.

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L. P., p. 27 (bas) :

« La langue allemande parle avec des langues de la nature en exprimant bien perceptiblement tous les sons. Elle tonne avec le ciel, lance des éclairs avec les nuages rapides, darde avec la grêle, siffle avec les vents, écume avec les vagues, etc. L’allemand est resté parfait parce que l’Allemagne n’avait jamais été assujettie à une puissance étrangère alors que les vaincus adoptent les coutumes et la langue des vainqueurs comme cela est arrivé au français qui s’est mélangé avec le celtique, le grec et le latin.

L’allemand est plus riche en termes que l’Hebreu, plus souple que le grec, plus puissant que le latin, plus magnifique que l’espagnol dans la prononciation, plus gacieux que le français et plus correcte que l’italien.

C’est en Allemagne que Japhet s’est marié et a fondé sa descendance, son neveu habitait une des principautés locales avant la confusion babylonienne. Arminius et Charlemagne en sont les descendants les plus illustres. L’Allemagne est aussi le pays de la réforme. L’allemand est la langue qui, plus que toute autre, rapproche de Dieu », dira Luther.

Umberto Eco, p. 120, 121 :

Dans la période baroque, Georg Philipp Harsdörffer (Frauenzimmer Gesprächspiele, 1641, rééd. Tübingen, Niemeyer, 1968, p. 335) affirme que la langue allemande

parle avec des langues de la nature en exprimant bien perceptiblement tous les sons. […] Elle tonne avec le ciel, lance des éclairs avec les nuages rapides, darde avec la grêle, siffle avec les vents, écume avec les vagues, […].

L’allemand était resté parfait parce que l’Allemagne n’avait jamais été assujettie à une puissance étrangère alors que les vaincus (c’était aussi l’opinion de Kirchner) adoptent les coutumes et la langue des vainqueurs comme cela est arrivé au français qui s’est mélangé avec le celtique, le grec et le latin.

L’allemand est plus riche en termes que l’Hebreu, plus souple que le grec, plus puissant que le latin, plus magnifique que l’espagnol dans la prononciation, plus gacieux que le français et plus correcte que l’italien. […]

On voit réapparaître la thèse (où, suivant les auteurs, seul change le lieu) soutenant que Japhet s’était marié en Allemagne, que son neveu Ashkanaz habitait la principauté d’Anhalt depuis l’époque précédant la confusion babylonienne, et que de lui descendaient Arminius et Charlemagne. […]

Ces thèses naissent aussi du fait que dans le monde protestant allemand il s’avère nécessaire de défendre la langue allemande, car elle est celle dans laquelle a été traduite la Bible de Luther…

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Création d’une citation de Leibniz

L. P., p. 29 (bas) :

Leibniz ironise sur ces prétentions mythologiques : « lorsque les Turcs et les Tartares… », dit-il, « deviendront aussi savants que les Européens, ils trouveront sans peine les arguments pour prétendre que leur langue est la langue-mère de toute l’humanité ».

Umberto Eco, p. 122 (haut) :

Leibniz ironisait sur ces prétentions et sur d’autres encore. Dans une lettre du 7 avril 1699 (citée par Gensini en 1991 : 113) il se moquait  de ceux qui veulent tout tirer de leur langue, de Goropius Becanus donc […] et il en concluait que, si un jour les Turcs et les Tartares devenaient aussi savants que les Européens, ils trouveraient facilement la manière de promouvoir leurs langues comme langues mères de l’humanité tout entière.

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La citation de Rowland Jones, reprise telle quelle, devient discours indirect

Ici, outre le texte d’Umberto Eco, L. Peltzer s’approprie aussi une citation de Rowland Jones, présentée en tant que telle par U. Eco.

L. P., p. 29 (haut) :

Au siècle suivant, Rowland Jones soutiendra que la langue primordiale a été le celtique et quaucun langage, sauf l’anglais, ne se montre si proche du premier langage universel de sa précision naturelle et de sa correspondance entre les mots et les choses. La langue anglaise est la mère de tous les dialectes occidentaux et du grec.

Umberto Eco, p.123 (bas) :

Dans le milieu britannique, la défense du celtique aura évidemment d’autres connotations, entre autres d’opposition à la tradition germanique. Ainsi au cours du siècle suivant, Rowland Jones soutiendra que la langue primordiale a été le celtique et qu’ « aucun langage, sauf l’anglais, ne se montre si proche du premier langage universel, de sa précision naturelle et de sa correspondance entre les mots et les choses, sous la forme et à la manière dont nous l’avons présenté comme langue universelle ». La langue anglaise

Est la mère de tous les dialectes occidentaux et du grec, vieille sœur des langues orientales […]

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Du respect de la citation, à la copie parfaite

Les reprises systématiques des citations présentées par autrui (un auteur « citant ») sont en soi un plagiat non pas de l’auteur cité, mais de l’auteur citant. À ce sujet, dans son livre Plagiats, les coulisses de l’écriture, Hélène Maurel-Indart (3) présente un jugement du Tribunal de Paris où il est retenu parmi d’autres arguments pour fonder la condamnation du plagiaire, l’écrivain Henri Troyat, que ce dernier présente les mêmes citations (de la correspondance de Juliette Drouet), avec les mêmes coupes et dans le même ordre, que celles choisies par le plagié dans son ouvrage.

Dans le cas ci-dessous, on se trouve dans une situation équivalente, preuve en est l’introduction à l’identique de la citation volée.

L. P., p. 32 (bas) :

En 1786, dans le Journal of the Asiatic Society de Bombay, Sir William Jones annonce que « la langue sanskrite, quelle que soit son antiquité, est d’une structure admirable, plus parfaite que le grec, plus riche que le latin et plus merveilleusement raffinée que chacune des deux, se trouvant avec l’une et l’autre dans un rapport d’affinité tant dans les racines des verbes que dans les formes grammaticales. Aucun philologue ne pourrait les examiner toutes les trois sans être convaincu qu’elles découlent d’une racine commune qui n’existe peut-être plus ».

Umberto Eco, p.125 (milieu) :

En 1786, dans le Journal of the Asiatic Society de Bombay, Sir William Jones annonce que :

la langue sanskrite, quelle que soit son antiquité, est d’une structure admirable, plus parfaite que le grec, plus riche que le latin et plus merveilleusement raffinée que chacune des deux, se trouvant avec l’une et l’autre dans un rapport d’affinité tant dans les racines des verbes que dans les formes grammaticales. Aucun philologue ne pourrait les examiner toutes les trois sans être convaincu qu’elles découlent d’une racine commune qui n’existe peut-être plus (On the Hindus, in the works of Sir William Jones, Londres, 1807, III : 34-35).

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Sans commentaire

LP p. 34 (milieu) :

Dans le chapitre Langage de l’Encyclopédie, Jancourt rappelle que les langues étant issues de l’activité des différents peuples, on peut affirmer qu’il n’y en aura jamais d’universelle puisqu’on ne pourra jamais conférer à toutes les nations les mêmes coutumes et les mêmes sentiments, les mêmes idées de vertus et de vices, car ces idées procèdent de la différence des cultures.

UE p. 132 (bas) :

Ainsi, à l’article « Langage » de l’Encyclopédie, Jancourt rappelle que, puisque les différentes langues naissent des génies des différents peuples, on peut affirmer décidément tout de suite qu’il n’y en aura jamais d’universelle, puisqu’on ne pourra jamais conférer à toutes les nations les mêmes coutumes et les mêmes sentiments, les mêmes idées de vertu et de vice car ces idées procèdent de la différence des climats, de l’éducation, de la forme de leur gouvernement..

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Création d’une citation de De Mauro à partir d’un commentaire d’Umberto Eco

LP, p. 35 (milieu) :

Les rapports organiques reconnus entre une langue donnée et une façon de penser, supposent des conditionnements  réciproques qui ne sont pas seulement synchroniques (à un moment donné) mais aussi diachroniques (dans la durée). Tant la façon de penser que la manière de parler sont le produit d’un développement historique. « Et ce serait alors s’égarer… », indique De Mauro « …que de ramener les langages humains à une prétendue matrice unitaire ».

Umberto Eco p. 133 (milieu) :

Les rapports organiques reconnus entre une langue donnée et une façon de penser supposent des conditionnements  réciproques qui ne sont pas seulement synchroniques (rapport entre la langue et la pensée à une époque donnée), mais aussi diachroniques (rapport dans le temps d’une langue donnée avec elle même). Tant la façon de penser que la manière de parler sont le produit d’un développement historique (voir de Mauro 1960: 47-63). Et ce serait alors s’égarer que de ramener les langages humains à une prétendue matrice unitaire.

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Leibniz, +,  plus

LP, p. 40 (bas) :

Leibniz avait imaginé une grammaire avec une seule déclinaison et une seule conjugaison, l’abolition des genres et du nombre, l’identification entre adjectif et adverbe et la réduction des verbes à la copule plus l’adjectif.

Umberto Eco, p. 308 (haut) :

Il [Leibnitz] prévoyait une régularisation et une simplification draconienne de la grammaire, avec une seule déclinaison et une seule conjugaison, l’abolition des genres et du nombre, l’identification entre adjectif, l’adverbe et la réduction des verbes à la copule + l’adjectif.

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Si nous avons parlé à propos de l’auteur de Des langues et des hommes d’une imprégnation excessive des auteurs consultés, s’agissant de jeunes docteurs en quête de la « qualification » aux fonctions de maître de conférences, le président du CNU (Conseil national des universités) de droit public déclare sans ambages :

La Section est au regret de devoir mettre en garde très formellement les candidats contre la pratique, de moins en moins exceptionnelle, consistant pour un auteur à ne pas citer rigoureusement ses sources d’information ou d’inspiration, certaines omissions pouvant relever de procédés non conformes à la déontologie universitaire.

Quelquefois même, elle a dû déplorer des cas plus ou moins caractérisés de plagiat, qui consiste à recopier la lettre même de ce qui a pu être écrit antérieurement par d’autres auteurs, sans leur reconnaître, par des guillemets appropriés et par une indication bibliographique convenable, la paternité des lignes en cause. (…)

Il est à peine nécessaire de souligner que ces pratiques sont inadmissibles et indignes d’universitaires, tout en desservant très fortement ceux qui s’y livrent.

Il ne faudrait cependant pas trop rapidement conclure que ces remarques valent hors du droit public, qui plus est, pour des enseignants en poste — maîtres de conférences et professeurs —  et des présidents d’université. Notons qu’au vue de la réaction, ou plutôt de l’absence de réaction, de la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche à plusieurs courriers que lui ont adressés il y a plus de six mois des universitaires de Polynésie, ces remarques ne valent probablement qu’en droit public.

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Notes :

(*) Avant la mise en ligne de cet article, une rapide recherche avec l’aide de Google  nous a montré que ce titre, L’écho d’Eco, n’avait rien d’original. Parmi plusieurs de ses occurrences, citons ses versions italienne l’eco dell’Eco et française dans la version bilingue de Postkarten – Poésies 1972-1977  (Éditions L’Âge d’Homme) d’Edoardo Sanguineti, universitaire et poète, mort en 2010.

(1) Antoine Compagnon, 1979. La seconde main ou le travail de la citation. Paris : éditions du Seuil. Antoine  Compagnon, aujourd’hui professeur au Collège de France, a écrit en 1991 à l’occasion d’une communication à Ottawa, « l’Université ou la tentation du plagiat » : L’Université française serait indifférente au plagiat non pas parce que le plagiat n’existe pas mais parce que l’Université française n’existe pas, parce qu’il n’y a pas d’idée d’Université en France, ni l’éthique ou la déontologie qui irait avec. Il y a bien sûr un enseignement supérieur en France mais pas d’idée d’Université (Actes du colloque « Le plagiat », sous la direction de Christian Vandendorpe. Presses de l’université d’Ottawa, 1992).

(2) Selon la notice qu’elle a rédigée dans le Who’s Who,  L. Peltzer, comme universitaire, a été « Maître de conférences (1991-98), Professeur des universités (depuis 1998), Directrice du département de lettres, langues, sciences humaines (1995-98), Présidente du jury du Certificat d’aptitude pédagogique à l’enseignement du second degré (Capes) (1998-2004), Présidente de l’université (depuis 2005); Professeur invité à l’université de Waikato (Nouvelle Zélande) et à l’université de Manoa-Honolulu (Hawaï) (1995-98), Membre du Conseil national des universités (1995-98)« . Linguiste, elle est membre de l’Académie tahitienne (depuis 1998), de la Société de linguistique de Paris et d’autres sociétés scientifiques et culturelles. L. Peltzer a aussi été Ministre de la Culture et de l’Enseignement supérieur de Gaston Flosse (à partir de 1998) et Conseillère à l’Assemblée de la Polynésie française (depuis 2001), fonctions assumées l’une et l’autre jusqu’à la chute de Gaston Flosse, en mai 2004.

« Grammaire descriptive du tahitien (1997), Des langues et des hommes (2000),  Structures élémentaires de la langue tahitienne (en coll., 2001) » sont, parmi ses publications scientifiques, les trois citées et mises en avant par L. Peltzer dans cette notice du Who’s Who.

Le jour de la leçon inaugurale, L. Peltzer a été décorée de l’Ordre national du mérite des mains de Gaston Flosse. En 2008, elle s’est vue remettre les insignes d’officier de l’Ordre national du Mérite, par le professeur Jean-Marc Monteil, chargé de mission auprès du Premier ministre et ancien directeur général de l’Enseignement supérieur.

Les décisions de L. Peltzer sont aujourd’hui très contestées au sein même de l’UPF, comme en témoigne cet article des Nouvelles de Tahiti qui a précédé une période de grèves, de manifestations et de fortes tensions sur le campus.

(3) Hélène Maurel-Indart, 2007. Plagiats, les coulisses de l’écriture. Paris : Éditions de la différence.

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Lire aussi :

* DOSSIER CPU, CNU, UPF : LA QUESTION DU PLAGIAT
http://archeologie-copier-coller.com/?p=2683

* LETTRE OUVERTE : http://archeologie-copier-coller.com/?p=2891

* PLAGIAT, SILENCE ET EXCELLENCE : http://archeologie-copier-coller.com/?p=2636