* La Commission de déontologie, la déontologie et la « discrétion professionnelle »

Posté par Jean-Noël Darde

Dernière modification, le 8 novembre 2010 (voir note n° 3).

Avant propos

Ce texte a été rédigé dans le cadre de la préparation à la première séance du séminaire « Le plagiat de la recherche » (CERSA UMR CNRS 7106), qui se tiendra le 12 novembre prochain et dont le thème est : « La réponse des institutions académiques ».
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Nous interrogeons ci-dessous la déontologie d’une commission de déontologie. Toujours à propos de déontologie, les 3 vice-présidents des conseils centraux de l’Université Paris 8, membres de droit de la Commission de déontologie de cette université, nous ont reproché dès février 2010 de faire figurer des noms dans nos articles et, selon eux, d’enfreindre ainsi les règles et usages imposés par le respect de la déontologie universitaire.
Mis en ligne simultanément, l’article complémentaire « Archéologie du ‘copier-coller’ et la déontologie : peut-on, doit-on nommer les plagiaires ?  » traite d’une question qui s’est imposée à nous comme auteur-éditeur de ce blog. Nous  y présentons les arguments qui nous ont conduit, selon nous dans le strict respect de la déontologie universitaire, à citer des noms, et les critères retenus pour le faire.
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Ces deux articles montrent qu’un excès de confidentialité et  de secret nourrit le plagiat universitaire dans les thèses, alors que le traitement public de ce phénomène, dans des cadres précis qu’il faudrait mieux définir, aiderait à sa solution.
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LA COMMISSION DE DÉONTOLOGIE, LA DÉONTOLOGIE ET LA « DISCRÉTION PROFESSIONNELLE »

Les expressions performatives mises à part, dire n’est pas faire, il n’est donc pas illégitime d’interroger la déontologie d’une « Commission de déontologie ». Nos propos et remarques sur l’activité de la Commission de déontologie de l’Université Paris 8 sont d’intérêt général : ils nourriront la réflexion d’autres universités confrontées à des problèmes similaires, liés à l’ampleur prise par le plagiat dans les travaux universitaires, et plus particulièrement les thèses.

Des déclarations fermes des plus hautes instances d’une université, suivies de la mise en place d’une « commission » sont souvent les premiers pas qui succèdent  à la mise à jour d’affaires de plagiat, surtout quand il s’agit de thèses. Sous des appellations diverses — commission d’éthique-plagiat (cf. Rapport « Éthique-plagiat » de l’Université de Genève), de déontologie, de l’intégrité scientifique…—, ces commissions se voient attribués des domaines d’intervention plus ou moins larges. Ces domaines peuvent être limités à la présentation de propositions ou être étendus jusqu’au point où l’on confie à ces commissions les pouvoirs réservés normalement aux commissions disciplinaires.

Nous évoquerons à travers l’expérience de l’Université Paris 8 quelques problèmes concernant la mise en place et les pratiques de telles commissions.

La « Commission de déontologie » de l’Université Paris 8 a été mise en place par le Conseil scientifique le 11 février 2010. Cette décision, prise en urgence, a suivi notre annonce, fin janvier 2010, auprès du Président de l’Université et de la vice-Présidente du CS de la  prochaine mise en ligne sur notre blog Archéologie du « copier-coller » de l’article «Les pieds dans le plagiat». Cet article révélait l’existence et précisait le contexte de soutenance de deux thèses-plagiats rédigées au sein du Laboratoire Paragraphe (École doctorale Cognition, Langage, Interaction) en 2006 et 2008. Nous avions convenu, soucieux de la réputation de Paris 8, que cette mise en ligne sur notre blog n’aurait lieu qu’une fois publié par les instances de l’Université un premier communiqué informant de son engagement à lutter avec vigueur contre le plagiat. Nous avions l’espoir que  l’Université Paris 8 saurait être à la hauteur et se trouverait ainsi en avance sur la plupart des universités françaises.

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Composition, conflits d’intérêts et indépendance

Le CS du 11 février 2010, après avoir rappelé  « qu’il est de la responsabilité des directeurs et co-directeurs de thèse d’assurer la vérification de l’originalité des textes produits », notait la possibilité « d’envisager des sanctions (conseil de discipline, suspension de la fonction de directeur de thèse…) » et décidait la constitution d’une Commission de déontologie à qui serait confié le traitement du problème du plagiat.

Le Conseil scientifique en précisait la composition : les trois vice-présidents des conseils centraux (Conseil d’administration, Conseil scientifique et CEVU), les directeurs des Écoles doctorales (il y a quatre ED à Paris 8) et deux membres du bureau du CS, soit 9  membres au total. Compte tenu du fait que 3 des 4 directeurs des Écoles doctorales sont aussi membres du CS, les membres de cette commission de déontologie sont donc aussi membres du Conseil scientifique à une large majorité (6 sur 9).

La composition de cette commission garantit-elle son efficacité  et son impartialité ?

Dans un article antérieur, La lutte contre le plagiat à l’Université est mal partie, mis en ligne sur ce blog le 5 avril 2010, nous soulignions déjà en conclusion :

La lutte anti-plagiat dans les travaux universitaires passe aussi par la création dans les universités de commissions comme la « Commission éthique-plagiat » de l’Université de Genève ou « l’Academic Integrity Service » que prônait Peter Forster, alors enseignant anglophone de l’Université de Caen. Ce type de commissions, mises en place en accord avec les instances de l’université concernée (Présidence, Conseil d’administration et Conseil scientifique, Direction des écoles doctorales) doit cependant pouvoir conserver une certaine autonomie d’enquête et de décision vis-à-vis de ces mêmes instances. En effet, et par nature, les instances des universités ne souhaitent pas toujours, à tort, pousser jusqu’au bout les investigations sur l’ampleur des plagiats dans la crainte que la publicité faite autour de ces cas ne porte atteinte à la réputation de leurs établissements. Il s’agit d’une position à courte vue, mais très fréquente.

Rappelons qu’en 2006, le Conseil scientifique de Paris 8, alors sous la présidence de Pierre Lunel, avait été averti à deux reprises (cf. compte rendu du CS du 23 février 2006 et mail adressé à la Vice-présidente du CS le 28 juin 2006) de l’existence de plagiats dans le master NET du département Hypermédia et qu’il n’avait pas réagi.

Les risques de conflits d’intérêts liés à la composition de la Commission de déontologie de l’Université Paris 8 ont été sous-estimés. Évoquons le cas le plus flagrant : un membre de la commission de déontologie, aussi membre du Laboratoire Paragraphe, peut-il en toute sérénité s’intéresser aux plagiats produits au sein de son propre laboratoire sans risquer d’entrer en conflit avec le Directeur du Laboratoire qui l’accueille ? Ajoutons encore que toutes nouvelles découvertes de thèses-plagiats et articles-plagiats produits par ce laboratoire viendront mécaniquement dévaluer ses propres travaux et ceux de ses étudiants aux yeux des évaluateurs de leurs activités universitaires. Le même raisonnement vaut aussi pour des directeurs d’Écoles doctorales qui auraient à se pencher, après soutenance, sur des thèses-plagiats produites et validées sous la responsabilité de leurs propres EC.

Nous avons déjà évoqué dans l’article « Comités de sélection, plagiat et les mystères de Paris 8 » ce type de situation, qui conduit au « silence contraint ». Nous soulignions alors :

Le silence contraint est un effet très pervers de la situation créée par la tolérance au plagiat. D’autant que ce type de silence se transforme souvent, au fil du temps, en silence complice.

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Experts et expertises

Notre article « Les pieds dans le plagiat » mis en ligne en février 2010 signalait l’existence de deux thèses-plagiats dont étaient déjà informées les instances de l’Université Paris 8 depuis la mi-janvier. Le fichier numérique de la thèse de Majed Sanan, dirigée par Khaldoun Zreik, était alors encore diffusé sur le site de la Bibliothèque universitaire de Paris 8. La thèse de Sang Ha Suh, dirigée par Patrick Curran, pour laquelle il n’existait que des versions papier, était à la disposition des étudiants et lecteurs de la BU de Paris 8.

Le 25 mars 2010, le Conseil scientifique votait à l’unanimité en faveur de l’annulation de la thèse de M. Sanan (vote qui s’est avéré ne pas valoir annulation). Le compte-rendu du Conseil précisait :

« une expertise a été faite sur la thèse en question. L’analyse de la thèse fait apparaître un pourcentage de texte original de l’ordre de 35% ».

Cette expertise a été d’autant plus rapide que dès janvier 2010 la Vice-présidente du CS, et future présidente de la Commission de déontologie avait eu communication d’un document de travail sous la forme d’un fichier numérique  où figuraient des résultats qui portaient sur les deux premières des trois parties de la thèse. Ces deux parties s’avéraient être presque intégralement des plagiats serviles, assemblages grossiers de « copier-coller ».

Les 35% de la thèse que les experts de la commission évaluaient être du « texte original » ne pouvaient donc ne correspondre qu’à la 3e partie de cette thèse. Cette 3e partie s’est pourtant aussi révélée, à plus des trois quarts, être aussi un assemblage de copies, sans aucune indication de sources, d’articles co-signés par le doctorant et futur docteur Majed. Sanan, son directeur de thèse Khaldoun Zreik, et un troisième auteur Mahmoud Rammal. Cette partie de la thèse est d’autant moins originale que ces articles auto-plagiés par M. Sanan sont à leur tour des plagiats serviles, d’auteurs américains pour la plupart, comme nous l’avons indiscutablement établi (cf. Serials plagiaires…, Autopsie…, Bibliographie alibi…,) .

Les 35% de « texte original » distingués dans la thèse de M. S. par les experts de la Commission de déontologie étaient donc essentiellement des plagiats co-signés par 3 auteurs dont l’auteur et le directeur de la thèse en question.

Nous l’avons déjà souligné (cf. l’article Les comités de sélection), c’est après cette expertise discutable et le vote du Conseil scientifique en faveur de l’annulation de la thèse que le même CS, associé au Conseil d’administration et à la Présidence de Paris 8, ont choisi le Directeur de cette thèse et co-signataire de ces articles-plagiats, pour présider un Comité de sélection et lui confier ainsi l’évaluation des travaux des candidats à des postes d’enseignants à l’Université Paris 8 en Sciences de l’Information et de la Communication.

La deuxième thèse, celle de Sang Ha Suh n’était toujours pas expertisée en juillet 2010 et ne l’est probablement pas encore aujourd’hui. La commission de déontologie  a choisi une  méthode  à la fois lente et peu efficace : faire à nouveau taper cette thèse pour en obtenir un fichier numérique susceptible d’être soumis à un logiciel anti-plagiat.  Concernant la frappe, notons que l’usage d’un scanner aurait permis d’arriver à un fichier numérique parfaitement utilisable  pour l’opération « logiciel anti-plagiat » en moins d’une demi-journée.

Dans cette thèse pourtant, les plagiats les plus grossiers sautent aux yeux au simple feuilletage de sa version papier. Google est alors amplement capable d’en confirmer aussitôt les preuves pour une part d’entre eux. Si les logiciels anti-plagiat rendent  service, ils ne repèreront dans cette thèse qu’une certaine catégorie de plagiats.  On ne pourra se dispenser, pour une étude complète, d’un travail patient de lecture attentive en complément des recours à Google et au logiciel anti-plagiat

L’analyse fine des différents types de plagiats de la totalité de la thèse de S.H.S. requiert assurément une étude longue et fastidieuse. Il faut par contre moins de deux jours de travail pour y repérer, depuis la version papier et sans l’aide du moindre logiciel anti-plagiat, un nombre de blocs de plagiats grossiers largement suffisant pour fonder l’annulation. Il nous paraît donc d’autant plus incompréhensible que la Commission de déontologie de l’Université Paris 8, composée pour l’essentiel d’enseignants habitués à se pencher sur des thèses  et à les évaluer — directeurs d’Écoles doctorales, membres du Conseil scientifique —  n’ait toujours pas été en mesure de conclure et d’agir neuf mois après avoir été saisie de ce cas.

Cette thèse, dirigée par Patrick Curran, avait  obtenu les félicitations accordées par un jury présidé par un membre toujours en exercice du Conseil d’administration de Paris 8 et ancien Vice-Président de l’université. Faut-il y voir la raison (note 1) pour laquelle ce dossier simple a tant de mal à aboutir ? On voit que l’alliance des conflits d’intérêts et du manque d’indépendance détermine pour une bonne part l’inefficacité de cette commission.

À l’occasion du Conseil d’administration du 5 mars 2010, le Président de l’Université Paris8 évoquait « la responsabilité des enseignants qui tolèrent le plagiat jusqu’au niveau doctoral ». Il estimait « qu’au cas par cas, le directeur de l’école doctorale, du laboratoire ou la vice-présidence du conseil scientifique doit exercer la plénitude de ses responsabilités. » Les conséquences de ces déclarations n’ont pas encore été tirées.

La Présidente de la Commission de déontologie a été officiellement saisie en juillet 2010 d’une troisième thèse, toujours produite au sein du Laboratoire Paragraphe. Cette thèse a été rédigée sous la direction de Patrick Curran et le rôle de Président de jury était tenu par Khaldoun Zreik. La Commission de déontologie de l’Université Paris 8 saura certainement cette fois-ci mettre en œuvre, dans un délai raisonnable,  tous les moyens et  les compétences nécessaires pour en assurer une analyse complète et sérieuse.

Cette dernière thèse, par ailleurs, pourrait prochainement faire l’objet d’une plainte en contrefaçon par un des plagiés, Jacques Bolo, qui y a reconnu de larges extraits du premier chapitre d’un de ses ouvrages, Philosophie contre Intelligence artificielle (note 2). Je présente brièvement dans quelles conditions nous avons rencontré cet auteur dans la note « Éditeur et libraire, le plagié se rebiffe…« . À la suite de cette note, le lien est fait avec le travail précis et éclairant de Jacques Bolo sur les plagiats dont il a été  la victime.

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Confidentialité, transparence et « discrétion professionnelle »

La confidentialité que la Commission de déontologie de l’Université Paris 8 impose concernant les cas de thèses-plagiats dont elle a été saisie  — confidentialité qui porte aussi bien sur le cours des procédures que sur leurs résultats et conclusions — est-elle légitime ?

Nous avons été conduit, particulièrement à la suite des menaces de procès à notre encontre par 3 de nos collègues cités dans ce blog et pour préparer notre défense, à demander à plusieurs occasions à la présidence du Conseil scientifique de l’Université Paris 8 un certain nombre d’informations relatives  aux activités et aux conclusions de la Commission de déontologie :

– La communication des noms des membres de la commission de déontologie et de ses experts nous a été refusée en juillet 2010 au prétexte que l’« anonymat évite les pressions ». Il convient cependant de relativiser cette exigence d’anonymat puisque les noms de sept des neuf membres de la commission correspondent à des fonctions précises (Vice-présidents des conseils centraux et Directeurs des écoles doctorales) et apparaissent donc en clair sur le site de l’université. Restent deux membres de la Commission et les experts. Ce sont donc eux que l’anonymat est censé protéger des pressions dont on craint qu’ils n’y résistent pas.

À cet égard, la pratique de la Commission de déontologie de Paris 8 est à l’opposé de celle du CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche). Le site du Ministère de l’enseignement supérieur ne voit pas d’inconvénient à mettre en ligne les noms et qualités de tous les membres de la Section disciplinaire du CNESER.

– Nous avons fait une demande officielle pour que nous soient communiquées  les copies des expertises de ces thèses-plagiats — requête amplement justifiée par la préparation de notre défense face aux décisions  annoncées par nos collègues  Gilles Bernard, Patrick Curran et Khaldoun Zreik de porter plainte  pour « diffamation dans l’exercice de leur fonction« . Il nous a été répondu ceci :

Malheureusement, quant aux pièces sollicitées, il ne m’est  pas permis de vous les communiquer en raison de l’obligation de discrétion professionnelle qui m’est imposée, comme à tout fonctionnaire, par l’article 26, alinéa 2, de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, selon lequel « Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d’accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l’autorité dont ils dépendent« . Les avis rendus par le conseil scientifique, siégeant en formation restreinte, comme les avis experts rendus sur des dossiers, en tant qu’ils portent une appréciation sur une personne physique nommément désignée, ne sont, en vertu de l’article 6-II de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978, communicables qu’à l’intéressé.

– À propos d’une demande pour connaître la composition complète du jury de soutenance d’une thèse dont les plagiats pouvaient aussi être un argument important pour notre défense, la vice-présidence du Conseil scientifique a soutenu la décision du responsable du bureau des diplômes de nous refuser accès à cette information, toujours au nom de la « discrétion professionnelle». Dans ce dernier cas, ce refus est d’autant plus abusif qu’il ignore les obligations concernant la présentation des thèses exposées dans le « Guide pour la rédaction et la présentation des thèses à l’usage des doctorants ». Ce guide, publié par le Ministère de l’Éducation nationale et le Ministère de la Recherche (2007), souligne au sujet de la page de titre de la thèse :

Elle doit obligatoirement comporter :

(…)

– les noms et prénoms du directeur de recherche. Dans le cas d’une thèse en cotutelle, les noms et prénoms des directeurs de recherche ;

(…)

– les noms et prénoms des membres du jury.

La thèse en question a été dirigée par un des trois  futurs plaignants et elle est riche en plagiats. L’exemplaire de cette thèse disponible à la Bibliothèque Universitaire ne porte, par négligence, pas mention des noms des membres du jury dont nous pensons qu’il peut inclure les autres plaignants annoncés.

Le prétexte de ce refus, « l’article 26, alinéa 2, de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 », est inconsistant. Cette attitude atteste surtout du choix assumé de la Commission de déontologie d’exercer ses fonctions dans la confidentialité, sans rendre public le détail et les attendus de ses conclusions concernant les thèses dont elle a été saisie, ni même ses conclusions et décisions.

À l’Université, une thèse se distingue  pourtant des autres travaux d’étudiants, mémoire de master par exemple, en tant qu’elle est un document public. La thèse est par nature destinée à être divulguée publiquement comme le précise le document du Ministère cité précédemment :

Le rayonnement de la recherche scientifique française et des établissements de soutenance tout comme les intérêts de carrière du nouveau docteur appellent à l’évidence à une valorisation optimale des thèses.

À ce titre, celles-ci doivent être :

– facilement repérées, c’est-à-dire signalées dans différents catalogues ou bases de données : catalogue de la bibliothèque de l’établissement de soutenance, le catalogue collectif de l’enseignement supérieur (Sudoc, http://www.sudoc.abes.fr) et des outils de signalement spécialisés.

– facilement accessibles, tant dans la bibliothèque de l’établissement de soutenance que sur l’internet ou encore par l’intermédiaire de reproductions ou produits dérivés.

Rappelons encore que c’est parce que la thèse est publique que la soutenance de la thèse l’est obligatoirement aussi et que la date, l’heure et le lieu de soutenance doivent être préalablement annoncés par voie d’affichage et le plus souvent aujourd’hui annoncés sur le site Internet de l’université.

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La Commission de déontologie, le CNESER, et le Tribunal de Grande Instance de Paris

Le caractère public des thèses impose donc qu’en cas de fraude, en l’occurrence de plagiat, leur traitement se conforme au respect des principes généraux en vigueur qui s’imposent pour le traitement de tous les documents divulgués publiquement. L’universitaire plagiaire doit pouvoir bénéficier des mêmes droits que tout citoyen plagiaire, mais aucune raison ne justifie qu’il bénéficie de faveurs ou de privilèges particuliers.

À ce titre, il est intéressant de comparer les traitements respectifs réservés à trois thèses-plagiats par trois instances de jugement différentes : deux instances universitaires — la Commission de déontologie associée aux instances de l’Université Paris 8 d’une part et le CNESER de l’autre  —  et la 3e chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris qui a  rendu, le 9 mars 2010, un jugement aujourd’hui définitif concernant une thèse-plagiat préparée à l’Université de Liège (Belgique) par un universitaire français, plagiaire d’une thèse soutenue à Nanterre (voir note 3).

Soulignons d’abord que la tenue de ce procès devant le Tribunal de Grande Instance de Paris pour « contrefaçon » (l’expression juridique du délit de plagiat) est la meilleure preuve du caractère public d’une thèse sans quoi ce procès n’aurait pas eu d’objet. La contrefaçon ne peut en effet être constatée en l’absence d’une divulgation publique.

Qui plus est, ce procès en contrefaçon s’est exercé contre une thèse, « Le dénudement de la peinture : La recherche de la liberté dans l’œuvre de Marcel Duchamp », qui n’avait pas même encore été soutenue. Il a suffi qu’un exemplaire de la thèse ait été remis aux rapporteurs de pré-soutenance pour qu’il puisse être considéré par les juges que sa « divulgation publique » était acquise.

Si une thèse est publique dès lors qu’elle a seulement été remise aux rapporteurs de pré-soutenance, comment ne le serait-elle pas, après avoir été soutenue et mise à la disposition de tous par la voie du site Internet d’une bibliothèque universitaire ?

Devant l’institution judiciaire, l’accusé comme le plaignant ont droit au secret de l’instruction; mais dès le stade de la plainte, ni le nom du plaignant, ni celui du  mis en examen ne sont plus confidentiels. Les audiences d’un procès sont publiques; y sont présentées les preuves, les expertises et sont échangés les demandes, arguments  et prétentions des parties. Les experts ne sont pas anonymes. La publicité des débats est considérée comme la première condition d’un exercice impartial de la justice. Le procès se conclut par un jugement qui est lui aussi public. Pour assurer une meilleure publicité du jugement que nous évoquons, les juges ont ordonné la publication dans deux journaux ou revues au choix du plagié et  aux frais du plagiaire, dans la limite de 4.000 Euros HT par insertion, de l’extrait suivant (Les noms des parties, ci-dessous anonymisés pour respecter les recommandations de la CNIL sur la  diffusion des jugements par Internet, apparaîtront en clair dans les journaux) :

« Par jugement en date du 9 mars 2010, Monsieur Geoffrey M. a été condamné pour contrefaçon de la thèse de M Philippe C. intitulée « Les Ménines en vitesse : la mise à nu de la peinture comme critique du « temps social » dans l’œuvre de Marcel DUCHAMP ».

Dans la version publiée sur le site du Ministère des décisions du CNESER concernant l’auteur d’une thèse-plagiat, si le nom du plagiaire a été anonymisé, ceux des experts, les rapporteurs de pré-soutenance, comme ceux des membres de la Section disciplinaire apparaissent en clair.

En terme de transparence, la pratique de la Commission de déontologie de Paris 8 tranche d’autant plus avec celle du TGIP, mais aussi avec celle du CNESER, que dans le cas des  thèses traitées actuellement à Paris 8, il s’agit de thèses soutenues (félicitations et mention très honorable)  que l’université divulgue (versions papier à la BU et fichier numérique en accès libre depuis le site de l’Université pour l’une d’entre elles). Alors que dans les cas traités respectivement par le TGIP (thèse d’Esthétique-Philosophie, à Liège) et le CNESER (Histoire, Toulouse) il s’agissait de thèses dont la diffusion publique s’était limitée à leur remise aux rapporteurs de pré-soutenance.

L’opacité qui caractérise les pratiques de la Commission de déontologie de l’Universitée Paris 8 n’a aucune justification. Elle n’a qu’un effet : susciter la suspicion.

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Le souci des plagiaires et l’oubli des plagiés

Au-delà des arguments déjà avancés, un autre, fondamental, autorise à contester la politique de secret de la Commission de déontologie de l’Université Paris 8. Reprenons la fin de la réponse de la vice-présidence du Conseil scientifique à notre demande de communication du résultat des expertises  par la Commission de déontologie des deux thèses dont elle avait été saisie :

(…) Les avis rendus par le conseil scientifique, siégeant en formation restreinte, comme les avis experts rendus sur des dossiers, en tant qu’ils portent une appréciation sur une personne physique nommément désignée, ne sont, en vertu de l’article 6-II de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, communicables qu’à l’intéressé (souligné par nous).

Ce que veut ignorer la Commission de déontologie est que « l‘intéressé » est pluriel. Une thèse-plagiat n’implique pas seulement l’auteur plagiaire, son directeur de thèse et à des degrés divers les membres du jury, selon qu’ils sont président, rapporteur ou simple examinateur; mais aussi la direction du laboratoire et de l’École doctorale. Une thèse-plagiat implique d’abord qu’il y ait des plagiés et intéresse donc ces plagiés.

Le caractère public des thèses donne aux plagiés des droits : notamment celui qui est  accordé à tous les citoyens de choisir de poursuivre, ou ne pas poursuivre, ses plagiaires en contrefaçon. Ces droits sont à l’évidence ignorés par les procédures confidentielles de traitement des thèses-plagiats par la Commission de déontologie de Paris 8.

Le droit du plagié est d’abord qu’il soit reconnu comme « intéressé » et que lui soient communiqués les résultats qui le concernent des expertises de la thèse dans laquelle il est plagié. Comme l’illustre le procès devant la troisième Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, s’il y a plagiat dans un document public, alors le plagié est en droit de porter plainte et de demander réparation pour la contrefaçon dont il est la victime. Et s’il apporte les preuves que sa plainte est fondée, il gagne son procès.

Notons que dans le cas  liégeois, c’est précisément le Directeur de thèse du plagiaire qui a eu l’initiative de suspendre la soutenance et de prendre contact avec le plagié par l’intermédiaire de son propre directeur de thèse de l’Université de Nanterre. Et c’est parce qu’on lui a communiqué la thèse litigieuse que Philippe Coudraud a pu relever et prouver tous les plagiats, ce qui a eu pour conséquence l’ajournement définitif de la soutenance, puis l’exercice de son  droit  à porter plainte contre son plagiaire et à demander réparation.

Par ses pratiques du secret, il tombe sous le sens que la Commission de déontologie de l’Université Paris 8 prive les plagiés de la possibilité d’exercer leurs droits à porter plainte pour contrefaçon. Autrement dit : le privilège de confidentialité accordé aux plagiaires par la Commission de déontologie de Paris 8, sous prétexte du respect de la « discrétion professionnelle », s’exerce au détriment du respect des droits des plagiés.

Il est paradoxal que ce soit à l’université, où en règle générale les universitaires se battent pour être publiés, cités, voir leurs noms affichés avec leurs travaux, que des doctorants et  universitaires plagiaires se voient  accorder un privilège d’anonymat. Cet anonymat des plagiaires et la confidentialité des expertises sont d’autant plus contestables qu’ils ont pour corollaire l’anonymat des victimes, les plagiés. Cet anonymat des plagiaires les met ainsi à l’abri des poursuites que leurs victimes pourraient légitimement choisir d’engager devant une instance de jugement indépendante sous forme d’une plainte en contrefaçon déposée auprès d’un tribunal. Comme le souligne Joël Moret-Bailly et Didier Truchet dans leur ouvrage « Déontologie des juristes » (note 4) qui s’adresse aux étudiants en droit :

La sanction du plagiat, volontaire ou involontaire, est terrible. Elle est d’abord pénale puisque que la contrefaçon est un délit prévu et puni par les articles L. 335-1 et S. CPI. Elle est aussi civile : destruction de l’ouvrage, indemnisation de l’auteur plagié et de son éditeur.

Cette politique de l’anonymat qui concerne cette catégorie très particulière de travaux universitaires, si elle est choquante, n’est pas surprenante.  C’est à la fois le résultat des conflits d’intérêts et du corporatisme qui traversent la Commission de déontologie et les instances universitaires. Il est indiscutable que l’Université en tant qu’institution, ici celle de Paris 8, a sa part de responsabilité dans la production en son sein de thèses-plagiats (fautes éventuelles, ou pour le moins attention insuffisante aux problèmes du plagiat, du directeur de recherche, des membres du jury, de la direction du Laboratoire, de la direction de l’École doctorale et du Conseil scientifique…). Par l’intermédiaire des Bibliothèques universitaires, l’université a aussi une responsabilité dans la divulgation publique de ces plagiats, c’est à dire des textes contrefaits qui appartiennent aux plagiés et que la BU divulgue sous le nom des plagiaires. Une forme de responsabilité des universités vis-à-vis des plagiés, au moins morale, est donc engagée. On comprend que l’université n’a aucun intérêt à favoriser la poursuite des plagiaires devant des instances juridiques dont les débats et les conclusions sont publics. Laisser les plagiés dans l’ignorance des plagiats, et donc dans l’impossibilité de faire valoir leurs droits, est le moyen le plus efficace d’éviter la publicité de ces affaires dont la réputation de l’université pourrait pâtir.  L’Université de Picardie Jules Verne (Faculté des Arts d’Amiens) n’a pas agi autrement vis-à-vis des plagiés que celle de Paris 8 (cf. « Le cas d’Amiens… », en ligne sur ce blog). Ces deux universités n’ont ni cherché à connaître l’ensemble des plagiats des thèses qui leur ont été soumises, ni souhaité informer les plagiés victimes des auteurs plagiaires de ces thèses.

La non-dénonciation, ou dissimulation de fraude a pour effet de priver les plagiés de l’exercice de leurs droits à exiger réparation des plagiaires mais aussi  à demander éventuellement des comptes à l’institution qui a laissé faire. L’article « Thèse-plagiat : le sixième juré et les félicitations » mis en ligne sur ce blog simultanément à celui-ci, évoque un cas de thèse-plagiat où la responsabilité du plagiaire n’est d’évidence pas la seule à être en cause.

Certains estimeront qu’un recours du plagié contre l’université est hors de propos ou excessif. Notons cependant que dans les cas de plagiats (contrefaçons) dans le monde de l’édition, l’éditeur de l’ouvrage dans lequel figurent les plagiats est poursuivi au même titre que l’auteur des plagiats. Dans la plupart des cas, l’éditeur du plagiat  a été abusé par son auteur et ignore le plagiat. Mais cela ne l’empêche pas de devoir rendre des comptes au plagié. Personne ne contestera le fait que le directeur de thèse, les membres du jury de soutenance, le laboratoire au sein duquel la thèse a été rédigée et son école doctorale jouent bien, à un  certain titre, le  rôle « d’éditeur » de la thèse. C’est toute la chaîne de l’édition, du Comité de lecture qui décide de la publication à la diffusion à travers le réseau des librairies, qui a une sorte d’équivalent à l’université, des rapporteurs de pré-soutenance à la diffusion par le réseau des bibliothèques universitaires et aujourd’hui par les  sites universitaires sur Internet.

Au contraire des cas d’Amiens et de Paris 8, dans les deux thèses-plagiats belge et toulousaine ce sont la perspicacité et les décisions des rapporteurs et du directeur de jury qui ont permis une issue rapide et honorable au problème :  ajournement de la soutenance, événement auquel ont succédé une procédure disciplinaire dans un cas, et une procédure juridique propre à satisfaire et à dédommager le plagié dans l’autre.

Des situations peuvent rendre problématique le recours à l’instance judiciaire. Dans le cas des thèses composées par l’assemblage de plagiats multiples, l’importance relativement modeste des emprunts à chacun des plagiés peut ne pas justifier le lancement d’une procédure judiciaire de la part de l’un d’entre eux. Dans ce cas,  il reste cependant légitime et indispensable de donner acte aux plagiés des plagiats dont ils ont été les victimes. Cela peut leur éviter que l’on vienne un jour leur reprocher d’avoir plagié… leur plagiaire.

Chaque cas de thèse-plagiat est un cas particulier. L’important nous paraît être que même une fois atteint le seuil de plagiats qui déclenche la procédure d’annulation, l’analyse du document soit achevée dans sa totalité pour pouvoir en informer l’ensemble des plagiés et leur laisser la liberté du choix de leurs réactions en la matière.

L’université Paris 8 a accordé la « protection fonctionnelle » à Patrick Curran, Gilles Bernard et Khaldoun Zreik décidés à déposer plainte en diffamation contre nous parce que  nous les citions sur ce blog. Cela signifie que l’Université prendrait en charge leurs frais d’avocats s’ils persistaient dans  cette décision, dont on peut penser par ailleurs qu’elle ne leur apporterait qu’une publicité intempestive. Cette « protection fonctionnelle », due au fonctionnaire mis en cause dans l’exercice de sa fonction, indépendamment de la manière dont il l’a assurée, obéit à un principe parfaitement légitime. Mais si la « protection fonctionnelle », réservée aux fonctionnaires,  ne saurait être invoquée au profit des plagiés, ne serait-il cependant pas légitime que l’université prenne aussi en charge les frais d’avocats d’un plagié fondé à déposer plainte en contrefaçon contre un plagiaire que l’Université aurait laissé plagier ? C’est d’autant plus le cas si le plagiat est validé par l’institution universitaire à travers la délivrance d’un diplôme de Docteur accompagné de félicitations. Dans ce cas, l’inattention d’universitaires et de l’Université aux plagiats est alors particulièrement patente.

À l’occasion d’un échange lié au séminaire « Le plagiat de la recherche », on nous a signalé le cas suivant : en 2003, à propos d’une affaire qui opposait un plaignant à l’Université de Bourgogne (il soutenait avoir été plagié par des doctorants de cette université, mais le jugement ne retiendra pas les preuves avancées), la Cour administrative d’appel de Lyon, précisait (n° 98LY00338) :

« (…) que si l’Université ne saurait être déclarée responsable des atteintes au droit moral d’auteur auxquelles des étudiants se livreraient dans leurs travaux réalisés sous la responsabilité et la direction des enseignants, il en va autrement lorsque de tels agissements ont été favorisés ou, s’ils sont notoires, tolérés par l’établissement. »

Faut-il conclure de cette remarque qu’elle implique qu’il en serait pour les enseignants comme pour l’université : si les enseignants (directeur de thèse, membres du jury, etc) ont, par leurs « agissements », toléré ou favorisé les plagiats, alors le plagié pourrait se retourner non seulement contre le plagiaire (en contrefaçon) mais aussi, pour « atteinte au droit moral » contre les enseignants précis qui auraient favorisé ou couvert le plagiat ? Tout porte à croire que le cas traité dans l’article « Thèse-plagiat : le sixième juré et les félicitations » correspond à ce cas de figure.

En 2005, toujours à propos de la même affaire, le Conseil d’État déboutait à nouveau le plaignant, mais sans pour autant contester la pertinence de la remarque incidente précédemment citée.

*

L’abandon des non-plagiaires

Après s’être intéressé aux plagiaires et aux plagiés, il faut se pencher sur le sort des non-plagiaires. Les non-plagiaires ont des droits : celui de ne pas être confondus avec les plagiaires et aussi celui, subséquent, de ne pas devoir pâtir de l’opprobre porté aux plagiaires.

Le problème est que la tolérance aux plagiats enferme les non-plagiaires dans un dilemme entre le choix du silence contraint et celui de dénoncer la situation au risque d’en être  les victimes collatérales.

Nous avons déjà avancé sur ce blog (cf. Les pieds dans le plagiat) l’estimation selon laquelle environ 50% des thèses préparées ces dernières années au sein du Laboratoire Paragraphe comportaient des plagiats significatifs. Nous avons insisté sur la qualité d’autres thèses soutenues dans ce même Laboratoire où il a existé, et existe sans doute encore, des équipes de recherche en mesure d’encadrer de vraies thèses.

Il ne fait aucun doute que des auteurs de bonnes thèses  rédigées au sein du Laboratoire Paragraphe vont souffrir de la réputation qui accompagne aujourd’hui ce laboratoire à la suite de la découverte des thèses-plagiats passées en contrebande. La seule façon pour les docteurs non-plagiaires de sortir de cette situation serait que la Commission de déontologie de l’Université Paris 8, au lieu d’attendre d’être saisie cas par cas, prenne rapidement l’initiative de faire évaluer toutes les thèses soutenues dans les années antérieures et procède au tri rigoureux des vraies et fausses thèses, celle des plagiaires et celle des non-plagiaires. Mais la commission semble aujourd’hui plutôt encline à faire traîner les quelques dossiers dont elle est saisie et laisser livrés à leur sort les auteurs d’excellentes thèses.

De manière générale, les non-plagiaires ont des droits : celui de ne pas pâtir de l’activité des plagiaires; le droit, s’ils sont candidats à des postes dans l’Enseignement supérieur, que leur travaux ne soient pas mis à en concurrence avec des travaux de plagiaires, le droit d’être évaluées par des membres de comités de sélection non-plagiaires, et au-dessus de tout soupçon de tolérance ou penchant au plagiat (voir l’article Comités de sélection…).

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Conclusion :

Les plagiés ont des droits, les non-plagiaires aussi. Nous avons vu comment  le choix d’un excès de confidentialité de la Commission de déontologie et du Conseil scientifique de l’Université Paris 8 avait pour conséquences de priver les plagiés  d’exercer leurs droits contre les plagiaires et portait aussi atteinte aux intérêts des non-plagiaires.

Le soutien aux plagiés et aux non-plagiaires, quand il s’agit de thèses de doctorat, pourrait être au centre de nouveaux dispositifs mis en œuvre pour lutter contre le plagiat dans les travaux universitaires. On pourrait définir les conditions de mise en cause, par les plagiés, non seulement des plagiaires mais aussi des Universités dans le cas d’inattention caractérisée, ou pire, de tolérance ou même de complicité vis-à-vis du plagiat.

On ne saurait cependant se satisfaire de proposer comme seule solution radicale aux problèmes du plagiat à l’université, des facilités offertes aux plagiés pour porter devant les tribunaux les affaires de contrefaçon. Dans les attendus concernant l’affaire Liège-Nanterre-Liège, les juges refusent  de se substituer aux autorités académiques  et incitent les instances de l’Université catholique de Lille et  celles de l’Université de Nanterre à assumer les responsabilités qui leurs sont propres. Dans le cas de l’Université de Liège, les sanctions  — report définitif de la soutenance et exclusion du doctorant de l’université ont été décidées bien avant le procès devant le TGIP. La plainte et le procès en contrefaçon permettent seulement de réparer les dommages causés au plagiés. Un accord à l’amiable, après la plainte ou même sans qu’il y ait eu dépôt de plainte, peut être trouvé entre plagiaire et plagié sans même que les autorités académiques en aient été informées. Mais cet accord à l’amiable ne saurait en aucun cas dispenser les  autorités académiques d’agir pour tout ce qui les concerne.

Pour les plagiés, la solution du procès en contrefaçon est toujours lourde à mettre en œuvre. Elle ne s’impose aujourd’hui que parce que l’Université ne propose  aucune procédure alternative interne à l’Université qui garantisse à chacune des parties le respects de ses droits : aux plagiaires, le droit de bénéficier des moyens de défense auxquels il a droit comme tout un chacun,  et à tous les plagiés, le droit d’être reconnus en tant que tels, d’être rétablis dans leurs droits moraux d’auteurs et d’être dédommagés aussi bien symboliquement que concrètement par des instances qui offrent une garantie d’équité et d’indépendance.

Michelle Bergadaa voit dans « le vide juridique en matière de traitement du plagiat au niveau du droit pénal », les raisons pour lesquelles les « dirigeants d’établissements (universitaires) francophones agissent en toute autonomie, selon des considérations parfois conjoncturelles et/ou personnelles« . Mais elle conclut : « En cette époque de mutation des technologies et de la communication, prétendre que ces manquements ne relèvent que du droit civil et que le plagiat se traite en terme de « contrefaçon » est lacunaire, si ce n’est suicidaire. » (cf. lettre n° 35 du site « Internet: Fraude et déontologie… »).

Dans un commentaire (note 5) d’un récent arrêt de la Cour de cassation traitant de deux thèses-plagiats, Plagier une thèse de droit privé n’est pas seulement une affaire privée, le Professeur Guglielmi (CERCA, Paris 2) souligne la singularité du plagiat de thèses et de la recherche et l’inadaptation du procès en contrefaçon pour y répondre au mieux.

Les participants au séminaire « Le plagiat de la recherche« , qui ce tient cette année et devrait se conclure en octobre 2011 avec la tenue d’un colloque international, s’attacheront notamment à définir les caractères singuliers du plagiat à l’Université, à étudier les contextes où il s’épanouit et à proposer des réponses nouvelles,  juridiques, internes et externes à l’université, qui pourraient aider à mieux combattre ce fléau.

Jean-Noël Darde

MC – Université Paris 8

(1)  Il est très peu probable que la Commission de déontologie, qui a ce dossier en main depuis près de dix mois, ignore les faits et anomalies liés à la soutenance de cette thèse (faits exposés sur ce blog dans l’article Thèse-plagiat : le sixième juré et les félicitations). Ceci rend d’autant plus étonnante (ou peut-être l’explique-t-elle) la lenteur avec lequel ce cas de thèse-plagiat est traité.

(2) BOLO, Jacques. 1996. Philosophie contre Intelligence artificielle. ed. Lingua Franca, Paris, 376 p., ISBN : 2-912059-00-3.

(3) Cet enseignant de l’Université catholique de Lille a été nommé directeur de l’École supérieure d’art de Cambrai (cf. Mediapart du 4 octobre 2010) par le Maire de cette ville, François-Xavier Villain, moins d’un mois après sa condamnation en contrefaçon par le Tribunal de grande instance de Paris (mars 2010) pour sa thèse-plagiat sur Marcel Duchamp.

L’école supérieure d’art de Cambrai est sous la tutelle du Ministère de la Culture. S’il est probable que le Ministère ne connaissait  pas au moment de sa nomination le profil plagiaire de ce Directeur, il l’a confirmé dans son poste une fois qu’il l’a su. Deux mois après cette nomination, et aux prétexte de changement d’orientation pédagogique, 3 enseignants de cet établissement ont été licenciés.

Des rumeurs, qui se sont révélées fausses, ont couru dans le Nord que le Ministre de la culture souhaitait que, sous la direction de ce Directeur contrefacteur, l’École supérieure d’art de Cambrai se spécialise dans la formation de peintres copistes et artistes faussaires pour fournir les succursales du Louvre à l’étranger et les nouveaux marchés de l’art des pays émergents. Dans cette perspective, l’École d’art de Cambrai devait déménager d’ici 2012 dans de nouveaux bâtiments mieux adaptés à ce projet ambitieux.

Suite à la publicité donnée à cette affaire le 4 octobre 2010 par le journal en ligne Mediapart, le député-maire de Cambrai s’est résolu à accepter la démission que Geoffrey Martinache lui « a remise de lui même ». Cet enseignant-chercheur devra se cantonner à diriger la formation (licence et master) « Art du Spectacle » de l’Université catholique de Lille et à y diriger la préparation des étudiants au concours d’entrée au CELSA.

(Cette note n°3 a été à nouveau modifiée le 8 novembre 2010 en conséquence d’un nouveau mail de l’avocat de M. Geoffrey Martinache. Nous offrons naturellement à M. Geoffrey Martinache, puisqu’il est cité dans cette note n° 3, la possibilité de publier un droit de réponse sur ce blog).

(4) MORET-BAILLY Joël et TRUCHET Didier. 2010. Déontologie des juristes. PUF, Paris. 264 p.

(5) GUGLIELMI, Gilles. 2010. Plagier une thèse de droit privé n’est pas seulement une affaire privée (à propos de Cass. Crim. 15 juin 2010, N° 09-84034). [En ligne] sur le site du professeur Guglielmi à l’adresse http://www.guglielmi.fr/spip.php?article246. (L’ensemble de cette affaire, évoquée dans l’introduction à la rubrique « Les plagiés réagissent » fera prochainement l’objet d’un dossier complet mis en ligne sur Archéologie du « copier-coller »).

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1 réponse to “* La Commission de déontologie, la déontologie et la « discrétion professionnelle »”

  1. L’affaire de Cambrai est l’effet secondaire de l’injonction ministérielle récente qui impose aux écoles de recruter des docteurs à la pelle, car l’Aeres évalue à présent quelles formations sont « supérieures » et quelles formations n’auront plus droit à ce label.
    Le diplôme national supérieur d’expression plastique sera de grade Master, au terme des mutations en cours.
    Les jurys de diplôme devront contenir des docteurs, dont un interne à l’école, alors il y a en ce moment des recrutements très surprenants, sur cette base, des universitaires très éloignés des écoles d’art (monde très différent de l’université) qui sont subitement embauchés, des profs qui de leur côté se lancent dans des thèses ou les reprennent,… Et puis, sans doute, des affaires aussi navrantes que celle du jeune Geoffrey M. (même pas trente ans, si j’ai bien compris)…
    Jean-Noël Lafargue,
    Écoles d’art du Havre et de Rennes
    http://www.hyperbate.com/dernier/

     

    Jean-Noël Lafargue