* Thèse-plagiat : le sixième juré et les félicitations

Posté par Jean-Noël Darde

Ce court texte met en évidence, à travers le cas d’une thèse-plagiat, en l’occurrence celle de Sang Ha Suh, la responsabilité des enseignants et de l’Université dans la délivrance des félicitations à une thèse qui se réduit pour l’essentiel à un patchwork maladroit de « copier-coller ».

Patrick Curran et Gilles Bernard(*), respectivement directeur de cette thèse et président du jury de soutenance, sont deux des trois collègues, qui pour avoir été cités sur ce blog, ont formellement annoncé au Conseil d’administration de l’Université Paris 8 leur décision de porter plainte à notre encontre pour « diffamation dans l’exercice de leur fonction ».

Les lecteurs de ce blog ont déjà pris connaissance de certains aspects très particuliers de la soutenance, le 10 juillet 2006, de cette thèse intitulée « Genèse et actualisation hypermédiatique de schémas d’architecture à partir d’un hypercube ».

Pour mémoire, cette thèse qui obtiendra les félicitations du jury a été soutenue moins de deux mois après que le Directeur de thèse, Patrick Curran, et le Directeur du Laboratoire Paragraphe et Directeur-adjoint de l’école doctorale Cognition, Langage, Interaction / CLI, Imad Saleh, aient été avertis que le doctorant en question s’était inscrit en thèse sur la base d’un mémoire de DEA plagié à presque 100%. Ce mémoire avait été dirigé par P. Curran.  D’autres détails ont été présentés dans des textes mis en ligne précédemment sur ce blog :  « Les pieds dans le plagiat », « Février 2006 : bilan de l’analyse de 30 mémoires de DEA » et « Une réunion pour rien ». Notons que concernant cette thèse,  son auteur, Sang Ha Suh a réutilisé des « copier-coller » et des plagiats déjà exploités dans son mémoire de DEA…

Intéresserons-nous à la composition du jury de soutenance.  Nous étudierons le profil plagiaire de « l’auteur », si on ose dire, de cette thèse dans un article futur (nous laissons à la Commission de déontologie de l’Université Paris 8 l’initiative des premières conclusions à cet égard. Elle a été saisie début 2010 de ce cas, mais les résultats de son expertise se font attendre).

La composition du jury de soutenance est signalée en page de garde sous la forme suivante sur chacun des exemplaires de la thèse de S.H.S. disponibles à la bibliothèque universitaire de Paris 8 :

La Composition du Jury :

Gilles BERNARD ( président ; PR à l’université Paris 8 )

Patrick CURRAN ( directeur/rapporteur ; MCF-HDR à l’Université Paris 8 )

Guy CHAPOUILLIE (rapporteur ; PR à Toulouse le Mirail)

François GUENA (rapporteur ; HDR à UPAE La Vilette)

Jacques RUBENACH (examinateur ; MCF-HDR à l’université Paris 13)

Bernard RIGNAULT (examinateur ; à MAE)

On remarquera en premier lieu le nombre de rapporteurs — trois — pour la soutenance d’une  thèse qui n’en mobilise le plus souvent que deux. En second lieu, le fait que le directeur de la thèse, Patrick Curran, cumule cette dernière  fonction avec celle de rapporteur. Un cas de figure qui est, en juillet 2006, contre les usages et la déontologie universitaire et sera par ailleurs spécifiquement interdit  quelques semaines plus tard par l’Arrêté du 7 août 2006 « relatif à la formation doctorale ».

Sachant que le compte-rendu de soutenance fait état d’un jury formé de cinq membres, et non de six comme spécifié en page de garde de la thèse (voir ci-dessus), une question s’impose : où est passé le 6e juré ?

Le rapport de soutenance fait état de l’absence lors de la soutenance de François. Guéna, présenté comme « excusé ». Il n’y aurait ici rien de très exceptionnel, si ce n’est que F. Guéna, bien que désigné comme rapporteur de cette thèse et ayant accompli la tâche qui lui incombait, n’a jamais reçu de convocation pour participer à cette soutenance… et n’a par suite aucune raison ni de s’excuser, ni d’être « excusé ».

Notons la réaction de F. Guéna  (février 2010) :

« Je n’ai pas le souvenir d’avoir fait partie du jury et d’avoir assisté à cette soutenance.

Il me semble que je n’ai jamais été convoqué à cette soutenance.

Je n’ai jamais eu de nouvelles depuis. J’ai donc pensé que la soutenance n’avait pas eu lieu et que l’autre rapport était encore pire que le mien ».

Selon toute vraisemblance, c’est Patrick Curran, collègue et associé de François Guéna  dans un diplôme de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette, qui a eu l’initiative de le désigner rapporteur. Mais Gilles Bernard, en tant que Président du jury, se devait de recevoir et lire le rapport de François Guéna. Il avait d’autre part la charge de vérifier que  toutes les convocations à la soutenance avaient été bien envoyées et reçues, particulièrement celles des rapporteurs. Ajoutons encore que selon les directives et arrêtés du Ministère, la direction de l’École doctorale (ici l’ED Cognition, langage, interaction / CLI) doit superviser au cours de tout ce processus le respect des règles en la matière.

Nous avons eu connaissance du rapport de pré-soutenance, assez bref, signé par F. Guéna le 1 juillet 2006. Ces paragraphes s’y succèdent :

« L’introduction est énigmatique et ne permet pas au lecteur de comprendre la problématique de la thèse.

La thèse comporte plusieurs parties structurées en sous thèmes généralement intéressants mais souvent sans transition dont seul l’auteur peut comprendre la liaison. Ceci donne un caractère très décousu et rend la lecture de la thèse difficile.

Le discours est construit sur la base d’éléments empreints à des domaines très variés : philosophie, informatique, littérature, histoire, architecture, urbanisme etc. Par conséquent, l’auteur s’aventure dans différentes directions intéressantes et pertinentes mais sans jamais rien approfondir.

L’auteur émet souvent des bonnes questions mais le lecteur cherche les réponses en vain.

La conclusion est aussi énigmatique que l’introduction ».

Suivait une conclusion plus convenue, quoique prudente, susceptible de sauvegarder des relations courtoises avec le Directeur de thèse :

Cependant, il est flagrant que le travail réalisé est conséquent et mérite d’être soutenu. La soutenance orale permettra sans doute de nous éclairer sur la problématique et les résultats proposés par cette thèse.

Si rien n’indique dans ce texte, sans nul doute communiqué à Gilles Bernard, Président du jury, que François Guéna se soit rendu compte que les plagiats serviles constituaient l’essentiel de cette thèse, il n’en reste pas moins que le rapporteur fait des remarques pertinentes et dresse en creux le portrait des thèses-plagiats rédigées par des plagiaires peu habiles : problématique de la thèse incompréhensible, « énigmatique »; parties « sans transition »; thèse dont le « caractère décousu » rend la « lecture difficile », etc.

À l’évidence, la présence de ce rapporteur risquait de gâcher la fête. Patrick Curran, le Directeur de la thèse de Sang Ha Suh. et Gille Bernard, le Président du jury, ont préféré le laisser ignorant de la date de soutenance. Ne s’y sont retrouvés que des jurés prêts à accorder à l’aveugle les félicitations pour cette thèse-plagiat « énigmatique » selon le propre terme du rapporteur oublié, égaré, ou écarté…

Les plagiats étaient cousus de fils blancs, l’énigme de la thèse « énigmatique » est aujourd’hui résolue.

Il reste, liée à cette thèse, une autre énigme qui n’a pas été résolue. Elle avait déjà été posée (cf.  « Comités de.. ») en mai dernier. Les instances de l’Université Paris 8 (Présidence, Conseil scientifique, Conseil d’administration) ont été saisies à la  fin du mois de janvier et au début du mois de février 2010 du cas de cette thèse-plagiat à laquelle un jury présidé par Gilles Bernard avait accordé les félicitations.

Comment a-t-il pu se faire qu’une majorité des membres du Conseil scientifique associée à une majorité des membres du Conseil d’administration, puissent choisir en mars 2010, sans que cette décision soit contestée par la présidence de Paris 8, le président du jury de cette thèse-plagiat pour siéger dans un Comité de sélection (Comité de sélection de la 27e section, informatique, pour le recrutement sur un poste de professeur — dossier n° 900) ? Autrement dit, pour  lui confier l’évaluation des travaux des candidats à un poste de professeur au Département d’informatique de l’Université Paris 8 (cf.  Comités de sélection, plagiat et les mystères de Paris 8).

Cette seconde énigme attend toujours sa réponse.

(*) Gilles Bernard, actuellement membre du Conseil d’administration, a été Vice-Président de l’Université Paris 8 en 2008 et 2009.

* * *

twitter.com/ArcheoCopCol

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1 réponse to “* Thèse-plagiat : le sixième juré et les félicitations”

  1. D’Abdelkader BENARAB, chercheur en littérature comparée, Paris/Alger :

    PLAGIAT CONTRE « COPIER-COLLER »

    Dans certains pays francophones, nous n’avons pas la même conception du plagiat qu’en France.
    L’université algérienne qui atteint, ces 15 dernières années, des drames paroxystiques en matière d’obscurantisme universitaire, produit des Docteurs Honoris Plagiat, qui ne s’encombrent guère des délicatesses rédactionnelles des travaux de thèses (foutaises!) puisque les copieurs-colleurs abondent et prospèrent.

    Il faut néanmoins distinguer deux niveaux d’analyse dans cette entreprise frauduleusement correcte.
    1) Le copié-collé assurant par anticipation au candidat l’obtention du diplôme, est dirigé lui-même par un plagieur ès qualités (sauf de rares partenariats franco-algériens).
    2) Le plagiat, par opposition au copié-collé, devient une entreprise de création, de refléxion et d’inspiration au vu des pillages au grand jour et sans scrupules des thésards copieurs-colleurs.

    A ce stade, plagier peut-être considéré comme une activité loin d’être dévalorisée et malhonnête, comme en Europe, elle est travail sur le style, les tournures, le lexique.
    Le plagiat est une réecriture, un arrangement, un erzatz pur, non frelaté, maquillé certes artificieusement, pour être notre propriété, détachée de sa matrice première, méconnaissable d’ailleurs.
    La thèse elle même devient circonlocution et détours pour dire ce qui a été déjà dit mais sans le dire. Flaubert disait quelque part que la littérature était combinaison et arrangement de mots et de phrases glanés ça et là.
    Tout est relatif.
    La culture c’est comme la monnaie, celle qui est convertible soutient l’économie et apporte la prospérité, celle qui ne l’est pas suit l’écroulement du système.

    Abdelkader BENARAB
    http://www.alfabarre.com/

     

    A. Benarab