Quand l’éthique vient au secours du plagiat

Posté par Jean-Noël Darde

Pour ceux qui n’ont pas accès à Mediapart (http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/190514/quand-lethique-vient-au-secours-du-plagiat-universitaire) :

Médiapart : Pour Jean-Noël Darde, ancien maître de conférences, l’organisation par l’Université Paris-8 d’un colloque sur l’approche éthique du plagiat le 20 mai n’est rien d’autre qu’une manipulation : sa direction et son conseil scientifique ont protégé des plagiaires avérés et continuent à le faire, dénonce-t-il. Il appelle Benoît Hamon à saisir l’inspection générale.


L’université Paris-8, qui a toujours su protéger ses enseignants-plagiaires, lance demain une exceptionnelle opération « éthique du plagiat » en leur faveur. C’est en effet la seule interprétation sérieuse que l’on peut donner à la tenue le 20 mai, dans les nouveaux locaux des Archives de France, du colloque intitulé Approche éthique du plagiat : regards croisés.

Qu’on en juge :

Comme le précise le programme de ce colloque, il est co-organisé par le Comité d’éthique de l’université Paris-8 et les directeurs d’écoles doctorales.

Ce que ne dit pas ce programme est que Michèle Montreuil, initiatrice de ce colloque, présidente du Comité d’éthique de Paris-8, membre du Conseil scientifique de cette université, membre du Conseil national des universités (section psychologie) est aussi… directrice adjointe de l’école doctorale Cognition Langage Interaction (CLI), dont le directeur qu’elle a élu, Imad Saleh – co-organisateur de ce colloque –, est un plagiaire avéré.

Cet enseignant-plagiaire, Imad Saleh, est assez fier de ses plagiats pour les faire figurer sur sa fiche du site internet de la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU). Il est protégé depuis des années par la direction de Paris-8 et le Conseil national des universités dont il est membre (section Sciences de l’information et de la communication). Je l’ai à plusieurs reprises démontré, des documents irréfutables à l’appui, sur le blog Archéologie du copier-coller et je mets au défi quiconque de contester les plagiats grossiers d’Imad Saleh que j’ai présentés.

C’est à l’insistance d’Alain Quemin – professeur de sociologie à l’université Paris-8 (Institut d’études européennes), membre du conseil scientifique, membre honoraire de l’Institut universitaire de France – que l’on doit la création du Comité d’éthique de Paris-8 à la fin de l’année 2012. Dans l’esprit d’Alain Quemin, le comité d’éthique devait d’abord se prononcer sur les nombreux dossiers de plagiats en souffrance à Paris-8. Ces dossiers en souffrance concernent notamment un stock de thèses plagiaires soutenues au Laboratoire Paragraphe dont Imad Saleh est le directeur et des articles d’enseignants-plagiaires, dont des articles outrageusement plagiaires signés et revendiqués par Imad Saleh lui-même.

Le refus répété, appuyé par la présidente du Comité d’éthique de Paris-8, de se prononcer sur ces cas concrets de plagiats, qui, comme le précise Alain Quemin, « empoisonnent la vie scientifique de Paris-8 et ternissent sa réputation alors que la plupart des enseignants et des étudiants sont intègres », l’a conduit à démissionner le 16 avril dernier de ce comité d’éthique. Parmi les raisons de cette démission, il y a aussi le refus du Conseil scientifique de l’université Paris-8 – refus appuyé par Michèle Montreuil – de soumettre au vote du CS la nomination d’Imad Saleh, enseignant-plagiaire, à la tête de l’école doctorale Cognition, langage, interaction. Une telle procédure de confirmation par le Conseil scientifique de la nomination des directeurs d’écoles doctorales était pourtant la règle à Paris-8. Elle avait déjà été appliquée, sans que personne n’y voie rien à redire, pour les autres nouveaux directeurs, non plagiaires, des écoles doctorales de Paris-8.

Dans son courrier de démission adressé à Michèle Montreuil, à tous les membres du comité d’éthique et aux intervenants au colloque Approche éthique du plagiat, Alain Quemin ajoutait  : « Trop de membres extérieurs du comité d’éthique ont été depuis l’origine très peu impliqués dans le comité et ils ne peuvent avoir compris les freins qui, depuis un an et demi maintenant, ont empêché celui-ci de fonctionner de façon satisfaisante, c’est-à-dire en traitant enfin comme il se devait les cas [de plagiats] réellement scandaleux existant à Paris-8. »

C’est en effet le point fort de l’opération « Approche éthique de plagiat ». L’attitude du Comité d’éthique de Paris-8 et ce colloque paraissent, vus de l’extérieur, avoir le plein soutien de membres extérieurs à cette université, comme Jacques Robert, ancien membre du Conseil constitutionnel, ou celui d’un groupe de psychologues et apparentés recrutés par Michèle Montreuil. En réalité, pas plus les membres extérieurs à Paris-8 du Comité d’éthique que les intervenants à ce colloque n’ont été informés du contexte très particulier de son organisation et de ses objectifs. Candides jusqu’à l’imprudence, ils ont pu longtemps croire que le nom même de « Comité d’éthique » valait garantie d’une conduite éthique de tous les membres de ce comité.

D’ores et déjà, des intervenants cités dans les successives versions du programme de ce colloque, une fois mieux informés du rôle que Paris-8 souhaitait leur faire jouer, ont annoncé aux organisateurs leur refus de se laisser instrumentaliser et leur retrait. Il est probable que l’on constatera de nouvelles défections le mardi 20 mai, jour du colloque. Mais il restera à coup sûr assez de participants pour garantir à ce colloque un plein succès, c’est-à-dire une place toute particulière dans l’histoire des colloques universitaires. Ce n’est en effet pas tous les jours que l’on voit aussi ouvertement l’éthique manipulée pour se porter au secours d’enseignants-plagiaires.

Ce colloque sera le point d’orgue de la saga-plagiat de l’université Paris-8 dont on peut fixer la première grande saison en 2006. En effet, le 18 mai 2006 précisément – Pierre Lunel était alors président de Paris-8 – Imad Saleh, directeur du laboratoire Paragraphe, avait été alerté de la manière la plus explicite et officielle qu’un doctorant du laboratoire Paragraphe s’était inscrit en thèse grâce à un mémoire de DEA 100% plagiaire. Cela n’a pas empêché Imad Saleh d’autoriser ce même étudiant à soutenir sa thèse moins de deux mois plus tard, le 10 juillet… Cette thèse a obtenu le 10 juillet 2006 les félicitations d’un jury présidé par un futur vice-pésident du Conseil scientifique de Paris-8. Cette thèse, à l’image du mémoire de DEA du doctorant, était pourtant à près de 100% plagiaire…

Cette affaire d’abord circonscrite au laboratoire Paragraphe prendra une nouvelle dimension à partir de 2010 avec, à la suite de mes alertes, la constitution par Pascal Binczak, président de Paris-8 depuis la fin de 2006, d’une « Commission déontologie » chargée du dossier plagiat. Les neuf membres de cette commission, présidée par la vice-présidente du Conseil scientifique et à laquelle participaient les quatre directeurs d’écoles doctorales de Paris-8, expertiseront durant de longs mois la thèse évoquée ci-dessus (à près de 100% plagiaire…) et la valideront en soulignant son originalité… En effet !

Avec le colloque Approche éthique du plagiat du 20 mai 2014, la boucle est bouclée : la direction des débats qui suivront les communications du colloque a notamment été confiée à certains des directeurs d’écoles doctorales de cette même Commission déontologie qui ont expertisé et validé la thèse plagiaire à près de 100%…

Depuis 2006, j’ai tenté d’alerter successivement la direction de l’école doctorale CLI alors dirigée par Mario Barra Jover (une fois élu vice-président du Conseil scientifique de Paris-8, il fera nommer Imad Saleh pour lui succéder, avec l’accord de Michèle Montreuil !), les présidents successifs de Paris-8, le CNESER disciplinaire, puis les ministres Valérie Pécresse et Geneviève Fiorasso auxquelles j’ai demandé, en vain, de saisir l’Inspection générale, la seule instance en mesure d’entendre les détails les plus crus de ces affaires. En effet, le récit ci-dessus est un récit allégé.

L’organisation du colloque de ce 20 mai a donc été l’occasion de ma dernière intervention, cette fois auprès de Jean-Richard Cyterman, récemment nommé à la tête de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Les plagiats d’un enseignant-plagiaire, aussi importants qu’ils soient, ne constituent pas un sujet susceptible de mobiliser l’Inspection générale, mais l’organisation au plus haut niveau de la communauté universitaire de la protection dont cet enseignant-plagiaire a bénéficié, oui. J’ai notamment précisé à Jean-Richard Cyterman : « Je dispose d’éléments suffisants pour me permettre d’affirmer, sans crainte d’être contredit par des universitaires de bonne foi, que l’organisation de ce colloque obéit en premier lieu au souhait de couvrir les agissements d’enseignants-plagiaires de Paris-8 et la tolérance au plagiat (…) » Après avoir lu avec intérêt ce dossier, Jean-Richard Cyterman m’a répondu qu’il ne pouvait malheureusement pas intervenir sans avoir été saisi par le président de l’université Paris-8 ou par le/a ministre.

La présidente de l’université Paris-8, Danielle Tartakowsky, directement associée à l’opération Approche éthique du plagiat où elle interviendra, ne saurait s’en plaindre auprès de l’Inspection générale. On ne comptera pas non plus sur Geneviève Fiorasso, qui n’a jamais montré une réelle volonté de s’attaquer au fléau du plagiat universitaire. Il reste à espérer que Benoît Hamon saisira l’Inspection générale. Cela s’impose d’autant plus que Benoît Hamon a été membre du Conseil d’administration de Paris-8, puis professeur associé quand Pascal Binczak était président de Paris-8 et se conduisait si mal dans ces affaires de plagiat.

Le problème du plagiat à l’Université n’est plus circonscrit aux plagiaires – qu’ils soient étudiants des premiers cycles, doctorants ou enseignants – qui devraient relever d’un conseil disciplinaire. Le problème bien plus inquiétant est celui d’enseignants-chercheurs, honorables et respectables dans leurs activités d’enseignants et de chercheurs mais otages du système et de leurs intérêts croisés, conduits à tout faire pour couvrir leurs collègues enseignants-plagiaires. Cette attitude a notamment pour conséquence de confier le recrutement des nouveaux enseignants-chercheurs à des plagiaires… C’est pourquoi il n’y a rien d’exagéré à dire que le plagiat gangrène l’Université.

Jean-Noël Darde, maître de conférences (à la retraite depuis septembre 2013), université Paris-8.
Auteur du blog Archéologie du copier-coller