* Traitement des thèses-plagiats et faux-semblants [1] : le cas d’Amiens
AVANT PROPOS
Le document ci-dessous concerne l’annulation pour plagiat, en mai 2009, d’une thèse, De l’art au documentaire, une voix pour voir par une Section disciplinaire de l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV). Ce document nous a été communiqué par des lecteurs assidus de notre blog.
Le cas d’Amiens s’avère emblématique du traitement a minima souvent mis en œuvre par les instances universitaires face aux thèses-plagiat lorsque ces instances sont en situation de ne plus pouvoir les ignorer. Un prochain article sera consacré au traitement de thèses-plagiats par les instances de l’Université Paris 8. Nous tenterons ultérieurement de savoir ce qu’il en est du sort réservé par l’Université Nancy 2 à la thèse-plagiat dirigée par un membre du CNU de la 71e section [thèse analysée sur ce blog dans un article précédent (Nancy 2 : un cas de thèse-plagiat)].
Des exemples empruntés à la thèse d’Amiens sont présentés dans un article mis en ligne simultanément avec celui-ci, « Plagiats : la bibliographie-alibi ou la stratégie de la lettre volée« .
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FACULTÉ DES ARTS, AMIENS. SECTION DISCIPLINAIRE :
Après avoir constaté la présence de Monsieur XXXXX, régulièrement convoqué ;
Après avoir pris connaissance du dossier ;
Après avoir fait lecture du rapport d’instruction ;
Attendu qu’il est établi que Monsieur XXXXXXX, en tant que doctorant en Arts plastiques a utilisé dans sa thèse, soutenue en décembre 2007, un certain nombre de sources diverses sans y faire référence dans le texte ni les distinguer de son propre texte ;
Mais attendu que Monsieur XXXXXX reconnaît les faits.
Attendu que la plupart des auteurs plagiés ont été cités en bibliographie
Attendu que les rapporteurs ainsi que sa directrice de thèse considèrent que si les extraits de textes plagiés étaient apparus entre guillemets, la thèse aurait gardé l’originalité qui la caractérise ;
Pour ces motifs, la Section Disciplinaire décide à l’unanimité des membres présents de prononcer une exclusion, en qualité d’étudiant, de tout établissement public d’enseignement supérieur pour une durée de 2 ans.
Ainsi, la fraude constatée entraîne pour l’intéressé la nullité de son doctorat d’Université.
Cette décision est immédiatement exécutoire, nonobstant appel.
La Formation de jugement ordonne par ailleurs l’affichage de la sanction de nom sans mention du nom de l’intéressé.
Appel peut être formé contre la décision devant le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (1 rue Descartes 75231 Paris Cedex 5) dans un délai de 2 mois à compter de la notification de la décision. L’appel doit être adressé au président de la section disciplinaire.
Fait à Amiens, le 19 mai 2009
Le Président de la section disciplinaire
Professeur Michel B.
Faculté des Arts, Amiens
La décision n’a pas fait l’objet d’appel.
Notons d’abord, si l’on s’en tient à une lecture hors contexte des conclusions de la Section disciplinaire de l’UPJV, l’apparente sévérité qui paraît avoir prévalu dans ce cas.
En effet, bien qu’il soit souligné que « les rapporteurs ainsi que sa directrice de thèse considèrent que si les extraits de textes plagiés étaient apparus entre guillemets, la thèse aurait gardé l’originalité qui la caractérise », la commission décide « la nullité de son doctorat » et l’exclusion de l’étudiant « de tout établissement d’enseignement supérieur pour une durée de 2 ans ».
Ces sanctions pouvaient paraître d’autant plus sévères que la Section disciplinaire fait valoir deux circonstances atténuantes : la reconnaissance des faits par Monsieur XXX et la mention des sources des plagiats dans sa bibliographie (nous discuterons plus avant, et dans l’article précédemment annoncé, du sérieux qu’il y a à retenir cette bibliographie en faveur du plagiaire).
Le problème est qu’il n’est fait dans les attendus des décisions de la Section disciplinaire aucune mention à une circonstance très particulière : Monsieur XXX, avant d’être un étudiant-doctorant de la Faculté des Arts d’Amiens (soutenance en 2007) est d’abord, depuis la fin des années 90, un PRAG, soit un Professeur agrégé enseignant à plein temps dans cette même Faculté des Arts.
Si la Section disciplinaire de l’Université de Picardie a sanctionné, sévèrement en apparence, « l’étudiant » plagiaire, les instances de la Faculté des Arts et de l’Université de Picardie n’ont rien trouvé à redire à ce que « l’enseignant » plagiaire y poursuive, comme PRAG, ses cours au département Arts plastiques.
Ce seul constat, la sanction sévère envers « l’étudiant-doctorant » associée à la mansuétude vis-à-vis de « l’enseignant-collègue » peut étonner. À vrai dire, elle n’est pas surprenante tant le corporatisme universitaire s’impose dans de nombreuses affaires de plagiat. Ce cas particulier et d’autant plus emblématique que « l’étudiant-doctorant » plagiaire sanctionné se confond avec « l’enseignant-collègue » plagiaire protégé.
Histoire et contexte
Après avoir présenté plus précisément le contexte dans lequel ont été prises les décisions de la Section disciplinaire de l’Université de Picardie, nous proposerons une lecture un peu différente de ce document.
C’est « EEE », alors doctorant et ancien étudiant de XXX, aujourd’hui lui-même Professeur agrégé en Arts plastiques et en voie de soutenir sa propre thèse, qui est à l’origine de la découverte des plagiats. Le 1er décembre 2007, à l’occasion de la soutenance de XXX, il feuillette rapidement cette thèse de 350 pages. EEE tombe alors sur quelques emprunts, dispersés sur deux pages, à l’un de ses articles antérieurement publié. Après la soutenance, conclue par les félicitations du Jury, EEE communique avec discrétion sa découverte au nouveau docteur qui s’excusera quelques jours plus tard, par mail, de l’absence de quelques guillemets mis sur le compte d’oublis malheureux et la précipitation. En 2008, sur la base de cette thèse et d’un rapport de soutenance très élogieux, les membres du CNU de la 18e section se laissent eux aussi abuser et accordent à XXX sa qualification à la fonction de Maître de conférences.
Cependant, toujours en 2008, à la suite d’un colloque organisé à Rennes où XXX et EEE sont l’un et l’autre invités, ce dernier se rend compte que l’article proposé par XXX, tiré de sa thèse récemment soutenue, est de nouveau un plagiat. EEE relit alors attentivement les chapitres de la thèse qui touchent au plus près à des sujets qu’il connaît bien (120 des 350 pages). Il se rendra compte que l’essentiel des textes de ces chapitres sont autant de plagiats issus de « copier-coller » depuis internet et d’emprunts serviles à des textes imprimés.
Informés de cette situation, des enseignants de la faculté d’Arts choqués et outrés par ces plagiats batailleront ferme pour obtenir la réunion d’un conseil disciplinaire. Il se passera cependant près d’un an entre le moment où EEE a fait état de ses découvertes et la décision d’instruire le cas. Certains collègues de XXX en étaient venus à s’en prendre à ceux qui avaient dénoncé le plagiat, EEE et d’autres enseignants, plutôt qu’au plagiaire lui-même.
L’instruction sera rapide, très rapide. Preuve en est qu’EEE, le principal plagié alors connu, ne sera pas même convoqué pour présenter ses constats dont la Section disciplinaire disposait.
Attendus et commentaires
Les éléments précédents et l’ampleur des plagiats constatés conduisent à une nouvelle lecture des attendus du document affiché par la Section disciplinaire et une nouvelle interprétation de la place et du rôle de ce document.
* Attendu qu’il est établi que Monsieur XXXXXXX, en tant que doctorant en Arts plastiques a utilisé dans sa thèse, soutenue en décembre 2007, un certain nombre de sources diverses sans y faire référence dans le texte ni les distinguer de son propre texte ;
* Ce détour par une lourde périphrase atteste du soin pris pour ne pas appeler un plagiat un plagiat. Le terme « plagiat » n’apparaît d’ailleurs nulle part dans ce document.
En sus du flou qualitatif, on notera le flou quantitatif : « un certain nombre ». Non seulement les enseignants chargés de l’instruction du dossier ne prendront que très partiellement en compte les plagiats attestés déjà découverts par EEE dans les 120 pages qu’il avait étudiées, mais ils négligeront la possibilité que le reste de la thèse puisse être de même nature (cf. La bibliographie-alibi…).
** Mais attendu que Monsieur XXXXXX reconnaît les faits.
** La reconnaissance de plagiats peut en effet être mis au crédit de XXX d’autant que l’attitude la plus fréquente des plagiaires est de nier, même face aux évidences et preuves les plus accablantes. Observons cependant que le plagiaire reconnaît ces plagiats dans une configuration qui lui est très favorable : les seuls plagiats qu’on lui reproche, et qu’il accepte donc de reconnaître, ne constituent qu’une petite partie des plagiats dont il se sait responsable.
*** Attendu que la plupart des auteurs plagiés ont été cités en bibliographie
*** La « bibliographie-alibi », celle où les plagiaires font figurer les sources de leurs plagiats, est un terme que nous avons déjà introduit dans l’article « * SERIALS PLAGIAIRES [1] : signatures et profils des plagiaires » . Elle est la signature la plus fréquente des universitaires plagiaires, comme nous l’avons établi à travers l’analyse de nombreux cas (voir aussi « * AUTOPSIE D’UNE THÈSE-PLAGIAT, SUITE » ). Un exemple, tiré de cette même thèse d’Amiens et présenté dans l’étude Plagiats : la bibliographie-alibi ou la stratégie de la lettre volée en est une parfaite illustration. Cet attendu d’Amiens est seulement la preuve que cet « alibi » abuse encore, du moins tous ceux qui souhaitent se laisser abuser. C’est à tort que la bibliographie-alibi est retenue comme circonstance atténuante voire même absolutoire.
**** Attendu que les rapporteurs ainsi que sa directrice de thèse considèrent que si les extraits de textes plagiés étaient apparus entre guillemets, la thèse aurait gardé l’originalité qui la caractérise ;
**** Cet attendu est certainement le plus curieux : dans la mesure où la Section disciplinaire a pris le soin de ne voir qu’une petite partie des plagiats, il n’est pas étonnant que le reste de la thèse semble garder une « originalité qui la caractérise » !
Si, à cette étape, la Commission disciplinaire s’était ne serait-ce que limitée à tenir compte des découvertes de EEE, elle n’aurait plus été en mesure de conclure au maintien de l’originalité qui caractérisait la thèse. En vérité, une recherche sérieuse sur l’ensemble de la thèse aurait facilement établi la rareté des parties sans plagiat.
Notons que le recueil des avis d’un directeur de thèse et des rapporteurs s’impose naturellement dans le cas où ils se sont eux-mêmes rendu compte des plagiats avant la conclusion de la soutenance (cf. le cas de la thèse-plagiat Le dénudement de la peinture : la recherche de la liberté dans l’œuvre de Marcel Duchamp qui a fait l’objet d’un jugement récent du Tribunal de Grande Instance de Paris, brièvement commenté sur ce blog,). Mais si les membres du jury, abusés, ont déjà attribué le titre de Docteur au plagiaire et qu’ils ne sont pas à l’origine de la demande d’annulation de la thèse, ils deviennent dès lors des experts peu fiables pour intervenir dans le cours de l’instruction du cas. Ils sont en effet en butte à un conflit d’intérêts manifeste : alors qu’ils se sont, au minimum, laissés abuser par le plagiaire, plus ils insisteront a posteriori sur l’ampleur des plagiats, plus ils feront valoir leur propre responsabilité dans cette situation.
Voilà de quoi relativiser la « sévérité » des décisions de la Section disciplinaire de l’Université de Picardie à l’encontre de l’étudiant-doctorant plagiaire. L’extrême modération des attendus paraît préparer la mansuétude exercée vis-à-vis du double du doctorant plagiaire, le collègue-enseignant.
Les suites de cette affaire :
Le doctorant interdit d’Université pour plagiat poursuit son enseignement dans la même université comme Professeur agrégé. En effet, pourquoi faudrait-il reprocher à un PRAG, à qui le statut universitaire n’impose pas d’activités de recherche, d’être un chercheur plagiaire ? On conviendra que l’argument est un peu spécieux…
Un enseignant de la Faculté des Arts avait suggéré une sortie honorable pour XXX : qu’il démissionne de ses activités à l’Université de Picardie Jules Verne pour retrouver son enseignement de professeur agrégé dans l’enseignement secondaire. Mais XXX s’est senti suffisamment protégé par les attendus a minima de la Section disciplinaire et soutenu par des collègues.
Écœurés par cette situation, d’autres enseignants, dont la responsable locale du SNESUP, poursuivent leurs efforts pour imposer dans cette affaire le respect d’un minimum d’éthique.
Jean-Noël Darde
MC, Université Paris 8
Note : le cas exposé ci-dessus est assez proche de celui évoqué par Michelle Bergadaa dans sa récente lettre n° 35.
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Il me semble que l’institution (revue, université, etc.) cherche toujours, d’abord, à se protéger, c’est à dire à dénier les faits.
Il y va de la fiction qui fait le ciment de l’institution: fiction selon laquelle le milieu de la recherche serait composé de personnes capables de développer une pensée personnelle, originale, reconnue comme telle par des « pairs » capables d’en juger et de mettre en place des processus de jugement rationnels, argumentés, pertinents.
Le plagiat s’attaque au coeur même de ce postulat. Lorsqu’il y a plagiat, tout le monde a mal fait son travail : le chercheur, ceux qui étaient en charge de relire son travail (reviewers, directeur/trice de thèse), ceux qui ont choisi les reviewers (éditeurs, rédacteurs en chef, etc.) ou validé les directeurs/trices de thèse (responsables de labo), puis ceux qui ont recruté leurs collègues plagiaires (commission de spécialistes, comités de sélection, etc.) ou ont validé les choix de recrutement (président d’université, etc.).
Bref, tout le monde a « fauté » et a failli à l’idéal qu’il est censé incarner. Le reconnaître obligerait à reconnaître aussi certains fonctionnements réels du milieu universitaire : existence de clans, jeux de pouvoir, obligation de faire acte d’allégeance pour faire carrière, absorption de ceux qui ont du pouvoir dans des tâches administratives qui les éloignent de l’élaboration des idées et les empêchent de consacrer le temps nécessaire pour être en mesure d’évaluer réellement le travail des plus jeunes, etc.
Pas étonnant donc, que l’institution cherche à étouffer les affaires de plagiat d’universitaire…mais lorsque le scandale devient trop visible, là en général, les choses tournent car le déni n’est plus possible et il vaut mieux faire mine de trancher, couper, se séparer de celui/celle qui joue le rôle de symptôme.
Le plagiat n’est donc qu’un symptôme des dysfonctionnements du système universitaire (idem pour le plagiat chez les étudiants, qui peut être lu comme le symptôme d’un système qui, depuis l’enfance, encourage la compétition, la rivalité, manie la carotte et le bâton au lieu de travailler sur le désir d’apprendre et le plaisir intrinsèque contenu dans la joie de créer, de réfléchir, d’imaginer, etc.).
Bénédicte Vidaillet
MCF Université Lille 1
B. Vidaillet
octobre 12th, 2010 at 6:39 lien permanent