L’université Paris 8, sa direction, sa Commission déontologie et sa thèse-pur-plagiat écrite « sous le signe de l’excellence »

Posté par Jean-Noël Darde

laviemoderne.net.3Comment le président de l’université Paris 8 et les membres de la Commission déontologie – les trois vice-présidents, les directeurs des quatre Écoles doctorales et leurs experts – ont-ils promu une thèse-plagiat écrite « sous le signe de l’excellence » ?

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Notons que la majorité des universitaires cités dans cet article siègent aussi soit dans les Comités de sélection, soit au Conseil National des Universités (CNU), soit comme expert de l’Agence d’Évaluation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (AERES). Certains collaborent avec les trois instances. À elles trois, ces instances se voient confier l’évaluation des travaux des enseignants-chercheurs et les décisions concernant leurs carrières.

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Expertises fantaisistes et excellence douteuse sont au rendez-vous. Paris 8 n’est pas la seule université touchée par ce type de situation. C’est, en partie, le résultat des politiques marketing d’évaluation et d’excellence telles qu’elles ont été mises en place brutalement sous le gouvernement précédent.

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I

Université Paris 8, mai 2006  : l’alerte est donnée concernant un étudiant inscrit en thèse dont le mémoire de DEA s’était révélé être un assemblage de plagiats (voir illustration ci-contre et le texte intégral du mail en format pdf, ici).

Nous avions aussi, le 12 mai 2006, fait communiquer à l’ensemble de nos collègues un article mis en ligne sur le site du Professeur Bergadaa (université de Genève), Le Briquet de Darwin, qui traitait d’un des mémoires cités ci-contre.

Le refus d’annulation de ce diplôme de DEA et de la radiation de l’inscription en thèse (en Sciences de l’information et de la communication, 71e section du CNU) est voté à l’unanimité des voix, exceptée la nôtre, par une assemblée d’enseignants-chercheurs, notamment par le professeur Imad SALEH, directeur du Laboratoire Paragraphe au sein duquel la thèse était en cours de « rédaction ».

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II

Moins de trois mois après ce vote qui blanchissait ce mémoire de DEA plagié, son auteur soutenait brillamment une thèse, assemblage de plagiats (cf. Thèse-plagiat : le sixième juré et les félicitations).

Le jury de soutenance était présidé par Gilles BERNARD qui sera vice-président de l’université Paris 8. Cette thèse est encore aujourd’hui présentée sur le site du Laboratoire Paragraphe comme écrite « sous le signe de l’excellence » (cf. illustration ci-dessus et texte intégral ici ou là : http://paragraphe.univ-paris8.fr/ergolab/immedia/P-variances.html .

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III

Ce n’est qu’à la fin de l’année 2009, que nous avons eu connaissance du résumé de cette thèse mis en ligne sur le site de l’université Paris 8 et avons ainsi appris qu’elle avait été soutenue. Ce résumé est déjà truffé de plagiats (cf. « LE RETOUR AU RÉEL » : CACHE-CACHE PLAGIAT).

Au début de l’année 2010, le président Pascal BINCZAK et les trois vice-présidents de l’université Paris 8, Elisabeth BAUTIER (CS), Christine BOUISSOU (CA) et Jean-Marc MEUNIER (CEVU), sont alertés de cette situation cocasse.

Conséquemment, une Commission déontologie composée des trois vice-présidents et des quatre directeurs d’Écoles doctorales de Paris 8 est créée pour se saisir du dossier plagiat. Après une longue expertise (2010-2011), la Commission déontologie confirme en 2011 la validation de la thèse en question par son jury de soutenance. La thèse, « hautement appréciée », est maintenue dans le fichier SUDOC de l’Agence bibliographique de l’Enseignement supérieur (ABES) :  » Identifiant pérenne de la notice : http://www.sudoc.fr/132176912  » (la notice SUDOC intégrale en format pdf, ici.).

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IV

Le professeur Khaldoun ZREIK, mis en cause comme plagiaire sur mon blog Archéologie du copier-coller, a déposé en octobre 2011 une plainte en diffamation à mon encontre (cf PARIS 8, PROCÈS ET PLAGIATS).

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Dans le dossier présenté au tribunal, Khaldoun ZREIK s’est prévalu de l’expertise de la thèse de Sang-Ha SUH par la Commission déontologie pour tenter de convaincre le tribunal de ma prétendue mauvaise foi et obtenir ma condamnation (pièce n° 11 des 21 pièces remises par K. ZREIK au tribunal).

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Pour mieux convaincre, K. ZREIK s’est aussi appuyé sur les déclarations de Pascal BINCZAK, président de l’université (pièce n°19) d’Imad SALEH, directeur du laboratoire Paragraphe au sein duquel la thèse a été « rédigée » (pièce n° 20), et Ali CHERIF, directeur de l’UFR MITSIC dont dépend le département Hypermédia où enseignent Imad SALEH et Khaldoun ZREIK (pièce n° 18).

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V

Pour nous permettre de répondre à cet argument et assurer notre défense, nous avons demandé à Elisabeth BAUTIER (vice-présidente du CS et présidente de la Commission déontologie) et Mario BARRA-JOVER (directeur de l’école doctorale CLI, celle de la thèse-plagiat) la communication des résultats de l’expertise dont le plaignant se prévaut (ici, texte intégral de ce mail).

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Élisabeth BAUTIER nous a brièvement répondu : Je ne peux accéder à vos demandes.

VI

À défaut de disposer de l’expertise de la Commission déontologie, voici la nôtre, ou du moins son esquisse, une première image, très provisoire, de cette thèse écrite « sous le signe de l’excellence » et « hautement appréciée » par la direction de Paris 8:

THÈSE VALIDÉE PAR LA DIRECTION DE PARIS 8, APRÈS UNE LONGUE EXPERTISE CONFIÉE À LA COMMISSION DÉONTOLOGIE ET À SES EXPERTS.

Cette image qui comprend 114 cases a été obtenue après réduction du fichier de la thèse à l’échelle 10%. Nous avons donc bien ci-dessus une image réduite des 409 pages surlignées en couleur de la thèse-plagiat de Sang-Ha SUH : Genèse et actualisation hypermédiatique de schémas d’architecture à partir d’un hypercube (*).

CODE COULEURS :

ROUGE : PUR PLAGIAT. Il s’agit de plagiats identifiables avec l’aide du logiciel Compilatio (comme on le constate, la solution-miracle prônée par la direction de l’université Paris 8 et de nombreuses autres universités montre ici ses limites).

FUSHIA : PUR PLAGIAT. En complément des résultats obtenus avec Compilatio, des plagiats que nous avons repérés sur Internet avec l’aide du logiciel Turnitin et diverses opérations menées avec Google.

BLEU ÉMERAUDE : PUR PLAGIAT ? La seule lecture de ces textes (niveaux de langues, articulations, enchaînements, etc.) convainc qu’il s’agit de plagiats, sans laisser beaucoup de place au doute. Une fois les textes originaux trouvés [ce travail avance lentement et toutes les aides seront les bienvenues (**)], l’essentiel de ces zones bleues a donc vocation à passer au jaune.

JAUNE : PUR PLAGIAT. Pour ces textes, tous de couleur bleu émeraude dans une première étape (voir ci-dessus), notre première évaluation a été confirmée par la découverte des textes originaux imprimés.

GRIS : FORT TAUX DE PLAGIAT. Nous pensons que ces textes sont pour une bonne part du plagiat, mais quelques passages rédigés par le doctorant ou son directeur de thèse ont pu s’y glisser ici ou là. Il reste aussi à trouver tous les textes originaux. Une part de ces zones grises passera au jaune au fur et à mesure de la poursuite de ce travail. La couleur grise concerne essentiellement l’introduction, la conclusion et le résumé. Les pièces du puzzle des plagiats sont plus petites que dans le corps de la thèse et sont donc plus difficiles à distinguer (dès la fin de l’année 2009, nous avions mis en ligne une première présentation de quelques plagiats du résumé de cette thèse que l’université Paris 8 affichait alors sur son site (cf. « LE RETOUR AU RÉEL » : CACHE-CACHE PLAGIAT).

Un défi

Nous sommes convaincu que les textes bleu émeraude sont, pour l’essentiel, plagiés. Nous n’excluons ni d’arriver à quasi 100% de plagiats certifiés, surtout si nous obtenons l’aide de bons connaisseurs des domaines précités, ni que quelques pages gardent à jamais le mystère de leurs origines.

Notre estimation, basée sur des arguments sérieux, d’un plagiat quasi à 100 % va-t-elle être contestée ?

Nous mettons au défi les membres et experts de la Commission déontologie d’oser préciser les parties de cette thèse (il y en a cinq en tout) ou au moins les chapitres (il y en a vingt-six), ou les sous-chapitres, ou ne serait-ce que les quelques pages… qu’ils pensent être libres de plagiat. Ce défi s’adresse donc à Elisabeth BAUTIER (vice-présidente du Conseil scientifique), Christine BOUISSOU (vice-pésidente du Conseil d’administration), Jean-Marc MEUNIER (vice-président du CEVU), Mario BARRO-JOVER (dir. École doct. Cognition, langage et interaction), Laurence GAVARINI ( dir. École doct. Pratiques et théories du sens), Alain BERTHO (dir. École doct. Sciences sociales), Jean Philippe ANTOINE (dir. École doct. Esthétique, sciences et technologie des arts), auxquels il faut ajouter deux autres membres anonymes de la commission, les experts, eux aussi anonymes, et Pascal BINCZAK, président de Paris 8, qui a défendu les conclusions de cette Commission déontologie et soutient Khaldoun ZREIK quand il se  prévaut de ces conclusions de la Commission déontologie devant la 17e chambre. Enfin, cette question est bien sur aussi posée à Patrick CURRAN, le directeur de cette thèse, Gilles BERNARD, le président du jury de soutenance, aux autres membres du jury, à Imad SALEH, le directeur du laboratoire Paragraphe, à Khaldoun ZREIK et à Ali CHERIF.

Si ces collègues – dont des membres éminents du CNU et des experts de l’AERES – ne sont pas en mesure de nous dire ce qu’ils pensent être écrit par son « auteur » dans cette thèse qu’ils ont défendue et validée, un sérieux problème se pose…

– – –

(*) Pour établir cette image, nous avons cependant retiré des 409 pages de cette thèse toutes les pages d’illustrations (pourtant toutes elles-mêmes plagiées – photocopiées dans les ouvrages plagiés – à l’exception de quelques graphiques abscons). Nous avons aussi exclu les textes empruntés et recopiés mais qui étaient présentés dans des encadrés.

(**) Parmi les plagiés déjà identifiés (les plagiats vont d’un paragraphe à plus de 16 pages de la thèse d’un seul bloc), citons notamment, dans l’ordre d’apparition : Philippe Quéau, Rudy Rucker, Olivier Auber, Hervé Fisher, Jean Brangé, Léonard Mlodinow, Henri Poincaré, Jean-Guillaume Lanuque, Robert L. Delevoy, Gérard Klein, Isabelle Fortuné, Gilbert Kieffer, Antoine Bailly, Catherine Baumont, Jean-Marie Huriot, Alain Sallez, François Suter, Élie G. Humbert, Carl G. Jung, Robert Brandt-Diény, Jean-Louis Boissier, François Récanati, Dominique de Bardonneche Berglund, Jean-Louis Shefer, Bruno Herbelin, Louise Desrenards, Bruno Hernst, Jean-Louis Locher, Caroline Guendouz, Gilles Deleuze, Bernard Tschumi, Juremir Machado Da Silva, Antoine Picon, Vahé Zartarian, Alfred Ferré, Jaime Salazar, Luigi Sentola, Alain Farel, Alain Boutot, Laurence Bouquiaux, Konrad Becker, Patrice de Moncan, Philippe Chambiaretta, Manfredo Tafuri, Colette Gouvion, François Van de Mert, Pierre Franckhauser, Paola Berenstein-Jacques, Allen Weiss, Cees de Jong, Erik Mattie…

Pour nous aider à achever ce travail, toutes les aides seront les bienvenues. Le fichier de travail de cette thèse est disponible sur demande à jndarde@gmail.com.

Il reste à trouver les sources originales de toutes les pièces bleu émeraude de ce puzzle, méli-mélo de textes à propos des personnages et thèmes qui suivent: Henri Poincaré, Bernhard Riemann et Carl Friedrich Gauss, Carl Gustav Jung, Edwin Abott (Flatland), Robert A. Henlein (La maison biscornue), Charles Howard Hinton, David Hockney, le Tesseract (hypercube), les mandalas,le mandala dans la géométrie traditionnelle arabe, mandala et architecture, espace et paysage, l’anamorphose chez Escher, Cézanne, l’espace et la perception humaine,  « Le rêve du Papillon » de Tchouang-Tseu, la réalité virtuelle, simulation et simulacre, réalité augmentée et architecture, l’espace architectural, la virtualité du plan, la maison virtuelle, environnement et matière, matière et virtuel, interface entre la réalité et la virtualité de Jean Nouvel, l’infini virtuel de Daniel Libeskind, utopie et symboles à la Renaissance, la ville idéale ou utopie, la ville totale de Jean-Claude Bernard, les pyramides de Paul Maymont, les  projets d’urbanisme de Nicolas Schöffer, la morphologie du jardin français, l’urbanisme d’Haussmann au dix-neuvième siècle, la Grande arche, l’espace hybride, l’urbanisme spatial…

VII

Dans le quotidien Le Monde (ici, l’article daté du 3 mai en fichier pdf), Isabelle Rey-Lefebvre résume à propos des réactions des universités aux affaires de plagiat :  « l’institution pense d’abord à protéger la hiérarchie qui a laissé passer le texte litigieux ». Tout est dit, c’est ce qu’a si maladroitement tenté la direction de l’université Paris 8. Mais ce qui aurait pu rester de l’ordre de l’anecdote, une thèse-plagiat rédigée par un simple doctorant, est devenu, sous la responsabilité du président de Paris 8, des membres de la Commission déontologie et de ses experts un véritable monument au plagiat universitaire.

Nous communiquerons l’analyse complète de cette thèse-plagiat au tribunal quand la plainte en diffamation de Khaldoun ZREIK sera traitée au fond par la 17e Chambre du Tribunal de Grande instance de Paris.

En outre, nous pensons que cette thèse et son analyse – tant l’analyse des plagiats et des moyens mis en œuvre pour les détecter que celle des réactions de l’institution (Paris 8, CNU, AERES) à ces plagiats –  constitueront à la prochaine rentrée universitaire un matériel pédagogique utile pour tous ceux qui souhaitent réfléchir sur les moyens efficaces à mettre en œuvre pour lutter contre le plagiat universitaire. Ce cas ne peut, notamment, mieux illustrer et confirmer que l’usage des logiciels dits « anti-plagiats » n’est à l’université Paris 8, comme dans de nombreuses autres universités, qu’un alibi pour éviter d’avoir à traiter au fond le problème du plagiat chez les étudiants et les enseignants-chercheurs.

Ce serait faire injure à nos collègues de la Commission déontologie d’affirmer qu’ils n’étaient pas en mesure de se rendre compte rapidement en lisant cette thèse, sans même avoir besoin de recourir aux logiciels « anti-plagiats » à l’efficacité très incertaine, de sa nature plagiaire. On est donc bien obligé de s’interroger sur les raisons de leur aveuglement.

Il faut certainement y voir, je le répète, un des effets de l’approche marketing de « l’excellence » imposée par le précédent gouvernement. Effets dévastateurs si l’on considère que Valérie Pécresse a réussi la prouesse d’attribuer un rare double Labex (Label laboratoire d’excellence) au laboratoire Paragraphe, un laboratoire champion de la thèse-plagiat (on trouvera ici et le compte rendu de la cérémonie « LABEX » présidée par le premier ministre François Fillon, et ici et les deux LABEX du Laboratoire Paragraphe).

Paragraphe, un laboratoire champion ? En effet, à la suite de notre alerte en janvier 2010, une première thèse « rédigée » au sein de ce laboratoire a été annulée, en traînant les pieds (PARIS 8, PROCÈS ET PLAGIATS), par Pascal BINCZAK en octobre-novembre 2011. On peut imaginer que cette thèse de Sang-Ha SUH, elle aussi objet d’une alerte dès le début 2010, va être à nouveau expertisée et annulée par le prochain président de Paris 8. Une troisième thèse a déjà fait l’objet d’un courrier AR adressé à Pascal BINCZAK par l’un des plagiés, Jacques BOLO, dès février 2011 (cf. Éditeur et libraire, le plagié se rebiffe… et Un cas de plagiat universitaire analysé). Une fois le sort de ces thèses réglé, d’autres thèses du Laboratoire Paragraphe feront l’objet de nouvelles  alertes.

FIN

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Compte TWITTER : https://twitter.com/#!/ArcheoCopCol

Vient de paraître : Le PLAGIAT DE LA RECHERCHE, Actes du colloque du 20 et 21 octobre 2011

Communiqué : www.guglielmi.fr/spip.php?article266

Introduction : accès libre à www.lextenso-editions.fr/ouvrages/document/2337332 et fichier en format pdf, ici.


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3 réponses to “L’université Paris 8, sa direction, sa Commission déontologie et sa thèse-pur-plagiat écrite « sous le signe de l’excellence »”

  1. Alain DE TOLÉDO est maître de conférences au département d’économie de l’université Paris 8 :

    Cher Collègue,
    Voici un cas un peu différent mais non moins cocasse.
    J’enseigne pour ma part au département d’économie de Paris 8. Depuis quelques années le « copier-coller » se répand parmi mes étudiants et ceci malgré mes nombreux avertissements. Toutefois, la rupture de style est tellement évidente qu’il ne m’est pas trop difficile de repérer les mémoires dont les pages sont empruntées.

    Dernièrement j’ai eu à faire à une nouvelle forme de ce sport de haut niveau : c’est en plein examen que des étudiants ont pu se brancher sur internet. Le plus intéressant de l’histoire est que j’ai envoyé sept étudiants devant le conseil de discipline qui les a tous blanchis. Le cas le plus flagrant est celui d’une étudiante dont la totalité de la copie était du copier-coller de wikipédia, pris sur six pages web différentes : l’étudiante a plaidé qu’elle avait appris par cœur wikipédia (et non le cours) et le conseil de discipline a décrété, dans sa grande sagesse, qu’il n’avait pas la preuve de la fraude…

    Je considère que les décisions de ce conseil de discipline, peut-être devrait-on l’appeler d’indiscipline, est un véritable permis de tricher.

    Alain de Tolédo
    MCF HDR

     

    Alain de Tolédo

  2. Marie-Anne CHABIN est expert indépendant et enseignant (PAST) au CNAM, École de management, Département « Culture, Information, Technique et Société »

    Merci à Jean-Noël Darde de son combat, si rigoureux, contre le plagiat universitaire et surtout de pointer les responsabilités d’une reconnaissance universitaire fondée sur la fausseté.

    La question du plagiat m’intéresse moins en tant qu’enseignant qu’en tant que chercheur sur le concept de document et l’effet du numérique sur la nature du document (au sein du laboratoire DICEN).

    Je viens de relire l’article de Peter Sloterdijk,recteur de l’université de Karlsruhe, intitulé « Plagiat universitaire : le pacte de non-lecture », <http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/28/le-pacte-de-non-lecture_1635887_3232.html« >a href= »http:// »>http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/28/le-pacte-de-non-lecture_1635887_3232.html, où il est dit notamment « Aucun universitaire ne le niera : il est temps de compléter la théorie du lecteur implicite par celle du non-lecteur implicite. On devrait avoir à peu près rendu compte de la situation en partant de l’idée qu’entre 98 % et 99 % de toutes les productions de textes issues de l’université sont rédigées dans l’attente, si justifiée ou injustifiée soit-elle, d’une non-lecture partielle ou totale de ces textes. Il serait illusoire de croire que cela pourrait rester sans effet sur l’éthique de l’auteur. ».

    M’étant penchée l’an passé sur l’affaire Karl-Theodor zu Guttenberg (février-avril 2011), j’en ai tiré un constat général de médiocrité (http://www.marieannechabin.fr/2012/01/mediocrite/) qui met en évidence, me semble-t-il, que, en parallèle de la chasse aux plagiats outranciers, les critères d’évaluation sont largement à revoir.

    La question de la compétence me semble la grande perdante dans tout cela.
    Que veut-on sanctionner à l’université ? Le respect des règles ? Ou la compétence + le respect d’un minimum de règles ? Limiter la qualité à la complétude des guillemets me fait penser à une belle coquille… mais qui est peut-être vide…
    Sloterdijk dit encore : « on ne peut pas démontrer qu’il existe une différence essentielle entre une compétence authentique et une vaste simulation de la même compétence »

    L’inflation des écrits, favorisée par le numérique, doit-elle nécessairement s’accompagner d’une inflation proportionnelle de formulations d’idées originales ?

    L’écrit linéaire, la thèse, était naguère le seul moyen de restituer et d’exprimer son savoir. Est-ce toujours vrai ? Je n’en suis pas sûre. J’ai été choquée récemment de voir des étudiants sanctionnés pour avoir osé exprimer – fort bien – ce qu’ils avaient compris d’un sujet au moyen des outils du web2.0 au lieu de s’en tenir à la forme académique traditionnelle où ils aurait pu médiocrement reformuler leurs lectures et faire des citations.

    Personnellement, je suis moins choquée d’être citée sans sources que de voir mes propos repris intégralement entre guillemets par quelqu’un qui ne les a manifestement pas compris ou qui les a déformés.
    Marie-Anne Chabin

     

    Marie-Anne CHABIN

  3. Frédéric Agnès, directeur, préside au sort du logiciel Compilatio.

    Bonjour M. Darde

    Merci pour la détermination avec lesquels vous faites avancer la problématique du plagiat dans l’enseignement supérieur et pour le sérieux avec lequel vous menez vos travaux de vérification des textes. Je tiens à vous assurer du soutien de toute l’équipe de Compilatio dans vos recherches. Si nous pouvons contribuer à l’avancée de vos travaux, même modestement, nous en sommes heureux.

    Je souhaite profiter de votre article pour réagir sur quelques points que vous évoquez concernant notre outil.

    Vous soulignez que les responsables d’établissements ou les utilisateurs de Compilatio présentent parfois nos services avec enthousiasme comme une « solution miracle ». Je leur en suis gré, mais les services Compilatio ne sont effectivement que des outils : si nous pouvons prétendre être la pioche ou la loupe des archéologues du copier-coller, appréciées pour ce qu’elles sont, nous aurons rempli notre rôle. Mais en aucun cas n’aurons-nous été « la solution miracle ».

    Concrètement, un service tel que Compilatio automatise la recherche de similitudes. Et comme ces similitudes révèlent très souvent des plagiats, on parle volontiers de « détecteur de plagiat ». Cela constitue un abus de langage, que vous souligniez avec justesse dans un précédent billet. On devrait effectivement parler de « détecteur de similitudes » ou « d’aide à la détection du plagiat ».

    Nous insistons toujours auprès de nos utilisateurs sur l’importance des actions de prévention, la formation des étudiants et des enseignants au bon usage de la documentation, l’accompagnement réglementaire qui doit être mis en place dans les établissements, en parallèle de l’utilisation de nos services. Tous les établissements ne traitent pas le problème du plagiat avec la même force, mais je crois personnellement que toute initiative allant dans le sens de la lutte contre le plagiat doit être encouragée, même si elle est incomplète ou qu’elle peut être perfectionnée. Nous ne sommes vraisemblablement qu’au début de la prise de conscience de l’ampleur du phénomène !

    Vous soulignez également que Compilatio ne révèle pas tous les plagiats. J’en conviens également. L’outil est d’ailleurs continuellement amélioré, notamment grâce aux retours des utilisateurs. Le cas que vous identifiez aujourd’hui est un exemple précieux.
    Nous pourrions indiquer que Compilatio ne détecte que la partie émergée des « icebergs plagiats ».
    Ma conviction est que l’enjeu d’aujourd’hui dans l’enseignement supérieur est plus d’automatiser le repérage de ces Icebergs, que d’en mesurer précisément le volume immergé. Le volume de la partie immergée est d’ailleurs souvent proportionnelle au volume de la partie émergée.
    En d’autres termes, si Compilatio peut aider les utilisateurs du monde de l’enseignement à repérer les cas les plus problématiques, même de manière partielle, je pense que ce service garde tout son sens. L’utilisateur peut alors consacrer ses efforts sur les travaux et les tâches qui nécessitent un sens critique et une intelligence, que les machines ne peuvent pas encore apporter.

    Je souhaite donc vous assurer que nous ne cherchons aucunement à apporter des solutions simplistes à un problème complexe, mais bien à apporter les meilleurs outils possibles au service de l’intelligence des utilisateurs et des institutions. Je vous renouvelle également nos encouragements et notre soutien dans votre travail. Les exemples de plagiats que vous mettez à jour sont indispensables à une prise de conscience collective de l’ampleur de ce problème.

    Cordialement,
    Frédéric AGNES, directeur de Compilatio.net

    Réponse JND : Comme vous le savez, j’ai plus souvent vertement critiqué l’usage que l’on faisait de Compilatio que l’outil lui-même que je trouve un excellent outil dont l’interface est particulièrement réussi. J’ai déjà écrit que toutes les universités devraient utiliser plusieurs logiciels dont je pense qu’ils se complètent.

    Votre commentaire ouvre une discussion intéressante à laquelle je suis bien sur prêt à participer et à laquelle, j’espère, un maximum d’universitaires participeront.

    Je vous envoie mon fichier de travail sur la thèse de SHS. C’est en travaillant sur ce corpus que je me suis rendu compte à quel point des traces parfois très discrètes repérées par les logiciels – une similitude d’une suite réduite de quelques mots – peuvent aussi conduire à l’identification d’un vaste plagiat issu d’un document imprimé. Il suffit que le long texte plagié depuis un ouvrage imprimé ait fait l’objet d’une brève citation dans un texte mis en ligne sur Internet, citation faite dans le respect des règles de référencement.
    Cette remarque, parmi beaucoup d’autres raisons, milite en faveur de l’abandon des couleurs indicatives (vert, orange, rouge) liées aux taux de similitudes affichés en résultats.
    Si Compilatio est un excellent outil d’aide à l’enquête, il reste à réfléchir à la pertinence d’utiliser Compilatio comme support pédagogique dans l’apprentissage au bien citer ou de son utilisation à priori dans le contrôle de tous les mémoires et thèses. Ce contrôle à priori pose de sérieux problèmes de déontologie que personne ne semble vouloir considérer.
    Jean-Noël Darde