* LETTRE OUVERTE À MADAME LOUISE PELTZER, PRÉSIDENTE DE L’UPF

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31 MARS 2011 : DÉMISSION DE LOUISE PELTZER, PRÉSIDENTE DE L’UNIVERSITÉ DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

(ce document, communiqué par un collectif d’enseignants et chercheurs de Polynésie, est aussi accessible ici en fichier.doc : Lettre ouverte à Madame Louise Peltzer, Présidente de l’Université de la Polynésie française )

17 janvier 2011.

Madame la Présidente de l’Université de la Polynésie française,

Nous avons été très intrigués par un article intitulé « Accusations », paru le 29 septembre 2010 dans les Nouvelles de Tahiti. Cet article explique qu’un inconnu a usurpé votre identité pour adresser aux rédactions des médias polynésiens un mail dans lequel il dénonçait des « similitudes » entre votre ouvrage Des langues et des hommes, paru en 2000, et La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne d’Umberto Eco. Le même article nous apprend que vous avez porté plainte pour usurpation d’identité, mais refusé de répondre aux journalistes sur le fond même de l’affaire.
La communauté scientifique ne saurait en aucun cas se satisfaire d’un tel silence à un moment où ce genre de similitudes troublantes préoccupe particulièrement l’opinion publique, surtout lorsqu’elles mettent en cause des chercheurs et des enseignants du supérieur parfois haut placés. Intitulées « Pourquoi le plagiat gangrène-t-il l’Université ? », deux pages entières du Monde daté du jeudi 11 novembre dernier sont consacrées à ce fléau.
Il convient de nous placer sur un terrain rigoureusement académique. Parce que vous êtes garante, dans votre université, de la déontologie scientifique, personne ne doit pouvoir mettre en doute l’originalité de vos travaux. Personne ne doit pouvoir penser que la mention d’une source dans la bibliographie dispenserait un chercheur des guillemets, des appels de note et des références de rigueur dans nos disciplines, qu’il s’agisse d’une thèse ou de la version publiée d’une « Leçon inaugurale ». Au-delà de votre personne, c’est la réputation de votre établissement et celle de la recherche universitaire qui est en jeu. C’est pourquoi nous nous interrogeons sur les ressemblances entre les passages suivants de votre livre et de celui d’Umberto Eco :

Dans Des langues et des hommes, vous écrivez :
« Les rapports organiques reconnus entre une langue donnée et une façon de penser, supposent des conditionnements réciproques qui ne sont pas seulement synchroniques [à un instant donné] mais aussi diachroniques [dans la durée]. Tant la façon de penser que la manière de parler sont le produit d’un développement historique. « Et ce serait alors s’égarer… » indique De Mauro « …que de ramener les langages humains à une prétendue matrice unitaire. » (p. 34)

Umberto Eco écrivait quant à lui dans l’édition française de La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne :

« Les rapports organiques reconnus entre une langue donnée et une façon de penser supposent des conditionnements réciproques qui ne sont pas seulement synchroniques (rapports entre la langue et la pensée à une époque donnée) mais aussi diachroniques (rapport dans le temps d’une langue donnée avec elle-même). Tant la façon de penser que la manière de parler sont le produit d’un développement historique (voir De Mauro 1965 : 47-63). Et ce serait alors s’égarer que de ramener les langages humains à une prétendue matrice unitaire. » (p. 132-133 de la réédition en poche, Seuil, Points, 1997.)

* *

Vous écrivez :

« Dans le chapitre Langage de l’Encyclopédie, Jaucourt rappelle que les langues, étant issues de l’activité des différents peuples, on peut affirmer qu’il n’y aura jamais d’universelle puisqu’on ne pourra jamais conférer à toutes les nations les mêmes coutumes et les mêmes sentiments, les mêmes idées de vertus et de vices, car ces idées procèdent de la différence des cultures.

Se développe l’idée que chaque peuple élabore sa langue, ce qui rend ces langues mutuellement incomparables mais capables d’exprimer les différentes visions du monde. Condillac, Herder et surtout Humboldt développèrent cette théorie, reprise par de nombreux chercheurs par la suite. » (p. 34-35)

Alors qu’Umberto Eco écrivait : « Ainsi, à l’article ‘Langage’ de l’Encyclopédie, Jaucourt rappelait que, puisque les différentes langues naissent des génies différents des peuples, on peut affirmer décidément tout de suite qu’il n’y en aura jamais d’universelle, puisqu’on ne pourra jamais conférer les mêmes coutumes et les mêmes sentiments, les mêmes idées de vertu et de vice, car ces idées procèdent de la différence des climats, de l’éducation, de la forme de leur gouvernement.

On voit se profiler l’idée que les langues élaborent un ‘génie’ qui les rend mutuellement incomparables, mais capables d’exprimer les différentes visions du monde. Cette idée apparaît chez Condillac [..], mais on la retrouve chez Herder [..] et elle réapparaîtra de façon plus développée chez Humboldt » (p. 132-133 de la réédition en poche, Seuil, Points, 1997.)

* *

Nous nous limitons à ce modeste échantillon puisqu’il faudrait une lettre de 30 pages pour faire tous les rapprochements significatifs, notamment entre les pages 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 32, 33, 35, 37, 40, 41, 43 et 45 de votre livre et les pages 95, 96, 97, 98, 104, 105, 106, 107, 116, 117, 118, 119, 120, 122, 123, 125, 126, 132, 133, 307, 308, 309, 334, 346, 347 et 368 du livre d’Umberto Eco. Vous voudrez bien trouver en P.J. une mise en parallèle plus complète.

Convaincus, Madame la Présidente de l’Université de la Polynésie française, que vous saurez dissiper nos inquiétudes, nous attendons avec impatience vos explications.

PREMIERS SIGNATAIRES

A) Enseignants et chercheurs de Polynésie

Sémir AL WARDI, MCF HDR de sciences politiques, UPF

Sylvie ANDRÉ, Professeure de littérature française, UPF

Laurence CAILLON, MCF de géologie, UPF

Marie-Noël CAPOGNA-CHARLES, MCF de droit privé et sciences criminelles, UPF

Jean-Michel CHARPENTIER, chercheur CNRS retraité, langues océaniennes

Alain CHIREZ, Professeur de droit privé et sciences criminelles, UPF

Olivier CLARY, PRCE d’éducation physique et sportive, UPF

Serge DUNIS, Professeur de langues et littératures anglaises, UPF

Patrick FAVRO, MCF de langues et littératures anglaises, UPF

Éric FERARD, MCF de mathématiques, UPF

Pascal GOURDON, MCF de droit privé et sciences criminelles, UPF

Florence GUIRARDEL, PRAG de mathématiques, UPF

Sylvie LARGEAUD-ORTEGA, PRAG d’anglais, UPF

Carmela LOPES, MCF de biochimie et de biologie moléculaire, UPF

Keitapu MAAMAATUAIAHUTAPU, MCF de structure et évolution de la terre, UPF

Christian MONTET, Professeur de sciences économiques, UPF

Pascal ORTEGA, Professeur de Météorologie et d’océanographie-physique, UPF

Roger OYONO, MCF de mathématiques, UPF

Andréas PFERSMANN, MCF HDR de littérature générale et comparée,

UPF Bernard POIRINE, MCF HDR de sciences économiques, UPF

Jean-Marius RAAPOTO, ancien ministre de l’éducation de Polynésie française et docteur en sciences du langage (langues polynésiennes),

Michel RODIÈRE, PRAG de sciences physiques, UPF

Bruno SAURA, Professeur de civilisation polynésienne, UPF

Florent VENAYRE, MCF de sciences économiques, UPF

Hélène VEUJOZ, PRAG d’anglais, UPF

B) Autorités scientifiques, françaises et étrangères, hors Polynésie

Jean BESSIERE, Professeur de littérature comparée, Université de Paris-3.

Jean BENOIST, Professeur émérite d’anthropologie, Université d’Aix-Marseille.

Ondine BOMSEL-HELMREICH, Directrice de recherches honoraire au CNRS, Paris.

Luc BOUQUIAUX, Directeur de recherches CNRS à la retraite, LACITO-CNRS.

Olivier CANTEAUT, MCF à l’École nationale des chartes, Paris.

Robert CHARVIN, Doyen honoraire de la Faculté de droit de Nice.

Pierre-Marie DECOUDRAS, Professeur de géographie à l’Université de la Réunion.

Fabio Akcelrud DURÃO, Professeur de théorie littéraire à l’Université de Campinas (UNICAMP),
Brésil.

Maurice GODELIER, Directeur de recherches à l’EHESS, Anthropologue, océaniste, médaille d’or du CNRS.

Zlatka GUENTCHEVA, Directrice de recherches émérite au CNRS, linguiste, ancienne directrice
du LACITO-CNRS (2000-2008).

Claude HAGÈGE, Professeur honoraire au Collège de France, médaille d’or du CNRS.

François JACQUESSON, Directeur de recherches au CNRS, linguiste, directeur du LACITO-
CNRS.

Myriam KAHN, Professeure d’anthropologie, Université de Washington, USA.

Nguyen Kieu LE QUYEN, Ingénieur de recherche CNRS, retraitée.

François LECERCLE, Professeur de littérature comparée à l’Université de Paris-IV.

Michael LOWY, Directeur de recherche émérite, CNRS, médaille d’argent du CNRS.

Sabine MAINBERGER, Professeure de littérature comparée à l’Université de Bonn (RFA).

Christian MÉRIOT, Professeur émérite d’anthropologie, Université de Bordeaux-II.

Claire MOYSE-FAURIE, Directrice de recherche au CNRS (LACITO), langues océaniennes.

Philippe PÉDROT, Professeur de droit privé et sciences criminelles, Université de Brest.

Jean-Claude RIVIERRE, chercheur retraité du CNRS, langues océaniennes, ancien directeur du LACITO-CNRS.

Jacqueline M.C. THOMAS, Directrice de recherches retraitée, fondatrice du laboratoire LACITO-
CNRS.

Eleni VARIKAS, Professeure de sciences politiques à l’Université de Paris-8.

Géraldine VEYSSEYRE, MCF de linguistique médiévale à l’Université Paris IV-Sorbonne,
actuellement détachée comme chargée de recherche à l’IRHT (CNRS) en tant que « Principal Investigator » de l' »ERC starting grant » « Old Pious Vernacular Successes (1230- 1450) ».

Alain VIAUT, Chargé de recherches HDR, CNRS, dialectologie, MSHA.

Les nouveaux signataires qui souhaitent soutenir cette initiative peuvent :

– soit faire parvenir leurs nom et fonction à l’adresse mail  du collectif des enseignants et chercheurs de Polynésie (deontologie.recherche@gmail.com)

– soit le faire, accompagné d’un commentaire, ci-dessous sur le blog Archéologie du copier-coller. Ces signatures seront réunies et envoyées au collectif.

– Ce soutien n’est pas seulement la façon de faire connaître son opinion sur le plagiat dans l’Université française, c’est aussi la manière la plus efficace d’assurer la  protection de ces collègues qui, compte tenu de la situation locale en Polynésie, s’exposent avec cette lettre ouverte aux initiatives intempestives des personnes mises en cause.

Lire aussi :

* L’ÉCHO D’ECO : Des langues, des hommes et du travail de la citation

* Plagiat, silence et excellence.

*  DOSSIER CPU, CNU, UPF : LA QUESTION DU PLAGIAT.

* 24/01/2011, Ressemblances accablantes : Toujours pas d’explications de Madame  Pelzer.
Communiqué du Collectif pour la défense de la déontologie de la recherche à l’Université de la Polynésie française.

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9 réponses to “* LETTRE OUVERTE À MADAME LOUISE PELTZER, PRÉSIDENTE DE L’UPF”

  1. Si le plagiat se confirme, or il ne paraît pas douteux, Madame Peltzer devrait abandonner tout titre universitaire.
    Sémir BADIR, linguiste (Fonds National de la Recherche Scientifique, Université de Liège. Belgique).

     

    Semir BADIR

  2. Bien que non spécialiste de la question, mais nourri depuis l’école primaire de valeurs… qui peuvent paraître, aujourd’hui, surannées…, je ne puis qu’abonder dans le sens de M. Sémir BADIR.
    Sa proposition paraît d’autant plus opportune après la suppression à l’U.P.F. de la maîtrise d’Anglais (il est difficile d’avoir été et d’être encore…).

     

    Serge PERRIN

  3. Cette action, répréhensible en soi, témoigne d’un manque total d’imagination et donc de travail original. Elle n’apporte rien qui vienne enrichir la connaissance. Le titre universitaire de « chercheur » n’est donc pas approprié pour cette personne. Sur défaillance du plagieur, il appartient à ses pairs de prendre les initiatives adéquates.

     

    Jean-Marie LARGEAUD

  4. Extrait :
    […] Que dire alors quand le plagiat touche à présent même des personnalités publiques reconnues voire, plus grave encore, des universitaires bien installés dans leur chaire. C’est la question soulevée par l’indignation d’un groupe d’enseignants et de chercheurs signataires d’une lettre ouverte à la présidente d’université Louise Peltzer.
    Victor DE SEPAUSY

    http://www.actualitte.com/actualite/23784-plagiat-universitaire-lettre-ouverte-polemique.htm

    […]http://samichaiban.wordpress.com/2011/01/22/plagiat-quand-le-mal-atteint-des-universitaires-actualitte-les-univers-du-livre/

     

    Victor de SEPAUSY

  5. François Jouaillec (ancien professeur associé d’Université et maître de conférences à l’Ecole Polytechnique) :
    Cette affaire particulièrement triste illustre la faiblesse des relectures par les pairs, des jurys de thèse ou d’HDR, etc. Les auteurs de plagiats si éhontés, à supposer que les faits soient avérés, devraient être bannis à jamais du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche.
    F. Jouaillec

     

    François JOUAILLEC

  6. Le plus étonnat est quand, dans sa défense, cette dame met en cause son édiiteur qu’elle accuse d’être défaillant dans le placement des guillemets
    Jusqu’à preuve du contraire c’est à l’auteur, et à lui seul, que revient cette responsabilté

    Michel ABHERVE
    Professeur associé
    Université Paris Est Marne la Vallée

     

    Michel ABHERVE

  7. Richard PLANELLS (MCU-PH, Université d’Aix-Marseille) :
    Nous sommes devant des faits surprenants par leur naïveté même. Quel manque d’imagination ! (ou quelle paresse).
    Il eut été si facile de réécrire et de citer en ne soulignant qu’un mot par deux guillemets, renvoyant ainsi non à la totalité de la phrase mais à un « concept » que l’on aurait ainsi contribué à « mettre en valeur » sans en dénier la paternité à Eco…
    N’est-ce pas ainsi que s’écrivent 90% des articles « scientifiques » ?
    Mais de nos jours, demander à une Présidente d’Université d’être compétente dans la roublardise même du métier d’enseignant-chercheur c’est peut-être en demander beaucoup.
    Certains Présidents sont incapables d’écrire dans une langue « universitaire » et multiplient les fautes d’orthographe dans leurs lettres d’orientation. J’en connais quelques exemples… savoureux.
    Richard PLANELLS

     

    Richard PLANELLS

  8. […] avoir pu “oublier quelques guillemets”…  Une thèse battue en brèche par le travail de chercheurs sur le plagiat. Après la chute du ministre allemand de la défense pour cause de plagiat, c’est une nouvelle […]

     
  9. Il n’y aurait non seulement plagiat d’Eco mais – ne pas oublier la « main invisible » de l’écriture – du traducteur, puisqu’il s’agit de la version française publiée du texte !

    Une telle fidélité au texte original interdit de plaider le retour inconscient à la mémoire d’un passage qui a marqué profondément à la lecture. Où donc cette pauvre femme a t elle appris à copier ?

    Remarque de JND : Dans « * LETTRE OUVERTE : DES SIGNATURES DE SOUTIEN » figure la signature de :
    – Jean-Paul MANGANARO, Professeur à l’Université Charles De Gaulle (Lille 3), traducteur du livre d’Umberto Eco,
    La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne.

     

    Martine NAFFRÉCHOUX