* PLAGIAT, SILENCE ET EXCELLENCE

Posté par Jean-Noël Darde

Arrêt (lien ici) de la Cour de cassation du 3 février 2011 (pourvoi n° M 09-72.059). Commentaires du Pr G. Guglielmi : « les recherches universitaires sur le plagiat ne sont pas accessibles à l’action en diffamation » (lire ici et ).

17 janvier 2011, Jean-Noël Darde

* En mai 2010 (Nancy 2 : un cas de thèse-plagiat), nous avons évoqué le cas de ce membre du CNU de la 71e section (SIC), nommé par la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui avait dirigé une thèse au sein du laboratoire LORIA sans jamais se rendre compte qu’elle était essentiellement constituée de larges « copier-coller » très maladroitement assemblés.

À notre connaissance, cette situation n’a ni ému le CNU des Sciences de l’information et de la communication, ni la direction du LORIA, ni la présidence de l’Université Nancy 2. Rien n’a bougé, pas même la thèse en question toujours en ligne sous le prestigieux logo de l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) ce lundi 17 janvier 2010.

* À l’Université Paris 8, le laboratoire Paragraphe détient le record de France du taux de thèses-plagiat. En 2008, il a cependant été valorisé « A » par des experts de l’AERES   (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) présidés par un membre du LORIA. Le directeur de Paragraphe reste directeur-adjoint de l’école doctorale de rattachement, Cognition, Langage, Interaction – CLI, qui regroupe 7 laboratoires.

À Paris 8 encore, un professeur plagiaire a été choisi pour présider un « Comité de sélection » (SIC) chargé du recrutement des nouveaux enseignants-chercheurs; le professeur du LORIA aveugle au plagiat  (voir plus haut, Nancy-2…), a été retenu pour le seconder. Le parti du plagiat a des amis au sein même du Conseil d’administration et du Conseil scientifique de l’université.

Tout va bien.

* En décembre 2010, le blog « histoires d’Université » de Pierre Dubois a présenté une curieuse mise en scène du discours d’Edgar Morin dans un ouvrage qui lui est consacré par le vice-président du CNU de sociologie (A. Aït Abdelmalek, 2010. Edgar Morin, sociologue de la complexité, 2010. Éditions Apogée). À cette occasion, on découvre qu’un professeur d’université, directeur de laboratoire, vice-président du CNU de sociologie et expert de l’AERES, soutenu pas son éditeur, lui même sociologue, défend le plagiat avec autorisation (qui semblerait n’être qu’un plagiat avec autorisation à posteriori) :

Lors de l’écriture du livre sur la pensée complexe de  notre collègue Edgar Morin, j’avais mis des guillemets partout.. car c’est difficile de redire en plus mal ce qui a été très bien écrit et défini, dans une présentation d’une théorie…, et l’intéressé lui-même — Edgar Morin à qui je transmets ce mail — m’a demandé de les enlever, « si j’étais d’accord avec le contenu » de la présentation de la méthode complexe. Il n’y a donc aucun problème…

Le CNU de la 19e section n’a rien trouvé  à redire à ce curieux argument qui devrait donc faire jurisprudence pour l’évaluation des thèses et travaux des sociologues. Cette affaire de plagiat a par ailleurs suscité une violente polémique dans ce milieu, et quelques dérapages. Les passions apaisées et au moment astral propice, nous reviendrons en détail sur la matérialité de ces plagiats. Ce cas « AAA » vient de faire l’objet d’une étude très fouillée de Michelle Bergadaa, professeur à l’Université de Genève ( cf. lettre 38 du site http://responsable.unige.ch ).

NOTE DU 24 JANVIER 2011 : on trouvera en bas de cette page  copie du communiqué que viennent de publier l’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES) et l’Association française de sociologie (AFS). La messe est dite. Il ne reste qu’à attendre les réactions du CNU de la 19e section et celles du principal intéressé.

* La présidente de l’Université de la Polynésie française (UPF), ancien membre du CNU (section 15) et membre de la Conférence des Présidents d’universités (CPU), a — sans avoir recueilli « l’autorisation » d’Umberto Eco — fait des emprunts consistants à son ouvrage La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne (Le Seuil, 1994). La Ministre de l’Enseignement supérieur a été dûment informée de ces emprunts, et d’autres emprunts, par deux courriers  (18 juin et 4 juillet 2010) d’enseignants et chercheurs qui avaient à pâtir de récentes tentatives de la Présidente de l’UPF d’imposer son nom sur un ouvrage dont ils sont les maîtres d’œuvre et véritables auteurs.

Le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, trop occupé par « l’excellence » et le « contrôle qualité » (sic) des universités n’a pourtant souhaité ni leur répondre, ni réagir.

* Le problème est délicat : il s’avère que le plagiat universitaire n’est pas d’abord un problème d’étudiants mais en premier lieu celui d’enseignants-chercheurs, eux mêmes plagiaires, ou tolérants au plagiat, ou encore obstinément aveugles aux plagiats de certains de leurs collègues, doctorants et étudiants. Nous en proposerons d’ici peu de nouvelles preuves avec l’analyse précise du cas « Lille 2 & Angers » (ces 2 universités n’ont jamais songé à annuler deux thèses d’Edmond Le Borgne (Angers-1998 et Lille 2-2000), plagiaire dont la Cour de cassation a récemment confirmé la condamnation pour contrefaçon).

Si on consulte les déclarations ministérielles, il n’existe qu’un problème de plagiat, celui des seuls étudiants, et ce problème a sa solution : l’utilisation systématique et massive de logiciels anti-plagiat. Un mauvais diagnostic (cf. La lutte contre le plagiat à l’Université est mal partie), donc une mauvaise réponse, inefficace et vouée à l’échec. Une réponse parfaitement dans l’air du temps, en phase avec la « culture du résultat » imbécile, la bibliométrie en folie, la vidéo-surveillance et les portiques de détection à la porte des collèges et lycées. Nous y reviendrons.

Pour l’instant, cap sur les îles et « L’écho d’Eco ».

Lire aussi :

* DOSSIER CPU, CNU, UPF : LA QUESTION DU PLAGIAT
http://archeologie-copier-coller.com/?p=2683

* LETTRE OUVERTE À MADAME LOUISE PELTZER, PRÉSIDENTE DE L’UPF : http://archeologie-copier-coller.com/?p=2891

* L’ÉCHO D’ECO : Des langues, des hommes et du travail de la citation : http://archeologie-copier-coller.com/?p=2542

Communiqué du 24 janvier 2011

L’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES) et l’Association française de sociologie (AFS) viennent de prendre connaissance d’une deuxième accusation de plagiat concernant notre collègue Ali Aït Abdemalek, vice-président A de la dix neuvième section du CNU.

La première était d’une catégorie particulière, puisque ce plagiat semble avoir finalement été légitimé par le plagié, Edgar Morin. Cette « reprise » de plusieurs pages pose pourtant problème : que dirait le CNU d’un dossier de candidat à la qualification ou à la promotion constitué d’écrits ainsi empruntés ?

Mais le cas qui nous est soumis aujourd’hui est encore plus grave : il s’agit d’un plagiat évident de l’ouvrage Introduction à la sociologie de Michel De Coster , Bernadette Legros-Bawin et Marc Poncelet, comme le montre le document ci-dessous.

Ces plagiats avérés exigent que Ali Aït Abdelmalek démissionne sur-le-champ de la 19ème section du CNU. D’une part parce qu’il n’a plus aucune légitimité pour expertiser les dossiers qui lui sont confiés au CNU. D’autre part parce qu’il devra assumer ses responsabilités et assurer sa défense.

En tout état de cause, l’ASES et l’AFS demandent au Président de la 19 e section du CNU de faire en sorte que Ali Aït Abdelmalek quitte ses fonctions. Nos deux associations souhaitent également qu’un débat s’engage au niveau de la conférence des présidents de  la CNU (CP CNU) sur la question du plagiat. Elles appellent les membres du CNU et des autres instances d’évaluation à la plus grande vigilance face à ces pratiques qui risquent de s’intensifier dans le nouveau contexte d’évaluation des universités, des laboratoires de recherche et des enseignants-chercheurs.

Texte adopté par le Conseil d’administration de l’ASES et le Comité exécutif de l’AFS.

**

Comparaison d’extraits du livre de

Michel de Coster, Marc Poncelet, Bernadette Legros-Bawin, Introduction à la sociologie, Bruxelles, De Boeck université, 2006, 6e ed.
avec
Ali Aït Abdelmalek, Edgar Morin, sociologue de la complexité, Rennes, Apogée, 2010.

Texte commun, suppression AAA, [modification ou ajout AAA]

Le fonctionnalisme évoque lui-même divers modes d’approche des faits sociaux à l’intérieur desquels on peut, toutefois, déceler des dénominateurs commun.

[changement de paragraphe supprimé] Plutôt que de partir des conditionnements sociaux qui déterminent le déroulement d’une action, le fonctionnalisme renverse l’explication en partant des finalités qui amènent son déroulement. Ainsi, il n’est plus question de se demander ce qui pousse les gens au mariage, à la fête, au jeu, au délit, mais de s’interroger sur les exigences ou les besoins auxquels répondent les comportements matrimoniaux, festifs, ludiques, délictueux, etc. Cette thématique suppose, bien entendu, que toute chose ou toute action répond nécessairement à un besoin. C’est dans cette perspective que l’ethnologie classique telle qu’elle est illustrée par [car] la pensée de Malinowski, développe un fonctionnalisme radical basé sur trois postulats. En premier lieu, dans la société, tout a un sens ou une fonction, qu’il s’agisse des rites, des traditions, des usages, des institutions, des groupes sociaux et que ces éléments apparaissent comme les plus démodés, les plus inutiles ou les plus dépourvus de signification (postulat du fonctionnalisme universel) [parenthèse sans italiques]. Le sens ou la fonction ne peuvent être saisis au seul niveau du système local dans lequel les éléments sont insérés mais ils doivent être rapportés à l’ensemble du système plus général qui l’environne (postulat de l’unité fonctionnelle de la société) [idem]. Enfin, chaque élément est indispensable au fonctionnement de la totalité du système général ou de la société, si l’on préfère (postulat de nécessité) [idem]. (Merton, 1965 [1953], pp. 72-86) [remplacé par note 61 :  A ce propos, on relira utilement Robert K. Merton (1965) in Henri Mendras (trad. de l’américain et adapté par), Eléments de théorie et méthode sociologique, Paris, Armand Colin, 1996, p.72-86.]

Pages 75-76 de l’introduction, 49-50 de EM sociologue de la complexité.

Ce fonctionnalisme radical cultive, comme on le devine, une analogie organiciste entre la société et le corps humain, résumée par la métaphore du corps social, en ce que chaque organe [« organe »] possède sa fonction et devient indispensable à la vie du système dans lequel il est intégré. D’où vient une certaine réputation de conservatisme que ce courant n’a cessé de laisser derrière elle [lui]

[changement de paragraphe supprimé] Aussi le modèle du fonctionnalisme a été considérablement assoupli par Robert K. Merton, Lewis Coser [et Edgar Morin (plus récemment)] notamment. Plutôt que de considérer les trois principes évoqués plus haut comme des postulats, ils y voient, tout au plus, de simples hypothèses de travail. (…)

Si le courant fonctionnaliste met en avant la notion de fonction, il privilégie également, comme on vient de le voir [l’a déjà dit], les notions de système et de structure. On doit surtout à Talcott Parsons, qui se rattache également à cette tradition par maints côtés de sa théorie, d’avoir tenté de réaliser une vaste synthèse intégrant ces trois notions générales. Aussi, doit-on dire qu’il assure la transition entre le fonctionnalisme et le structuralisme, comme l’atteste l’étiquette dont on a souvent couvert ses travaux : le structuro-fonctionnalisme.[sans italiques]

Le paradigme structuraliste gravite autour du concept encombrant de structure et les usages l’associent, en effet, aux notions de système, de totalité, de permanence, de latence, d’essentialité, etc.

Pages 76-77 de l’introduction, 54-55 de EM sociologue de la complexité.

Ph. Cibois, 17 janv 2011

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1 réponse to “* PLAGIAT, SILENCE ET EXCELLENCE”

  1. Encore un superbe modèle pour nos jeunes que le plagiat pratiqué et reconnu de leurs professeurs. Quel magnifique exemple d’honnêteté ! Je pose le problème: quelle éducation pour nos jeunes?
    Tous les moyens sont bons pour garder son statut social … et paraître…
    Philippe et Francine Garnier, Polynésie.

     

    Philippe et Francine GARNIER