L’Université Paris-Sorbonne (Paris 4) recrute une plagiaire

Posté par Jean-Noël Darde

À gauche la thèse de Victor Martinez (2008); à droite, la thèse d'Amélie Collet.

À gauche, la thèse de Victor Martinez (Paris3 – Sorbonne nouvelle, 2008); à droite, la thèse d’Amélie Collet (Paris4 – Sorbonne, 2013).

Avant-propos

Une lettre ouverte signée par 22 des plagiés de la thèse évoquée ci-dessous devait être mise en ligne aujourd’hui sur le blog Archéologie du copier-coller. Cette lettre avait été rédigée il y a une quinzaine de jours. Depuis, un fait vient tout juste d’être connu, ou plutôt reconnu par Paris-Sorbonne : réunie le 2 juillet dernier, la commission de jugement de la section disciplinaire de Paris-Sorbonne a décidé la nullité de cette thèse et l’exclusion définitive de tout établissement d’enseignement supérieur de son « auteur ». Il a fallu l’insistance d’un grand universitaire, lui-même plagié, auprès de Paris-Sorbonne pour obtenir cette information.

A. Collet-Hoblingre, exclue définitivement de tout établissement d’enseignement supérieur comme doctorante plagiaire, continue cependant à enseigner depuis la rentrée universitaire à Paris-Sorbonne Paris 4 comme PRAG. Ce hiatus a peut-être contribué à rendre Paris-Sorbonne si longtemps muette.

La décision d’exclusion de la doctorante, jusque là cachée aux dizaines de plagiés, ne remet pas en question l’essentiel de la lettre ouverte dont les premiers signataires sont Philippe Jaccottet, poète, et Anne de Staël du Bouchet, poète, et ayant droit d’André du Bouchet. Mais cette information rend caduques quelques lignes de cette lettre ouverte. Elle ne sera donc rendue publique qu’une fois modifiée et soumise à nouveaux pour accord à ses 22 premiers signataires, dont des universitaires du Canada, de Grande-Bretagne, de Belgique et de Suisse.

L’histoire circule déjà à Paris-Sorbonne (Paris 4) comme à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle et chez une bonne part des universitaires spécialistes de la poésie française contemporaine, qu’ils soient français ou étrangers. D’ici la publication de la nouvelle version de cette lettre ouverte, il nous a semblé opportun de rapporter rapidement les faits – du moins ceux dont nous avons eu connaissance et que nous avons été en mesure de vérifier – afin de couper court aux informations approximatives.

* * *

Amélie Collet-Hoblingre a soutenu à l’université Paris-Sorbonne (Paris 4), le 9 décembre 2013, une thèse sur la voix dans l’œuvre d’André du Bouchet. Cette thèse, sur un des plus éminents représentants de la poésie française contemporaine, avait été rédigée sous la direction d’Olivier Soutet, un spécialiste de linguistique médiévale, professeur à Paris 4 et doyen de la Faculté des Lettres de l’Institut Catholique de Paris de 2007 à 2013.

Le jury a accordé la mention « très honorable » à cette thèse. La sélection soignée des sept membres du jury – un choix cohérent avec celui du directeur de thèse : aucun n’était un spécialiste du poète André du Bouchet – y est probablement pour beaucoup.

En juin 2014, Victor Martinez – un chercheur qui avait, en 2008,  aussi soutenu une thèse sur André du Bouchet, mais plus sérieusement, sous la direction de Michel Collot à l’université Paris 3 / Sorbonne-nouvelle – reconnaît une phrase, dont il est incontestablement l’unique auteur, dans le résumé de la thèse d’A. C. mis en ligne sur la base SUDOC de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur. Ce constat le conduit à demander l’accès à cette thèse. Il lui est concédé par la bibliothèque universitaire de Paris-Sorbonne sous la forme d’un fichier bridé et chronodégradable.

Sitôt établie l’ampleur des emprunts à ses propres travaux, Victor Martinez envoie au service des doctorats de Paris-Sorbonne une « plainte pour plagiat de travaux de thèse et de recherche » accompagnée d’un premier document où sont placés en vis-à-vis les plagiats d’A. C. au détriment de sa thèse soutenue en 2008 et d’un ouvrage dont il est l’auteur, paru au début de l’année 2013 aux éditions Rodopi.

Le 14 juillet 2014, Victor Martinez transmet à Paris-Sorbonne un second document qui concerne 15 plagiés, puis, le 18 juillet, un dossier plus complet avec les noms de 20 plagiés. Sous les noms de chacun, étaient placés en vis-à-vis de leurs textes les paraphrases et les copier-coller d’A. C (voir la liste de ces 20 premiers plagiés en annexe).

Ces envois ont d’abord pour effet de décider l’Université Paris-Sorbonne à priver Victor Martinez d’une lecture aussi malsaine. La chrono-dégradabilité ayant opéré, Victor Martinez, malgré des demandes répétées, se voit refuser à partir du 18 juillet au soir l’accès à la thèse d’A. C. où il pensait découvrir de nouveaux passages plagiaires qui le concernaient directement ou concernaient d’autres de ses collègues spécialistes de l’œuvre d’André du Bouchet.

Il reste que ces premières preuves de plagiats compulsifs ont quand même obligé la présidence de Paris-Sorbonne à ouvrir une procédure disciplinaire… qui s’avèrera ne pas être un modèle de transparence. Le 3 octobre 2014, Victor Martinez reçoit une convocation de Delphine Denis, présidente de la Section disciplinaire à l’usage des usagers, l’invitant à venir témoigner le 14 octobre devant la commission d’instruction. Un autre plagié, jeune chercheur et doctorant à Paris-Sorbonne qui avait aussi déposé plainte, est aussi convoqué. Mais la commission d’instruction de la section disciplinaire n’avait par contre convoqué, ou consulté, ou même informé, aucun des 18 autres plagiés cités dans les documents remis par Victor Martinez le 18 juillet 2014.

En novembre 2014, à la suite d’une énième lettre recommandée, Paris-Sorbonne cèdera et communiquera enfin aux deux plaignants des fichiers pdf et word non bridés de la thèse plagiaire d’A. C.. Un travail collectif sur cette thèse au fichier ouvert permettra bientôt d’identifier quarante plagiés ; on en sera à soixante à la fin de l’été, et on approche cet automne les quatre-vingt. Le recensement des plagiés est pourtant loin d’être achevé.

L’information de tous les plagiés, les dates de la procédure de recrutement de la plagiaire

Alors qu’il n’avait plus de nouvelles de la procédure disciplinaire depuis plusieurs mois, Victor Martinez s’en est inquiété au printemps dernier. Il s’est adressé, le 15 mai précisément, à Sylvie Bal-Villet du « Service des affaires juridiques et institutionnelles » à Paris-Sorbonne, avec copies à Barthélémy Jobert, Président de l’Université Paris-Sorbonne et à Pascal Aquien, vice-Président du Conseil scientifique. Il concluait ainsi son courrier : « Depuis l’instruction du 14 octobre 2014, je n’ai plus eu de nouvelles de l’avancement des procédures de l’Université Paris 4 Sorbonne concernant ma plainte pour plagiat à l’encontre de la thèse de Madame A. C. ».

Pascal Aquien, Vice-président du CS de Paris-Sorbonne, lui répond et précise que « cette affaire (procédure de plainte pour plagiat supposé à l’encontre de Mme C.) sera jugée fin juin/début juillet (la date n’est pas encore arrêtée) » et qu’il reviendra vers Victor Martinez dès qu’il en saura plus. Pascal Aquien en a de toute évidence su plus, mais n’a rien partagé avec Victor Martinez. Vendredi dernier, 25 septembre, Sylvie Bal-Villet s’est enfin excusé auprès des deux plaignants de cet « oubli ».

Cet oubli n’a probablement rien d’involontaire. Non seulement les deux plaignants, mais l’ensemble des plagiés de cette thèse soutenue à Paris Sorbonne auraient dû être informés par Paris-Sorbonne des plagiats de leurs travaux. Les plagiés doivent en effet  pouvoir user de leur droit à choisir de porter, ou non, plainte, au pénal ou au civil, si ces plagiats sont susceptibles d’être constitutifs du délit de contrefaçon – c’est ici de toute évidence le cas. Il s’agit de l’oubli systématique de l’intérêt des plagiés.

D’autres raisons peuvent avoir favorisé cet oubli. Notamment, devoir reconnaître qu’une doctorante plagiaire exclue définitivement de tout établissement d’enseignement supérieur continue pourtant à enseigner dans le même établissement où elle a exercé ses talents de plagiaire (pour les talents, voir ci-dessous l’annexe 1).

Autre raison possible de cet oubli : on ne peut pour l’instant exclure qu’A. C. ait été recrutée comme PRAG alors que l’alerte concernant ses plagiats avait déjà été donnée par Victor Martinez. A. C. a été nommée PRAG (l’usage veut que l’on parle de PRAG pour les enseignants du secondaire affectés à l’Enseignement supérieur, qu’ils soit certifiés ou agrégés) à la suite du choix d’une commission de recrutement présidée par Olivier Soutet, son directeur de thèse. Il faudra attendre de connaître avec précision le calendrier de ce recrutement – date de la commission de recrutement, date de l’accord du Conseil d’administration de Paris-Sorbonne, date de l’accord du Rectorat, etc. – pour confirmer, ou exclure, que ces phases de recrutement aient été postérieures aux alertes circonstanciées de Victor Martinez qui désignaient, sans qu’il ne subsiste aucun doute, A. C. comme plagiaire. Notons que pour la rentrée universitaire de 2015-2016, l’Institut catholique de Paris a confié à la doctorante es-lettre plagiaire et PRAG de Paris 4 un enseignement de méthodologie destiné aux étudiants « qui souhaitent améliorer leur expression écrite ».

Cette affaire de plagiat, parce qu’elle concerne Paris-Sorbonne, qui se prévaut parfois d’être « le temple de l’université française et même de l’université mondiale » (J. Chirac, 11 juin 1997), touche la réputation de toutes les universités françaises. Elle appelait donc un règlement exemplaire.

* * *

2 ANNEXES

 

  1. Philippe Jaccottet, alias André du Bouchet
Philippe Jaccottet, alias André du Bouchet : à droite, le mémoire de licence de Mathilde Vischer (Université de Genève, 1999) ; à gauche, la thèse d'A. C., rédigée sous la direction d'Olivier Soutet, soutenue à Paris-Sorbonne en 2013.

Philippe Jaccottet, alias André du Bouchet : à droite, le mémoire de licence de Mathilde Vischer (Université de Genève, 1999) ; à gauche, la thèse d’Amélie Collet-Hoblingre, rédigée sous la direction d’Olivier Soutet, soutenue à Paris-Sorbonne en 2013.

On trouvera ci-contre un exemple assez saisissant, et distrayant, d’un des plagiats relevés par Victor Martinez : A. C. emprunte des extraits d’un commentaire de Mathilde Vischer à propos de Philippe Jaccottet (in Philippe Jaccottet traducteur et poète : une esthétique de l’effacement, mémoire de licence, faculté des lettres de l’université de Genève, 1999) et l’applique à André du Bouchet !  A. C. prend à la lettre l’intitulé du mémoire de M. Vischer, procède à l’effacement du  nom de Philippe Jaccottet pour lui substituer celui d’André du Bouchet.

Amélie Collet-Hoblingre répètera l’opération, toujours aussi drôlement : l’analyse par Mathilde Vischer de cinq vers de Jaccottet lui servira pour commenter quatre vers d’André du Bouchet… Dans le texte de Mathilde Vischer, Amélie Hoblingre., toujours aussi espiègle, prendra la précaution de changer le « cinq vers » en…  « quatre vers« . Certes, Philippe Jaccottet était proche d’André du Bouchet ; de là à ne plus les distinguer…

A. C.-H. adopte ce même procédé – écrire sur André du Bouchet en copiant ce que d’autres ont écrit à propos de Philippe Jaccottet – à d’autres textes. La thèse de Françoise Simille, La notion de passage dans l’oeuvre de Philippe Jaccottet (2010), – dirigée par Michel Collot et soutenue à la Paris 3 – Sorbonne nouvelle comme la thèse de Victor Martinez –, l’article d’Ana-Maria Gîrleanu, « Modalités de la négation dans l’écriture de Philippe Jaccottet (2002) », ou l’article de Laurence Bougault Circonstances du poème : Analyse stylistique des compléments circonstanciels dans les trois premiers poèmes de l’Ignorant de Philippe Jaccottet (2003), sont pillés par A. C. selon la procédure mise en œuvre avec le texte de Mathilde Vischer.

Mieux encore, A. C. dit des démonstratifs dans l’œuvre de du Bouchet ce que Michèle Monte a déjà dit à propos des démonstratifs dans l’œuvre de Jaccottet (Les démonstratifs dans les premiers recueils poétiques de Philippe Jaccottet : étude grammaticale et stylistique).

Michèle Monte était membre du jury de soutenance de la thèse d’A. C. ! Elle n’a rien vu ou, peut-être, a vu, compris, et a laissé passer (L’œuvre de Jaccottet était le thème de la thèse de Michèle Monte, soutenue en 2002 à Paris-Sorbonne / Paris 4 sous la direction de Georges Molinié : « L’énonciation dans l’œuvre poétique de Philippe Jaccottet : une étude linguistique et stylistique »).

Pour rester dans la même veine, A. C. a transposé le même principe de l’opération Jaccottet/Du Bouchet dans d’autres opérations semblables : elle dit aussi de Du Bouchet ce que Frédérique Malaval dit de Giorgio Caproni et elle trouve dans la voix d’André du Bouchet ce que, mot pour mot, Danielle Cohen-Levinas trouve dans celle des troubadours.

* * *

2) Les 20 premiers plagiés cités par Victor Martinez dans un courrier adressé à Paris-Sorbonne le 18 juillet 2014.

Thèse d'Amélie Collet à gauche (2013), article de Michel Alba à droite (2008).

Thèse d’A.C. à gauche (2013), article de Michel Alba à droite (2008).

Michel Alba : « Paul Celan et André du Bouchet : le poème comme quête de sens ou Sinnsucht », dans L’ire des vents n°6-8, 1983 (voir ci-contre).

Thomas Augais : « Trait pour trait : Alberto Giacometti et les écrivains par voltes et faces d’ateliers « , thèse soutenue en 2009 à l’Université Lumière (Lyon 2) .

Nathalie Brillant Rannou : « Le moteur négatif d’André du Bouchet », L’Étrangère n° 16-17-18, 2007

Michel Collot : « Rapides, ou la rapacité de la fraîcheur », dans Autour d’André du Bouchet, Paris, Presses universitaires de l’ENS, 1986. / « La relation compacte appelée monde », dans Michel Collot, Jean-Pascal Léger (dir.), Présence d’André du Bouchet, Paris : Hermann, 2012.

Sylvie Decorniquet : « L’énergie  de l’espace », dans Michel Collot, Jean-Pascal Léger (dir.), Présence d’André du Bouchet, Paris : Hermann, 2012.

Franc Ducros : « Parole en expansion infinie », dans Michel Collot, Jean-Pascal Léger (dir.), Présence d’André du Bouchet, Paris : Hermann, 2012.

Antoine Emaz : André du Bouchet, « debout sur le vent » , Paris, Jean-Michel Place, 2003

Michel Favriau : « A l’affût de la parole », dans Michel Collot, Jean- Pascal Léger (dir.), Présence d’André du Bouchet, Paris, Hermann, 2012.

Daniel Guillaume : « Les figures de la voix. Une étude du rythme chez André du Bouchet et Jacques Réda », thèse soutenue en 1998 à l’Université Paris 8, disponible à l’ANRT ( ISBN 2-284-01454-2).

Paul Laborde : « Une sainte Infidélité », Intercambiô N°3, Porto, Portugal, Février 2012.

Clément Layet : « André du Bouchet », Paris, Seghers, 2002.

Danièle Leclair : « André du Bouchet et René Char », dans Michel Collot, Jean- Pascal Léger (dir.), Présence d’André du Bouchet, Paris, Hermann, 2012.

Serge Linares : « Reverdy et du Bouchet, deux poètes en regard », dans Michel Collot, Jean-Pascal Léger (dir.), Présence d’André du Bouchet, Paris, Hermann, 2012.

Victor Martinez : « Aux sources du dehors : poésie, pensée, perception dans l’oeuvre d’André du Bouchet », thèse soutenue à l’Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle, 2008. / « André du Bouchet. Poésie, langue, événement », Amsterdam, Rodopi, 2013.

James Petterson : « Singulière itérabilité. « Ce mot mort » », dans Écritures contemporaines n° 6, « André du Bouchet et ses autres », sous la direction de Philippe MET, Lettres modernes Minard, Paris-Caen 2003.

François Rannou : « André du Bouchet lecteur de Mallarmé », dans Michel Collot, Jean-Pascal Léger (dir.), Présence d’André du Bouchet, Paris, Hermann, 2012.

Jean-Pierre Richard : « André du Bouchet », dans Onze eétudes sur la poésie, Paris, Le Seuil (Essais) , 1981 (1964), ISBN 2-02-005970-3.

Elke de Rijcke : « L’écriture comme expérience : le médiat et l’immédiat », Michel Collot et Jean-Pascal Léger (dir.) Présence d’André du Bouchet, Paris, Hermann, 2012.

Dirk Weissmann : « Musique contre sens. Notes sur la traduction d’un début de poème (Paul Celan, Tübingen, Jänner), dans Marko Pajevic (dir.), Poésie et musicalité : liens, croisements, mutations, Paris, L’Harmattan, 2007.

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6 réponses to “L’Université Paris-Sorbonne (Paris 4) recrute une plagiaire”

  1. Boris EIZYKMAN est maître de conférences en esthétique à l’Université de Picardie Jules-Verne.
    L’Université française continue de protéger les enseignants plagiaires. Que la doctorante plagiaire de Paris IV ait été recrutée comme Prag avant ou après la découverte du pot aux roses ne change guère que le degré d’irresponsabilité et de malhonnêteté des universitaires coupables du recrutement ou du maintien de madame C. comme Prag, le comble du scandale étant bien sûr atteint si elle a été recrutée en toute connaissance de sa forfaiture.
    Le calendrier est effectivement important, car il s’agit aussi de savoir si Madame C a été protégée au point de passer devant la commission disciplinaire réservée aux « usagers », c’est-à-dire aux étudiants, alors qu’elle occupait déjà une fonction d’enseignante à Paris-Sorbonne.
    L’Université d’Amiens a connu une situation proche [voir ici même les articles consacrés à cette affaire : Traitement des thèses-plagiats et faux-semblants : le cas d’Amiens et Le plagiaire d’Amiens et « l’acharnement » — par B. Eizykman et M.-D. Porcheron] voici trois ou quatre ans quand un Prag d’arts plastiques a vu sa thèse annulée pour plagiat (quasi intégral), notamment sur l’un de ses anciens étudiants qui a dévoilé la fraude.
    Le Prag plagiaire a été déféré à la commission disciplinaire compétente à l’égard des étudiants au mépris de toute justice puisque cet agrégé a préparé « sa thèse » en tant qu’enseignant, bénéficiant pour ce faire pendant deux ou trois années d’un demi-service.
    Malgré plusieurs démarches, la question de savoir si ce Prag plagiaire devait rester au sein de la Faculté et de l’Université qu’il avait si bien honorées, n’a jamais été traitée par les instances compétentes. Et comme le plagiaire n’a pas eu la décence de démissionner de son poste de Prag pour retourner dans l’enseignement secondaire, il accomplit encore à ce jour son service dans un département sonné et sommé, comme toutes les composantes universitaires, de lutter contre le plagiat des étudiants.
    Pourquoi les autorités académiques ne comprennent-elles pas que c’est la survie de l’Université qui se pose avec le maintien en poste ou le recrutement d’enseignants plagiaires, comment peuvent-elles invoquer dans une telle situation des arguments aussi faibles que le souci d’apaisement, comme à Amiens par exemple, pour donner l’hospitalité aux enseignants fraudeurs ?

    JN Darde : : En effet, les universités disposent d’une section disciplinaire qui traitent les « usagers », c’est-à-dire les étudiants qui y sont d’ailleurs représentés, et une section disciplinaire vouée à traiter le cas des seuls enseignants, sans participation étudiante.
    Aux toutes dernières nouvelles, la plagiaire de Paris-Sorbonne a fait appel auprès du CNESER de son exclusion définitive de tout établissement d’Enseignement supérieur décidée à Paris 4. A. C. risque de payer cher cette malheureuse initiative si, comme le bruit en court, le CNESER souhaite user de cette saisie pour contester la décision prise par la section disciplinaire de Paris 4, celle des « usagers », parce qu’elle ne concerne qu’une étudiante-doctorante et épargne l’enseignante Prag.
    À l’annulation de la décision prise par la section disciplinaire de Paris 4 qui concerne la seule doctorante, succèderait alors une nouvelle instruction à Paris-Sorbonne qui viserait l’enseignante Prag comme « auteur » d’une thèse plagiaire.
    On imagine que les dizaines de plagiés dénombrés aujourd’hui sauront exiger plus de transparence que dans la procédure antérieure et veilleront à ce que chacun d’entre eux soit informé des plagiats dont ils ont été victimes.

     

    Boris EIZYKMAN

  2. Ahmed ROUADJIA est Professeur d’histoire moderne et contemporaine à l’Université de Msila (Algérie).
    Je salue d’abord et vivement le travail de mon collègue, Jean-Noël DARDE, sur le plagiat, les plagiaires et leurs protecteurs.
    Le plagiat est une plaie, une maladie qui porte de graves atteintes à l’éthique et à l’honnêteté intellectuelle. Je pense que l’université française, ou certaines universités françaises, ne sont pas les seules a être touchées par ce fléau, car bien d’autres pays en sont bel et bien affectés, mais de manière inégale.
    En Algérie, pays que je connais le mieux, je peux affirmer sans crainte de me tromper, que les plagiaires devenus « docteurs », Maîtres de conférences et professeurs constituent une part notable du corps enseignant. En Europe, de l’Ouest comme de l’Est, ainsi qu’aux États Unis, le plagiat et les plagiaires ne sont pas rares, mais leur nombre est certainement infime comparé à celui des pays d’Afrique, comme l’Algérie. La promotion des médiocres par le jeu du plagiat et de la complaisance, du laisser-aller et du laisser-faire, y dépasse l’imagination… Qui plus est, les mécanismes de contrôle sont, ici plus qu’ailleurs, quasi inexistants…
    Les Commissions d’éthique et de déontologie, et les sections disciplinaires abritent souvent des plagiaires et des faux docteurs, de même la CUN (Commission Universitaire Nationale).
    Ahmed ROUADJIA
    .
    Rep. JND :
    Cher Ahmed ROUADJIA,
    L’Afrique est proche ! Comme en Algérie, on peut aussi en France, même si cela reste un cas encore peu fréquent, être plagiaire et membre du Conseil national des université (le CNU, l’équivalent de votre CUN algérien), et même s’y être fait élire en faisant valoir ses meilleures publications plagiaires, dont l’une, plagiaire à 100% !
    Tout cela, sans que la présidente (Dominique Faudot) et les membres du bureau de la Conférence permanente du CNU (CP-CNU), saisis de visu de ces plagiats, ne trouvent rien à y redire (lire La Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU), le « vide juridique » et la tolérance au plagiat et La culture du plagiat au cœur de la 71e section du CNU : Des comités de sélection, facteurs de contamination).
    Cerise sur le gâteau, en 2014, Danielle Tartakowsky, qui a succédé à Pacal Binczak à la présidence de Paris 8, a fait de cet enseignant-chercheur-plagiaire un officier des Palmes académiques, quelques semaines après qu’il ait co-dirigé à Paris 8 un colloque sur « L’approche éthique du plagiat » ! Voir http://www.univ-paris8.fr/Approche-ethique-du-plagiat et « Plagiat universitaire : Paris 8 et les belles entourloupes« .

    Autre exemple édifiant, qui mériterait d’être cité au Livre des records : la « Commission déontologie (sic) » de l’Université Paris 8, mise en place par son président, alors Pascal Binczak, a longuement « expertisé » (des mois et des mois) et validé une thèse… au moins servilement plagiaire à 80%, et probablement plus ! (lire L’université Paris8, sa direction, sa Commission déontologie et sa thèse-pur-plagiat écrite « sous le signe de l’excellence »).
    L’Algérie et l’Afrique, certes probablement bien placées, n’ont donc aucun monopole (à titre d’exemple africain, on pourrait nommer ce doyen d’une faculté de droit d’Afrique qui a plagié sa thèse, brillamment soutenue en France, et publie dans des revues françaises en recopiant les articles d’un de ses plagiés. Ce dernier, pourtant membre du CNU de droit public, reste désarmé et ne peut pas y faire grand chose !
    JND

     

    Rouadjia Ahmed

  3. De PAULO DE CARVALHO, « ex- » Professeur émérite à l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux,
    Mais… qu’attend Paris-IV Sorbonne pour renvoyer cette dame dans son lycée ?
    Et qu’attend-on aussi pour obliger les universités à informer les plagiés des cas de plagiat découverts en leur sein, pour qu’ils puissent porter plainte en contrefaçon ?
    Il y va de l’honneur de toute l’Université française. Et de l’exemple qu’elle se doit de donner aux collègues étrangers qui nous regardent…
    Encore une fois, un grand bravo reconnaissant à Jean-Noël Darde pour cette œuvre de salubrité publique. Qu’il ne laisse surtout pas tomber.
    Paulo de Carvalho

     

    Paulo de Carvalho

  4. Archéologie du copier-coller ne publie pas de commentaires anonymes. Dans ce cas cependant, l’anonymat n’est que relatif – je connais cette maître de conférences – et justifié par sa situation.
    Merci de diffuser des informations sur le traitement du plagiat dans l’université française !
    Cette histoire me parait révélatrice d’un gros problème concernant les procédures disciplinaires à l’université : en tant que victime, on est considéré comme témoin (temps de parole ridicule, et pas d’accès à la procédure).
    Voilà pourquoi, pour les personnes voulant mener une procédure contentieuse, par ex. en cas de harcèlement sexuel ou agression sexuelle, je conseille toujours de porter plainte au pénal plutôt qu’auprès des instances disciplinaires.
    Pour avoir témoigné dans deux conseils de discipline (en tant que « vraie » témoin), cela a été à chaque fois une mascarade: il s’agissait surtout de « sauver la réputation de la fac », ou « épargner le collègue déjà bien affecté ». Le manque de considération pour le vrai tort fait à des personnes était totalement écœurant.

    JND : Votre commentaire tombe bien pour permettre de mieux distinguer la situation particulière du plagié. Contrairement au cas de harcèlement sexuel à l’université, la victime plagiée ne sait pas, dans l’immense majorité des cas, qu’elle est plagiée. Pour que le plagié puisse attaquer au pénal, ou au civil, faudrait-il encore qu’il soit informé de son infortune. C’est pourquoi il faut exiger que les universités informent les plagiés, au moins quand les plagiats produits en leur sein sont susceptibles d’être qualifiés en délit de contrefaçon et donc susceptibles de faire l’objet d’une plainte par les ayants-droit des textes plagiés.
    Il ne reste donc qu’a attendre la décision de Barthélémy Jobert, président de Paris-Sorbonne, « l’université française la plus renommée dans le monde » (Le Monde, 21 mai 2013).
    Paris-Sorbonne aurait ainsi l’occasion, avec ce cas de thèse plagiaire emblématique, de faire avancer les choses sur le front du plagiat universitaire et de mériter sa réputation mondiale.

     

    une maître de conférences

  5. Boris EIZYKMAN est maître de conférences en esthétique à l’Université de Picardie Jules-Verne.
    Je viens d’apprendre que les Prag sanctionnés par une commission disciplinaire de leur université pouvaient, en tant qu’enseignants du second degré, être « …traduits, en raison des mêmes faits, devant les instances disciplinaires prévues par les statuts qui leur sont applicables dans leur corps d’origine. De par leur corps, ils relèvent des sanctions prévues à l’article à l’article 66 de la Loi 84-16 du 11-01-1984…. » (Le Memo du Sup 2011, p. 242). C’est au Recteur de saisir les instances concernées. Dans les cas d’Amiens et de Paris IV, il ne semble pas que les Commissions Administratives Paritaires Académiques aient été saisies.

    JND : La loi n’y fait rien. Il n’y a malheureusement pas grand chose à attendre des Recteurs, pas plus que du Ministère, très apathiques dès que l’on parle de cas concrets de plagiats qui concernent des enseignants.
    J’en ai fait l’amère expérience quand j’avais pris contact avec le rectorat de Créteil, et le Ministère, à propos de sanctions déguisées à mon encontre pour avoir alerté sur des mémoires, des thèses et des articles plagiaires, et du soutien public du président de l’université Paris 8, Pascal Binczak, aux enseignants-chercheurs-plagiaires du laboratoire Paragraphe.
    À ma connaissance, le dernier Recteur vraiment intéressé par le plagiat universitaire était alors recteur de l’Académie de Montpellier. Ancien professeur à Lyon 3 Jean-Moulin, il y était revenu pour diriger et faire soutenir une thèse à 80% plagiaire ! Il avait aussi été directeur de cabinet de François Fillon, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, puis député UMP.
    Pour en savoir plus sur ce cas qui touche un Recteur d’Académie intouchable, on lira L’Université Jean Moulin Lyon 3, le plagiat, et les ratés de la Francophonie et les commentaires de Jacques Comby, président de l’Université Jean Moulin Lyon 3, sur ce blog Archéologie du copier-coller, à la suite de l’article La tolérance au plagiat, une valeur de l’Université française ?

     

    Boris EIZYKMAN

  6. Professeure en sciences du langage à l’Université du Sud (Toulon), Michèle MONTE était membre du jury lors de la soutenance de la thèse objet de cet article :
    Comme je suis mise en cause dans l’article qui précède, qui suggère que peut-être j’étais au courant de ce plagiat et que j’ai fermé les yeux, je tiens à préciser que le passage copié de mes travaux ne concerne qu’une définition très générale des démonstratifs, définition que l’on peut trouver dans de nombreux ouvrages ou articles de linguistique. Ceci n’excuse pas le plagiat, dont effectivement je n’ai pas été informée jusqu’à ce 19 octobre, où un courrier de Michel Collot m’a avertie. En ce qui me concerne j’avais fait état dans le rapport de soutenance du caractère décousu de la thèse, que je comprends mieux maintenant ! J’écrivais aussi : « La confrontation avec la pensée des linguistes et littéraires ayant réfléchi sur le langage poétique est invisible : la thèse ne comporte en effet quasiment aucune référence théorique en dehors de philosophes tels que Maldiney ou Derrida, et encore moins de citations hormis celles extraites de l’œuvre d’André du Bouchet.

    JND : Je ne vais pas nier que le texte mis en ligne envisage l’hypothèse que vous évoquez. L’extrait du rapport de soutenance que vous citez convainc qu’elle mérite d’être écartée. Je reconnais volontiers que le plagiat dont vous avez été victime n’est pas parmi les plus spectaculaires de cette thèse.
    À vrai dire, dans ce cas particulier, et même si ce n’est pas l’usage, l’Université Paris-Sorbonne s’honorerait en communiquant, aux moins à tous les plagiés, l’intégralité de ce rapport de soutenance.

     

    Michèle MONTE